Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, permettez-moi de me réjouir de ce débat préalable au Conseil européen, débat qui nous permet d’échanger avec le Gouvernement en ce début d’année 2016 sur des sujets majeurs et particulièrement délicats.
Les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne seront au cœur des discussions des chefs d’État et de gouvernement.
Notre commission des affaires européennes suit ce dossier depuis plusieurs mois, grâce notamment au travail de notre collègue Fabienne Keller. La commission a formalisé ses positions dans une résolution européenne, que la commission des affaires étrangères a entérinée sur le rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Quelles sont nos lignes directrices ? Disons-le tout net : nous voulons que ce grand pays reste dans l’Union européenne, et pas seulement pour des raisons affectives ou en raison des liens qui nous unissent.
L’Union européenne doit affronter des défis majeurs. La crise économique pèse sur sa croissance, sur sa compétitivité et sur l’emploi. Face aux menaces extérieures et au terrorisme, l’Europe doit replacer la sécurité en tête de ses priorités et Jean-Pierre Raffarin et moi-même travaillons sur ce sujet crucial. La crise migratoire appelle, elle aussi, une solidarité renforcée.
Dans ce contexte de crises multiformes, chacun voit bien les conséquences négatives d’une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Pour autant, le Conseil européen doit veiller au respect des principes fondateurs. Le Sénat est attaché à ces principes. Notre résolution le réaffirme, en soulignant également que les régimes dérogatoires ne sauraient devenir la règle.
Il ne saurait non plus être question de remettre en cause l’intégrité de la zone euro et son autonomie dans ses prises de décisions. L’euro – faut-il le rappeler ? – est la monnaie unique de l’Union européenne. En d’autres termes, la coexistence actuelle de plusieurs monnaies dans l’Union ne peut et ne pourrait devenir la norme.
Nous sommes attachés au principe d’une « union sans cesse plus étroite entre les peuples ». C’est l’un des fondements du projet européen. Il sous-tend une Europe unie et solidaire, mais il faut être clair sur sa portée juridique. En vertu des traités, c’est le principe d’attribution qui délimite les compétences de l’Union européenne. Ce sont les principes de subsidiarité et de proportionnalité qui régissent l’exercice de ces compétences. Le Sénat y est particulièrement attentif.
Nous disons oui à un rôle accru des parlements nationaux. Renforcer le poids de leurs avis au titre de la subsidiarité est une piste intéressante. Le droit d’initiative, ou « carton vert », est une autre piste pour leur permettre de peser davantage encore dans l’élaboration du droit européen.
Nous disons oui aussi à la libre circulation des personnes et à l’égalité de traitement des salariés occupant un même emploi. Ce sont des acquis majeurs sur lesquels nous ne pouvons transiger. J’ajoute qu’il est toujours possible, dans le cadre du droit dérivé, de combattre la fraude ou les abus et de faire face à des circonstances exceptionnelles.
Comme les Britanniques, nous disons oui également à l’approfondissement du marché unique. Pour cela, il faut poursuivre l’harmonisation des marchés de capitaux et créer un marché unique du numérique et de l’énergie. Nous avons dans le même temps besoin d’outils de régulation et de transparence efficaces. L’Europe doit être plus compétitive dans le respect d’une concurrence loyale. Elle doit aussi assurer une convergence sociale et fiscale.
La crise migratoire sera aussi à l’ordre du jour du Conseil européen. Nos rapporteurs Jean-Yves Leconte et André Reichardt suivent ce dossier complexe.
Le contrôle effectif des frontières extérieures de l’espace Schengen est une priorité. Nous soutenons les propositions de la Commission européenne. Le Sénat demande depuis longtemps un corps européen des gardes-frontières. L’agence FRONTEX, l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, doit disposer de moyens permanents et intervenir en cas de défaillance d’un État. La révision du code frontières Schengen doit permettre d’effectuer des contrôles efficaces. Il faut aussi mettre fin aux activités criminelles des passeurs et aux trafics d’êtres humains.
La mise en place des centres d’enregistrement est une autre priorité. Ces hotspots doivent permettre d’enregistrer tous ceux qui arrivent sur le sol européen et d’identifier ceux qui peuvent prétendre au statut de réfugié.
Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi un aparté sur ce point. Si nous devions voir le rétablissement de certaines frontières intérieures au-delà d’une période circonscrite par les règles du code frontières Schengen, et dans l’hypothèse où nous signerions dans quelques années le traité transatlantique, le TTIP, ce rétablissement des frontières intérieures, ne l’oublions pas, représenterait dix milliards d’euros de charges supplémentaires annuelles pour l’Union européenne, fragilisant d’autant le marché unique et assombrissant notre horizon.
Nous devons aussi tenir un discours clair et responsable. Si l’Europe doit prendre toute sa part dans l’accueil des personnes persécutées, elle ne peut supporter des flux massifs de migrants économiques qui souhaitent la rejoindre en dehors de toute règle ; en clair, appliquons la convention de Genève de 1951, et rien que la convention de Genève de 1951.
Le soutien aux pays voisins de la Syrie est indispensable, mais on ne peut à ce stade qu’être sceptique sur la volonté de la Turquie de contribuer effectivement au règlement du problème. La situation dans ce pays nous trouble profondément. Nous attendons du Conseil européen qu’il envoie des messages clairs sur ce point. Il ne peut y avoir de soutien de l’Europe sans contrepartie.