Intervention de Jean-Marie Bockel

Réunion du 6 mai 2010 à 15h00
Accord avec la roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains — Adoption d'un projet de loi

Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l’accord qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation s’inscrit dans le cadre d’une longue coopération avec les autorités roumaines sur la protection de l’enfance.

Cet accord vise, en effet, à poursuivre la coopération entreprise dans le cadre de l’accord du 4 octobre 2002 en vue de la protection des mineurs roumains en difficulté sur le territoire de la République française et de leur retour dans leur pays d’origine. Il est également destiné à lutter contre les réseaux d’exploitation liés au crime organisé.

En 2001, j’avais eu l’occasion d’accompagner, en qualité de parlementaire, le Premier ministre de l’époque et plusieurs membres de son gouvernement dans les négociations préparatoires à l’accord de 2002. Par ailleurs, ayant longtemps été maire d’une ville jumelée avec une ville de Roumanie, je suis très sensible à ces questions et fortement engagé dans le soutien à l’action en faveur de ces jeunes en grande déshérence, y compris dans leur propre pays.

Le premier accord franco-roumain avait été signé pour une durée de trois ans par les Premiers ministres de France et de Roumanie en 2002. Entré en vigueur le 1er février 2003, il prévoyait une coopération bilatérale interministérielle, par le biais principalement d’un groupe de liaison opérationnelle, ou GLO, comprenant des professionnels de terrain des institutions judiciaires, policières et de protection de l’enfance des deux pays afin de favoriser la mise en place d’outils pratiques de coopération opérationnelle.

D’emblée, le GLO a associé à ses travaux des organisations non gouvernementales qui, dès la chute du régime de Ceausescu, s’étaient impliquées dans l’action en faveur de jeunes, orphelins ou non, qui vivaient dans les pires conditions. J’ai eu l’occasion de rencontrer à l’époque des représentants de ces ONG, tant en France qu’en Roumanie.

Le bilan de la mise en œuvre de cet accord, avec plus de 300 demandes d’enquête sociale et 500 demandes d’identification de mineurs satisfaites par les autorités roumaines, a été jugé positif par les deux parties.

Il faut également souligner que le travail accompli par le GLO a permis d’aider la Roumanie à réformer profondément son système de protection de l’enfance, notamment grâce à un plan d’action contre les trafics d’enfants et en faveur des victimes, à un programme de prévention des départs et à la création d’un réseau de onze centres d’accueil pour mineurs isolés en Roumanie.

Les travaux du GLO ont dû être interrompus fin 2006, du fait de la caducité de l’accord de 2002. Il était donc nécessaire de conclure un nouvel accord, qui fut signé le 1er février 2007. Les deux parties ont, par ailleurs, décidé de reconduire le premier accord sur des bases améliorées.

Le nouvel accord est, par conséquent, l’aboutissement de cinq années d’une coopération que les deux parties souhaitent renforcer du point de vue juridique et opérationnel. Il a été négocié sur la base des recommandations pratiques du GLO, dont la présidence a été attribuée au ministère de la justice.

L’accord qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation vise donc deux objectifs : d’une part, l’amélioration de la protection des mineurs roumains exposés à des risques d’abus ou d’exploitation, au besoin par leur rapatriement et leur réintégration en Roumanie dans le contexte amélioré et encore améliorable que j’évoquais à l’instant ; d’autre part, le renforcement de la coopération judiciaire en matière de lutte contre la délinquance itinérante et les réseaux d’exploitation de mineurs.

Tout d’abord, les nouvelles dispositions de l’accord permettront d’améliorer l’identification des mineurs roumains isolés sur le territoire français, qu’ils soient victimes ou auteurs d’infractions pénales, et de mieux assurer leur protection et leur réintégration en Roumanie par un échange d’informations sur leur état civil et un suivi de leur réintégration sociale après leur retour. Je souligne que 40 % des 6 000 mineurs étrangers isolés vivant en France sont roumains.

Nous avons prévu, à l’article 1er, l’échange d’informations entre autorités roumaines et françaises sur la situation des mineurs roumains isolés et sur les réseaux les exploitant, ce qui doit permettre de mieux prévenir les risques d’exploitation ou de représailles contre les mineurs ainsi remis à leurs parents en Roumanie. Ces réseaux, dont je connais bien les pratiques, sont désormais présents dans de nombreuses villes françaises. Il s’agit de clans mafieux, extrêmement durs, dont l’activité s’exerce à la fois sur notre territoire et en Roumanie. Des reportages télévisés ont montré comment ils s’enrichissent de manière scandaleuse, en recourant à tous les moyens. La question des représailles contre les mineurs remis à leurs parents n’est donc pas purement théorique !

Nous avons également souhaité définir un cadre précis de procédure à suivre pour assurer l’effectivité de la prise en charge des mineurs roumains isolés à leur retour : saisine de la justice roumaine par le parquet des mineurs ou le juge des enfants pour réalisation d’une enquête sociale ; demande, le cas échéant, par la justice roumaine du rapatriement du mineur, suivie d’une décision de rapatriement prise par le juge des enfants ou le parquet des mineurs si la procédure dure moins de huit jours.

Dans la très grande majorité des cas, au vu des délais nécessaires à l’enquête sociale, la décision finale reviendra, dans la pratique, au juge des enfants. Je peux indiquer que, contrairement à certaines craintes exprimées, le parquet interviendra seulement dans les situations d’urgence avérée, lorsque, par exemple, il sera mis un terme à la fugue d’un mineur dont le juge des enfants avait effectivement préparé et concerté le retour dans son pays.

Par ailleurs, des instructions seront données aux procureurs pour préciser les modalités de leur intervention. Qu’ils soient du siège ou du parquet, les magistrats sont à la fois des professionnels du droit et des êtres humains sensibles aux situations auxquelles ils sont confrontés. Il n’est pas douteux qu’ils sauront concilier le respect de la loi et l’exigence d’humanité.

Dans ces situations, il va de soi que le magistrat du parquet pourra mettre en œuvre le retour du jeune sans nouvelle saisine du juge des enfants. C’est bien l’intérêt supérieur de l’enfant qui est alors en jeu. Tant le juge des enfants que, le cas échéant, le procureur sauront l’apprécier. Dans ce cadre très précis, nous sommes loin des débats généraux, tout à fait justifiés par ailleurs, sur le rôle du parquet.

Le Gouvernement estime qu’il est aujourd’hui urgent d’approuver cet accord, signé il y a plus de trois ans, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, l’interruption des travaux du GLO depuis 2006 limite fortement la coopération franco-roumaine dans le domaine de la protection de l’enfance, au détriment de cette dernière.

En outre, il s’agit d’une demande constante des autorités roumaines, la Roumanie ayant elle-même approuvé cet accord au mois d’octobre 2007.

L’enjeu, pour nos partenaires, est d’achever leur intégration au sein de l’Union européenne et de mettre leur système de protection de l’enfance au niveau de ceux d’Europe de l’Ouest. L’aide de la France est à cet égard cruciale. En effet, il existe, à côté de cet accord, une véritable coopération, tant nationale que décentralisée, à l’échelon des villes, des régions et des départements, lesquels sont extrêmement actifs au titre de leur compétence sociale.

Enfin, cette coopération est une nécessité au regard de la forte augmentation, depuis le début de l’année 2009, de la criminalité du fait de ressortissants roumains sur le territoire français.

Ainsi, pour la seule agglomération parisienne, alors que, en 2008, quelque 1 300 Roumains avaient été mis en cause, ce nombre s’élève à plus de 3 150 pour l’année 2009, dont près de 1 200 mineurs, soit 38 % environ du total. Ces mineurs sont principalement mis en cause dans des affaires de vol ou d’escroquerie, mais aussi, et de plus en plus, dans des affaires de vol avec violence, avec près de 200 mises en cause à ce titre en 2009.

La responsabilité pénale atténuée dont bénéficie tout mineur conformément aux dispositions de l’ordonnance de 1945 est ainsi mise à profit par des réseaux de criminalité organisée.

Face au véritable enjeu de sécurité publique que représente, pour la France, la délinquance du fait de mineurs roumains, nous ne pouvons pas nous permettre de rester inactifs. La Roumanie est l’un des principaux pays d’origine des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire français.

N’oublions pas que nombre des mineurs auteurs d’infractions sont également des victimes, qui agissent souvent contraintes et forcées pour le compte de bandes organisées. Eux aussi ont droit à notre protection.

En la matière, il faut reconnaître que les outils traditionnels de protection de l’enfance, comme le placement en foyer, ne sont pas adaptés s’agissant de réseaux de trafic d’êtres humains à même de menacer les mineurs de représailles, sur leur personne ou contre leur famille, et ne permettent pas d’assurer réellement leur protection et leur réinsertion.

C’est la raison pour laquelle la France et la Roumanie ont adopté cet accord fondé sur une double approche : protection des mineurs et répression des réseaux les exploitant. Le Gouvernement vous demande donc de permettre l’entrée en vigueur de cet accord intergouvernemental en adoptant le projet de loi qui vous est présenté aujourd’hui. Il répond à un besoin des professionnels de terrain ainsi qu’à l’attente de nos concitoyens face à des situations dramatiques.

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