Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 février 2016 à 9h00
Droit des étrangers en france — Examen des amendements

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur :

La semaine dernière, le président Bas a conduit une délégation de notre commission à Athènes et dans l'île grecque de Lesbos. Elle se composait de MM. Collombat, Frassa, Kaltenbach, Leconte, Zocchetto ainsi que Mmes Deromedi et Di Folco et votre serviteur. Ce déplacement s'inscrivait dans le cadre de notre mission de suivi et de contrôle du dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés. L'objectif était d'observer la mise en place des hotspots et la mise en oeuvre de la procédure de relocalisation. Le hotspot de Lesbos est, à ce jour, le seul à être effectivement ouvert avec celui de Lampedusa en Italie.

En 2015, 856 723 migrants sont arrivés en Grèce, dont plus de 851 000 par voie maritime. Cela représente 82 % des arrivées en Europe. Lesbos en a accueilli dans les 500 000, soit 58,4 % des arrivées en Grèce et 48 % des arrivées en Europe. L'île se situe à quelques encablures de la Turquie, seul un bras de mer d'une dizaine de kilomètres sépare les deux pays.

La procédure de relocalisation, créée par deux décisions du Conseil de l'Union européenne des 14 et 22 septembre 2015, représente une dérogation temporaire au Règlement « Dublin ». Elle consiste à transférer certains demandeurs d'asile de la Grèce ou de l'Italie vers d'autres pays de l'Union où sera instruite leur demande d'asile.

La clé de répartition entre les pays est fondée sur plusieurs critères : la taille de la population pour 40 % ; le produit intérieur brut pour 40 % ; le nombre moyen de demandes d'asile antérieures pour 10 % et le taux de chômage pour 10 %. La France doit ainsi accueillir 30 750 personnes en deux ans.

La procédure de relocalisation est ouverte aux personnes arrivées en Grèce ou en Italie entre le 24 mars 2015 et le 26 septembre 2017, qui ont introduit une demande d'asile dans ces pays et dont la nationalité atteint au moins 75 % de taux de reconnaissance d'une protection internationale dans les pays de l'Union européenne. En pratique, les Syriens, les Erythréens, les Irakiens, les Centrafricains et les Yéménites.

Dans un souci de bonne intégration dans le pays de relocalisation, le choix de ce dernier se fonde sur les compétences linguistiques et les liens familiaux culturels ou sociaux du demandeur. La capacité d'accueil des États est également prise en compte.

Selon l'article 5 de la décision du Conseil européen du 22 septembre 2015, les États communiquent au moins une fois par trimestre leur capacité d'accueil. La relocalisation est proposée par les autorités italiennes et grecques avec l'aide du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO). L'État membre ne peut refuser la relocalisation que si le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou l'ordre public ou s'il existe des motifs sérieux d'exclusion du statut de réfugié.

Fait peu connu, l'État de relocalisation reçoit 6 000 euros pour chaque demandeur d'asile, et l'Italie ou la Grèce 500 euros, financés sur le fonds « asile, migration et intégration ».

Au 24 janvier, 646 personnes ont été proposées à la relocalisation depuis la Grèce pour 595 places offertes ; 416 relocalisations ont été acceptées. La France, qui a offert 70 puis 100 places, a été sollicitée pour 176 relocalisations. Elle en a accepté 103 et rejeté 8. La France est ainsi le premier État d'accueil des demandeurs d'asile relocalisés depuis la Grèce, probablement parce qu'il est le pays ayant le mieux structuré sa procédure.

L'île de Lesbos compte plus de 3 000 places sur six sites, dont le hotspot de Moria, créé le 8 octobre 2015. Par définition, un hotspot enregistre et filtre les migrants. Les autorités grecques y sont soutenues par 114 agents de Frontex et 6 agents de l'EASO. Ceux qui ne peuvent prétendre à la relocalisation doivent formuler une demande d'asile à la Grèce ; les migrants non demandeurs d'asile se voient notifier leur retour dans leur pays d'origine.

Malgré l'hiver, 2 000 à 3 000 personnes arrivent chaque jour sur l'île de Lesbos, essentiellement en provenance de Turquie, sur de petites embarcations. La traversée est très rapide. Soit les passeurs désignent un responsable dans le bateau, soit ils y montent eux-mêmes et changent d'embarcation à mi-chemin en laissant les migrants. Certains se jettent à la mer pour bénéficier de la procédure de sauvetage.

La mise en place du hotspot de Lesbos a été longue et laborieuse. Si la décision de le créer a été prise en septembre, elle n'a été effective que bien après. Il fonctionne presque normalement depuis peu de temps. Son premier rôle est d'identifier la nationalité des personnes, de les enregistrer puis de les orienter vers une demande d'asile en Grèce, une relocalisation ou un retour.

Selon les autorités grecques, la moitié des arrivants peuvent prétendre à l'asile, les autres relevant de l'immigration économique. Tous reçoivent une injonction de quitter le territoire sur un bout de papier de la taille d'une carte postale. Dès lors, ils ont un mois pour quitter la Grèce, sauf les Syriens qui bénéficient de six mois. Le document les autorise à se rendre au Pirée, le port d'Athènes, d'où ils sont censés faire des démarches en vue de l'asile ou rentrer chez eux - ce qu'ils ne font pas. Ils continuent leur chemin vers l'Allemagne et le nord de l'Europe par les Balkans. Si la frontière avec la Macédoine était fermée, la situation serait intenable en Grèce. En pratique, les migrants peuvent atteindre l'Allemagne en deux jours quand les candidats à la relocalisation doivent attendre au moins deux mois le résultat de la procédure. Cela encourage les arrivants à mettre en place des stratégies. Un meilleur contrôle aux frontières grecques rendrait la procédure de relocalisation plus intéressante.

Le contrôle de l'identité des migrants est insuffisamment approfondi. La première approche des autorités grecques assistées de Frontex relève d'un système déclaratif, sans croisement avec des fichiers. L'interface entre les bornes Eurodac et le fichier européen fonctionne mal. Néanmoins, ont pu être identifiés dès leur passage dans le hotspot, des personnes appartenant à des réseaux terroristes - le chiffre exact n'est pas communicable. On essaie aussi d'y déterminer les auteurs d'infractions pénales, qui font alors l'objet d'une procédure en Grèce. Les passeurs sont turcs à 80 %, ce qui exacerbe la tension entre la Grèce et la Turquie.

Le printemps verra augmenter fortement le nombre de migrants. Le dispositif établi en Grèce et en Italie suffira-t-il à gérer les flux ? La réponse est plutôt réservée. Il faut continuer à aider la Grèce à se structurer pour améliorer le contrôle et traiter les problèmes au Moyen-Orient, à la source, pour combattre les mafias qui organisent la traite des réfugiés.

En 2015, les migrants arrivant en Grèce par la mer Égée étaient des hommes à 55 %, des femmes à 17 % et des enfants à 28 %. En 2016, la proportion est respectivement de 43 %, 21 % et 36 %.

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