Intervention de Catherine Tasca

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 février 2016 à 9h20
Assistance médicale à la procréation et à la gestation pour autrui — Examen du rapport d'information

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca, rapporteure :

Nous avons travaillé en plein accord, et nous partagerons la présentation de ce rapport, qui porte sur un sujet présentant une grande difficulté technique.

Peu de questions suscitent autant de débats et de passions dans la société civile que celles que vous nous avez chargés de traiter. Sans doute est-ce parce que s'y confrontent des impératifs que leurs promoteurs présentent chacun comme plus légitimes que les autres : l'intérêt supérieur des enfants, le droit de mener une vie familiale normale, le droit à l'identité, ou certains principes éthiques majeurs comme l'indisponibilité de l'état des personnes, l'inviolabilité et la non-patrimonialité du corps humain. À cela s'ajoute le désir d'enfant, si subtilement décrit par le doyen Jean Carbonnier, dans son ouvrage Droit et passion du droit sous la Cinquième République : « Plus impalpable que le besoin, le désir : le désir d'enfant, intensément éprouvé, des couples sans enfant aspire à être transcendé en un droit à l'enfant ».

Ce désir d'enfant est bien le moteur des revendications qui se sont fait jour récemment en matière d'assistance médicale à la procréation (AMP) et de gestation pour autrui (GPA). Nous décrirons dans quelques instants plus en détail la stratégie suivie par ces couples qui ont cherché à mettre en échec les interdits structurants de notre droit national en recourant, à l'étranger, aux techniques prohibées en France.

Toute la difficulté vient de ce qu'au centre de cette politique du fait accompli, il y a un enfant, qui ne peut être tenu pour responsable des actes de ses parents et ne doit, par conséquent, pas être la victime de la répression qui s'ensuit. Cette dernière préoccupation doit-elle cependant primer toutes les autres et emporter la décision ? D'autres exigences, qui traduisent les principes humanistes qui inspirent notre code civil, ne doivent-elles pas, au contraire, prévaloir ? Telles sont les questions que nous nous sommes posées.

Le débat ne pourra progresser que si l'on parvient à avoir une vue sincère et authentique de l'état du droit et de la réalité de la situation des personnes concernées, débarrassée des slogans ou des anathèmes, qui desservent la vérité. Les enfants concernés sont-ils bien « des fantômes de la République » ? Leur vie est-elle impossible ? Tout est-il déjà écrit ou le législateur a-t-il encore la main ? Peut-on faire comme si les décisions des juges européens ou nationaux ne s'imposaient pas à nous ?

Nous avons cherché à concilier la défense légitime des principes éthiques qui traduisent notre conception humaniste de la société et la préservation du droit des familles concernées à vivre, autant possible, comme les autres. Nous ne pouvons plus nous contenter de laisser les juges décider seuls, comme ils ont été contraints de le faire, dans le silence du législateur. Il appartient aujourd'hui au Parlement et au Gouvernement de se saisir de la question.

La législation relative à l'AMP et à la GPA a été fixée par les lois bioéthiques du 29 juillet 1994. Le régime retenu pour l'assistance médicale à la procréation est celui d'un encadrement strict : sont seules autorisées les inséminations artificielles ou les fécondations in vitro, avec recours ou non à des dons d'ovocytes, de spermatozoïdes ou d'embryons. Les techniques autorisées de l'AMP ne s'adressent qu'aux couples hétérosexuels en âge de procréer qui présentent une infertilité médicalement constatée. Un célibataire, un couple homosexuel ou un couple trop âgé ne peuvent y avoir accès. La notion d'infertilité sociale, parfois utilisée pour désigner le fait que les choix de vie légitimes de certaines personnes - en clair, les couples homosexuels - ne leur permettent pas d'avoir un enfant naturellement, est totalement étrangère au droit français, qui ne s'attache qu'à l'infertilité médicale.

La gestation pour autrui désigne l'opération par laquelle un couple - les parents d'intention - demande à une femme de porter pour eux un enfant qu'elle s'engage à leur remettre à sa naissance. Elle est traitée à part et fait l'objet d'une prohibition absolue, l'article 16-7 du code civil disposant que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ». Cette prohibition civile s'accompagne d'une répression pénale assurée par les articles 227-12 et 227-13 du code pénal, qui punissent la substitution ou la dissimulation volontaire d'enfant, ainsi que la provocation à l'abandon d'enfant ou l'entremise en vue de cet abandon.

Le désir d'enfant a conduit certains couples qui étaient exclus du bénéfice des techniques procréatives précitées à y recourir, malgré tout, à l'étranger, dans des pays où celles-ci sont légales : par exemple, la Belgique ou l'Espagne s'agissant du recours à l'AMP par des femmes célibataires ou des couples de femmes, et les États-Unis, l'Inde, l'Ukraine ou le Canada s'agissant du recours à la GPA par des couples hétérosexuels ou des couples homosexuels. Nous ne disposons pas de statistiques fiables sur le nombre d'enfants français qui naissent chaque année dans le cadre d'une GPA. En 2014, le ministère de la justice a été saisi de 47 dossiers dans lesquels une GPA était suspectée. Il faut cependant tenir compte du caractère souvent clandestin de ces pratiques. Alors qu'au Royaume-Uni la pratique est légale sous certaines conditions, 271 couples britanniques ont eu recours à une GPA à l'étranger cette même année 2014.

Une fois l'opération réalisée, ces couples reviennent en France et certains revendiquent la reconnaissance de la filiation ainsi établie à l'étranger. Pour les couples de femmes ayant eu recours à une AMP, il s'agit d'obtenir l'adoption de l'enfant par la conjointe de la mère. Dans le cas de la GPA, une fois la filiation entre l'enfant et les parents d'intention établie au regard du droit étranger, les couples ont eu recours à deux stratégies. La première était, comme en matière d'AMP, de faire établir directement le lien de filiation avec le parent d'intention, par adoption, reconnaissance de maternité ou possession d'état. L'autre stratégie, plus récente, consistait à tenter d'obtenir la transcription de l'acte étranger dans les registres de l'état civil français. Cette transcription vise à faciliter la preuve de la filiation à l'égard des administrations, puisqu'elle permet d'obtenir la délivrance de copies d'état civil qui attestent de la filiation alléguée.

Le droit français s'est alors trouvé confronté d'une part à une situation légale qu'il n'autorise pas - dans le cas de l'AMP - et, d'autre part, à une situation qu'il prohibe expressément - dans le cas de la GPA.

Le recours à l'AMP à l'étranger par les couples de femmes semble s'être accéléré récemment. Selon des travaux de sociologie, au sein de couples de femmes avec enfants interrogés en 2012, pour les enfants les plus âgés, la proportion d'enfants issus d'une union hétérosexuelle est bien plus importante que la proportion d'enfants conçus par insémination artificielle avec donneur : 52 % des enfants de plus de 5 ans contre 24 %. Cette tendance s'inverse complètement pour les enfants plus jeunes. Seulement 2 % des enfants de moins de 5 ans sont issus d'une relation hétérosexuelle alors que 74 % ont été conçus par insémination artificielle avec donneur.

Une fois l'insémination artificielle avec donneur de spermatozoïdes réalisée à l'étranger, ces couples reviennent en France. La filiation de l'enfant est alors établie sans difficulté à l'égard de la mère qui accouche, en application de la règle mater semper certa, et l'épouse de la mère dépose une demande d'adoption, comme le lui permet la loi du 17 mai 2013 relative aux couples de personnes de même sexe, qui a ouvert l'adoption aux couples homosexuels.

Les juges saisis de la demande d'adoption se trouvent donc confrontés à une situation de conception de l'enfant que le droit français n'autorise pas.

Pour autant, bien que cette confrontation ait donné lieu à d'importantes divergences jurisprudentielles, elle ne se rencontre que rarement. Dans la plupart des cas, les juges ignorent purement et simplement les modalités de conception de l'enfant.

En effet, à moins de le révéler, le recours à une AMP est indécelable. Si le parquet peut le soupçonner, il est difficile à prouver car il suffit au couple concerné d'affirmer que l'enfant a été conçu lors d'une relation hétérosexuelle n'ayant pas donné lieu à l'établissement d'un lien de filiation à l'égard du père. La femme qui a eu recours à une insémination artificielle avec donneur à l'étranger bénéficie, comme toute femme enceinte, d'un suivi médical de sa grossesse et d'un accouchement en France, sans avoir à révéler, à aucun moment, les modalités de conception de l'enfant. Cet état de fait est confirmé par le nombre de décisions d'adoption de l'enfant du conjoint. Selon la chancellerie, entre le 13 mai 2013 et le 17 juillet 2014, 254 décisions ont prononcé l'adoption plénière et neuf décisions seulement l'ont refusée.

Ce n'est que dans les cas où le recours à une AMP a été révélé au cours de la procédure que les juges ont été amenés à se prononcer sur l'existence d'un contournement de la loi française. Dans ces hypothèses, certains tribunaux de grande instance ont choisi de prononcer l'adoption de l'enfant ainsi conçu alors que d'autres s'y sont refusés sur le fondement de l'existence d'une fraude à la loi française. Face à ces divergences jurisprudentielles, la Cour de cassation a été saisie de la question. Dans deux avis du 22 septembre 2014, elle a estimé que le recours à une insémination artificielle avec donneur à l'étranger ne faisait pas obstacle au prononcé de l'adoption de l'enfant par l'épouse de la mère, dès lors que les conditions légales de l'adoption étaient réunies et qu'elle était conforme à l'intérêt de l'enfant.

À notre tour, nous devons nous prononcer sur les suites à donner à de telles demandes. Nous avons écarté l'idée de faire échec à l'adoption, par la conjointe de la mère, de l'enfant conçu par AMP à l'étranger. Pour atteindre un tel objectif, le législateur aurait pu traiter l'AMP comme la GPA et prohiber expressément les AMP effectuées en violation des conditions du droit français. Nous n'avons pas retenu cette première option car l'AMP ne pose pas les mêmes questions éthiques que la GPA, puisqu'elle est d'ores et déjà autorisée dans notre droit à certaines conditions.

Le législateur aurait également pu prévoir, au moment de l'adoption, que le juge s'assure que l'enfant a bien été conçu en conformité avec les règles du droit français. Nous avons également écarté cette seconde option car, en droit français, sauf action particulière, la filiation est établie sans contrôle des conditions de conception de l'enfant. Prévoir le contraire aurait emporté un changement radical du modèle existant et risqué de porter atteinte au respect de la vie privée. Une telle réforme se serait en outre heurtée à d'importantes difficultés pratiques. En effet, comment prouver que l'enfant a été conçu par AMP à l'étranger ? Il suffirait au couple concerné de prétendre que l'enfant est né d'une relation hétérosexuelle antérieure.

Nous écartons également l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes. Une telle réforme suppose de modifier les conditions d'accès à ces techniques, en supprimant celle de l'altérité sexuelle du couple et l'exigence que son infertilité soit médicalement constatée.

Nous n'avons pas retenu cette proposition, car la suppression de l'exigence d'une infertilité médicalement constatée bouleverserait la conception française de l'AMP, en ouvrant la voie à un « droit à l'enfant » et à une procréation de convenance. Cette réforme aurait également pour conséquence de bouleverser nos règles d'établissement de la filiation.

En effet, si le choix était fait d'ouvrir l'accès à l'AMP aux couples de femmes, l'établissement du lien de filiation à l'égard de l'enfant ne pourrait plus se fonder, comme actuellement, sur l'assimilation de l'engendrement avec tiers donneur à une procréation charnelle du couple receveur. Les règles du droit commun seraient désormais inapplicables.

Il faudrait prévoir un nouveau mode d'établissement de la filiation passant, par exemple, par une « déclaration commune anticipée de filiation » faite devant le juge ou le notaire, comme le proposent Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer dans leur rapport Filiation, origines, parentalité.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous avons choisi de ne pas proposer de modifier les conditions d'accès à l'AMP. Puisque nous ne proposons pas de faire échec à l'adoption de l'enfant conçu par AMP à l'étranger ni, à l'inverse, d'ouvrir l'AMP en France aux couples de femmes, nous nous sommes orientés vers la voie médiane tracée par la Cour de cassation dans ses deux avis du 22 septembre 2014. À cette occasion, la Cour a validé la possibilité pour l'épouse de la mère d'adopter l'enfant de celle-ci, sans modifier les conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation fixées par le droit français.

Cette solution a le mérite de s'articuler sans difficultés avec les règles françaises. La mère est bien celle qui a accouché de l'enfant et l'adoption de celui-ci par sa conjointe est autorisée par la loi du 17 mai 2013, qui n'a pas subordonné le prononcé de l'adoption à un contrôle des modalités de conception de l'enfant.

Elle préserve, en outre, la structure des règles d'établissement de la filiation tout en tenant compte, de manière pragmatique, des situations de fait et de l'intérêt supérieur de l'enfant à voir sa filiation établie à l'égard de l'épouse de sa mère.

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