Intervention de Yves Détraigne

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 février 2016 à 9h20
Assistance médicale à la procréation et à la gestation pour autrui — Examen du rapport d'information

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur :

En dépit de sa remise en cause actuelle, il nous semble nécessaire de réaffirmer la prohibition de la GPA, dont la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a fragilisé l'effectivité.

Jusqu'à récemment, la stratégie des couples qui cherchaient à faire reconnaître en France la filiation établie, par GPA, à l'étranger s'était heurtée au refus de la Cour de cassation, qui réaffirmait le caractère d'ordre public de la prohibition de la GPA et invalidait, par conséquent, les demandes de transcription, de reconnaissance de filiation ou d'adoption présentées par les parents d'intention. La Cour de cassation avait même durci sa position en 2013, en estimant que le recours à la GPA était constitutif d'une fraude et qu'en conséquence, cette fraude entachait tous les actes qui en découlaient, qui devaient être tenus pour invalides.

Cette jurisprudence a été remise en cause par les décisions Mennesson et Labassée de la CEDH rendues le 26 juin 2014, dont la portée a été beaucoup discutée en doctrine.

Dans un premier temps, ces arrêts reconnaissent le droit à chaque État membre d'interdire le recours à la GPA. Ils constatent aussi que les conditions de cette prohibition en France ne portent pas atteinte au droit des parents comme des enfants de vivre une vie familiale normale, en dépit des difficultés administratives qu'ils peuvent rencontrer.

Toutefois, ces mêmes arrêts concluent dans un second temps à une violation du droit des enfants au respect de leur vie privée. En effet, la Cour estime que le droit à l'identité est une composante de ce droit au respect de la vie privée. Elle considère donc que l'identité des enfants nés de GPA est atteinte en ce que la France refuse de reconnaître leur filiation biologique paternelle.

Certains auteurs, ainsi que les promoteurs de la reconnaissance des filiations issues de GPA, ont défendu une lecture extensive de cette décision, en faisant valoir que le raisonnement de la Cour devait être étendu à la filiation biologique maternelle. Une telle interprétation obligerait la France à reconnaître la filiation maternelle si la mère d'intention a fourni à la mère porteuse ses ovocytes.

Toutefois la doctrine, dans son immense majorité, n'a pas retenu cette interprétation. En effet, celle-ci procède d'une assimilation abusive entre filiation biologique paternelle et filiation biologique maternelle. Or, le biologique ne se réduit pas forcément au génétique. C'est d'ailleurs tout le problème en matière de GPA, puisque la mère porteuse accouche biologiquement de l'enfant. Surtout, imposer la reconnaissance de la filiation génétique maternelle reviendrait, pour la CEDH, à invalider la règle selon laquelle la mère est celle qui accouche. Or cette règle du droit civil est une règle fondamentale de notre droit de la filiation. La Cour s'est bien gardée de s'engager dans la voie d'une telle remise en cause.

En revanche, en ce qui concerne la filiation biologique paternelle, sa décision s'impose à la France et l'oblige à en accepter l'établissement ou la transcription à l'état civil, ce qui fragilise l'effectivité de la prohibition de la GPA, puisque la GPA réalisée à l'étranger ne peut être absolument privée d'effets en France.

Le Conseil d'État et la Cour de cassation en ont d'ores et déjà tenu compte. Le premier a ainsi validé la circulaire de la ministre de la justice, qui visait à octroyer un certificat de nationalité aux enfants nés de GPA à l'étranger, si l'un de leur parent est français. On a ainsi résolu certaines situations inextricables dans lesquels la France refusait à l'enfant né de GPA les papiers nécessaires pour revenir en France, alors même que l'État sur le territoire duquel la GPA avait été réalisée refusait de reconnaître l'intéressé comme son ressortissant.

La Cour de cassation a, quant à elle, admis par deux arrêts du 3 juillet 2015 la transcription d'un acte d'état civil étranger résultant d'une GPA, après avoir toutefois constaté que les allégations de cet acte correspondaient à la réalité - en l'espèce, la mère désignée dans l'acte de naissance était bien la mère porteuse. La presse a hâtivement considéré que ces arrêts tranchaient la question. Or, compte tenu des particularités des espèces, la Cour de cassation a évité de se prononcer sur la question cruciale. En effet, le père biologique étant en couple avec un autre homme, l'acte d'état civil russe mentionnait seulement la mère porteuse comme mère de l'enfant, ce qui correspondait à la réalité de la filiation aux yeux du droit français. Ce n'est que lorsque le conjoint du père biologique demandera à adopter l'enfant que le juge judiciaire devra se prononcer sur les conséquences à tirer du recours frauduleux à la GPA. En effet, l'adoption apparaîtra alors comme l'aboutissement d'un processus visant à créer une double filiation paternelle à l'égard d'un enfant par le recours à la GPA.

Les arrêts de la CEDH ont nourri un intense débat, qui a vu s'affronter les promoteurs de la GPA, ses opposants et ceux qui, sans défendre cette pratique, souhaitaient faire prévaloir l'intérêt des enfants.

Ce débat est faussé par deux idées inexactes. La première est que les enfants issus de GPA seraient des « fantômes de la République », comme nous l'avons beaucoup entendu. Or, comme le ministère de la justice nous l'a confirmé, ces enfants peuvent vivre en France, sur la base de l'acte d'état civil étranger, exactement comme le font chaque jour les enfants de couples étrangers ou les jeunes Français, nés à l'étranger, pour lesquels les parents n'ont pas demandé la transcription de leur acte de naissance à l'état civil français. Certes, ils font face à quelques difficultés administratives, mais, comme la CEDH l'a d'ailleurs reconnu, ces difficultés ne sont pas constitutives d'une atteinte excessive à leur droit à mener une vie familiale normale.

Ainsi, un juge saisi d'un problème lié à l'autorité parentale ou à la nationalité de l'enfant s'appuiera sur l'acte d'état civil étranger pour le régler. De même, et contrairement à ce qui a pu être soutenu, il est vraisemblable qu'un enfant né de GPA pourra hériter de sa mère d'intention sur la base de l'acte d'état civil étranger.

Il est vrai que la jurisprudence de la Cour de cassation de 2013 a créé un doute : la fraude corrompt tout. Devait-on en conclure qu'il fallait priver l'acte étranger de tout effet juridique ? Les décisions de 2015 ont levé tout doute à ce sujet, puisque la Cour de cassation a accepté la transcription de l'acte étranger, indépendamment de la circonstance du recours éventuel à la GPA. Ceci signifie que la Cour accepte de distinguer entre les conséquences qu'il faut tirer du recours à la GPA.

La seconde idée fausse est que l'instauration en France d'une GPA éthique réduirait le recours aux GPA à l'étranger. Or le pays européen dont les ressortissants recourent le plus à des GPA à l'étranger est le Royaume-Uni qui a pourtant mis en place une GPA éthique depuis le milieu des années 1980. La raison en est toute simple : les vocations altruistes manquent pour satisfaire la demande des couples en désir d'enfant.

Quel équilibre proposer entre l'impératif qui s'attache à la prohibition de la GPA et le souci de permettre aux enfants concernés de vivre une vie familiale aussi normale que possible ? Commençons par écarter deux options opposées.

D'une part, il faut refuser d'entériner le principe d'une transcription complète de l'acte d'état civil étranger, ce qui reviendrait à priver d'effets la prohibition de la GPA. D'autre part, il ne nous semble pas non plus opportun de s'en remettre à la sagesse de la Cour de cassation. Le législateur n'a pas à se défausser sur le juge d'une décision éthique aussi importante.

Il nous semble plus que jamais nécessaire, au moment même où elle est fragilisée, de réaffirmer notre attachement à la prohibition de la GPA, au nom des principes humanistes qui la justifient. Ce renforcement de la prohibition de la GPA est susceptible d'emprunter deux voies.

La première est celle du durcissement de la répression pénale, par le relèvement des quantums de peines encourues. Nous sommes conscients du caractère largement symbolique de ce renforcement, dans la mesure où rares sont les faits qui peuvent être poursuivis en France. Toutefois, les symboles ont aussi leur importance, et la réponse que nous vous proposons ne s'y limite pas.

La seconde proposition pour consolider la prohibition de la GPA est d'engager le Gouvernement à conduire des négociations internationales, multilatérales ou bilatérales, afin d'obtenir des pays pratiquant la GPA qu'ils interdisent aux ressortissants français d'y recourir.

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