Intervention de Yves Détraigne

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 février 2016 à 9h20
Assistance médicale à la procréation et à la gestation pour autrui — Examen du rapport d'information

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne, rapporteur :

Nous sommes conscients que cette négociation demandera du temps. Toutefois il y a, nous semble-t-il, plusieurs raisons d'espérer.

Tout d'abord, il y a un précédent : la convention de La Haye sur l'adoption prévoit, en son article 17, qu'aucun État signataire ne peut prononcer une adoption en faveur de ressortissants étrangers s'il ne s'est pas préalablement assuré qu'ils étaient autorisés à adopter dans leur propre pays. Ensuite, on constate que plusieurs pays réfléchissent à interdire le recours à la GPA par des couples étrangers. C'est le cas au Royaume-Uni depuis l'origine. Ce fut le cas en Grèce jusqu'à très récemment. L'Inde et la Thaïlande ont pris des engagements en ce sens, suite à des scandales retentissants.

À nos yeux, la réaffirmation par la France de la prohibition de la GPA constitue un préalable, même s'il ne faudra pas attendre le succès de la négociation internationale pour prendre, en France, les mesures qui s'imposent. En effet, une fois ce préalable posé, il conviendra d'apporter une réponse à la situation créée par la nouvelle jurisprudence de la CEDH. Comment concilier alors le respect de la prohibition de la GPA avec la prise en compte de la situation des enfants nés de GPA ? Nous recommandons de s'en tenir à une lecture stricte des exigences posées par la CEDH.

Prétendre qu'on puisse faire moins serait juridiquement faux : les juges français feront prévaloir la Convention européenne des droits de l'homme, telle qu'interprétée par la CEDH, sur toute loi qui y serait contraire. En revanche, nous n'avons aucune obligation juridique à aller plus loin que ce que demande la CEDH.

Quel est notre proposition dans ce strict cadre ? Nous aurions pu nous contenter d'inscrire dans la loi le principe selon lequel la filiation biologique paternelle dûment établie est transcrite à l'état civil français. Cette solution, assez simple, présentait deux inconvénients : d'une part, elle conduisait à la transcription, certes partielle, d'un acte étranger qui établit, par ailleurs, une filiation interdite au regard du droit français ; d'autre part, elle ne nous permet pas de réaffirmer symboliquement la prohibition de la GPA. Nous l'avons donc écartée.

La proposition que nous formulons est tout autre : autoriser expressément l'enfant, et lui seul, à faire établir sa filiation dans le respect strict des exigences du droit français. L'enfant pourrait donc agir en recherche de paternité ou de maternité, dans les conditions du droit actuel. Il pourrait ainsi faire reconnaître sa filiation paternelle biologique, ce qui satisferait les conditions posées par la CEDH. En revanche l'établissement d'un lien de filiation avec le parent d'intention ne serait pas possible, car ce serait contraire à la règle fondamentale de notre droit civil selon laquelle la mère est celle qui accouche. Dans le cas d'un couple d'hommes, la filiation d'intention du compagnon du père biologique ne pourra non plus être établie sur la base de cette action en recherche de filiation. L'impératif de prohibition de la GPA serait ainsi respecté.

À nos yeux, cette deuxième option présente trois mérites par rapport à la première, qui justifient de la privilégier.

Tout d'abord, elle ne reconnaît qu'à l'enfant le pouvoir de faire établir sa filiation. Symboliquement, cela sanctionne le fait que les parents ont contourné la loi française et qu'ils ne peuvent réclamer pour eux-mêmes la protection qu'elle accorde au mineur. La mesure pourrait ne sembler que symbolique, puisque, l'enfant étant mineur, ce sont ses administrateurs légaux qui l'exerceront à sa place, c'est-à-dire, le plus souvent, ses père et mère allégués. Toutefois, il est vraisemblable que le tribunal de grande instance sera conduit à désigner, sur le fondement de l'article 388-2 du code civil, un administrateur ad hoc pour représenter les intérêts propres de l'enfant dans cette action en recherche de filiation.

De plus, l'option proposée offre à l'enfant une situation juridique plus solide que dans le cas de la transcription de l'acte d'état civil étranger, puisqu'elle établit sa filiation paternelle au regard du droit français.

Enfin, elle évite de transcrire dans notre ordre juridique un acte d'état civil étranger contraire à la prohibition de la GPA. Les parquets pourront donc continuer à refuser de transcrire ces actes contraires à notre ordre public.

La modification législative correspondante pourrait consister à compléter l'article 16-7 du code civil qui pose le principe de la nullité des conventions de GPA, afin de préciser que cette prohibition ne préjudicie pas au droit de l'enfant de faire établir sa filiation sur le fondement des articles 325 et 327 du code civil, qui prévoient respectivement les actions en recherche de maternité et de paternité.

Bien sûr, il est tout à fait improbable que les parents cherchent à faire établir la filiation maternelle avec la mère porteuse. Non seulement rien ne les y oblige, mais une telle reconnaissance de filiation ne présenterait aucun intérêt pour l'enfant, parce qu'elle n'engagerait pas la mère porteuse qui résiderait dans un autre pays et aurait abandonné tous ses droits sur le mineur. Toutefois, maintenir cette possibilité permet de réaffirmer le principe selon lequel la mère ne peut être que celle qui accouche.

Il nous paraît aussi nécessaire, pour assurer le plein respect de la prohibition de la GPA, de confirmer qu'aucune autre action - par exemple une adoption ultérieure de l'enfant du conjoint ou une action en possession d'état - tendant à établir une filiation d'intention, en prolongement du processus frauduleux de recours à la GPA, ne puisse prospérer. Ceci évitera que le lien de filiation contraire à notre droit puisse être reconstruit ensuite par un autre biais.

La proposition que nous vous soumettons vise, comme vous l'aurez noté, à consolider la prohibition de la GPA, tout en assurant la situation de l'enfant. Cela étant acquis, il nous a paru nécessaire de faciliter la vie des familles constituées à partir de GPA. Le point crucial est certainement de conférer au parent d'intention une place privilégiée auprès de l'enfant. Nous recommandons de l'autoriser à recevoir une délégation d'autorité parentale pérenne, qui lui permettra d'être, dans la vie quotidienne, à égalité avec l'autre parent, pour s'occuper de l'enfant.

S'agissant de la GPA, nous avançons forcément sur un chemin de crête. Tout n'est pas possible, et il serait illusoire de le prétendre, comme il serait illusoire de penser que nous pourrions faire comme si la décision de la CEDH ne s'imposait pas à nous. Nous avons tenté de ne pas déroger aux principes humanistes qui justifient, à nos yeux, la prohibition de la GPA. La solution que nous avons trouvée consiste à reconstruire la filiation litigieuse à partir des règles du droit français. Ceci suppose, toutefois, une modification législative.

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