Intervention de Michel Billout

Réunion du 6 mai 2010 à 15h00
Accord avec la roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains — Adoption d'un projet de loi

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Bien que son efficacité ait été fortement contestée, notamment par les associations dont vous avez loué l’action, madame le rapporteur, en particulier eu égard au manque de suivi des jeunes lors de leur retour et à l’absence d’évaluation réelle de leur réinsertion, cet accord témoignait pourtant d’une certaine volonté, de part et d’autre, de résoudre humainement cette question.

Que s’est-il donc passé, lors de sa renégociation, pour que son esprit soit si profondément changé ?

Nous savions pourtant pertinemment que la Roumanie, malgré son adhésion à l’Union européenne, était loin de répondre aux normes communément admises en matière de protection de l’enfance. Il y a en effet encore beaucoup de travail à réaliser dans ce pays, même si les Roumains se sont attelés à la tâche.

Je ne me contente donc pas de l’argument selon lequel le premier accord étant arrivé à échéance, il fallait absolument en conclure un second pour poursuivre la coopération policière et judiciaire avec la Roumanie.

Je n’accepte pas davantage que l’on nous dise aujourd’hui que le gouvernement roumain s’impatiente et qu’il ne comprend pas que nous tardions à approuver ce nouvel accord.

Je crois surtout que le Gouvernement a durci sa politique en matière de régulation des flux migratoires.

Pour se fonder une opinion, il convient de s’en tenir au texte qui nous est présenté, puisqu’il n’est pas amendable.

La partie la plus contestable de cet accord réside bien évidemment dans la nouvelle répartition des prérogatives entre le siège et le parquet dans la procédure de raccompagnement établie à l’article 4, au profit du second, alors que le précédent accord confiait la responsabilité de décider le raccompagnement du mineur au seul juge des enfants, dont la compétence principale porte sur l’assistance éducative. L’article 4 prévoit ainsi que « si le Parquet des mineurs ne saisit pas le juge des enfants, il peut, dès réception de la demande roumaine de raccompagnement, la mettre à exécution, s’il estime, eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine, que toutes les garanties sont réunies pour assurer la protection du mineur ».

Il est donc regrettable que la saisine du juge des enfants ne soit plus obligatoire. Mme le rapporteur a d’ailleurs fait part de son souhait que le ministre de la justice veille à ce que le parquet saisisse systématiquement le juge des enfants. Or il est indispensable que l’intérêt de l’enfant soit inscrit dans l’accord lui-même, et non dans une hypothétique instruction ministérielle.

De plus, l’article 4 contredit plusieurs règles protectrices des droits fondamentaux de la personne, en particulier de l’enfant.

Tout d’abord, il méconnaît la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. En effet, aux termes de l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, « la protection de l’enfance a […] pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ». On ne peut, dès lors, effacer une mesure de protection par une décision de rapatriement, sans autre garantie de suivi social et éducatif.

Ensuite, selon l’article 375-6 du code civil, tout enfant faisant déjà l’objet d’une mesure d’assistance éducative ne peut en être distrait que par une décision du juge des enfants.

En outre, le fait de permettre au parquet de décider seul de mettre à exécution le rapatriement d’un mineur constitue une atteinte aux droits de la défense et à un procès équitable. En effet, aucun débat judiciaire devant un magistrat indépendant n’est prévu : absence d’audition, absence de débat contradictoire, absence de motivation ! Ces garanties constitutionnelles ne peuvent à mon sens être écartées par un accord bilatéral, sans oublier qu’un tel dispositif viole également l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Enfin, la décision de rapatrier un mineur dans cette circonstance constitue une mesure d’éloignement du territoire prohibée par les articles L. 511-4 et L. 521-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui disposent qu’il ne peut y avoir ni reconduite à la frontière ni expulsion d’enfants mineurs.

Tous ces points ne sont donc pas l’objet d’un faux débat, monsieur le secrétaire d’État, bien au contraire ! Cet accord crée une exception, pour ne pas dire une discrimination entre les mineurs selon leur nationalité. Le principe d’égalité, qui a valeur constitutionnelle, est lui aussi remis en cause ; on semble vouloir donner à penser que certains mineurs seraient meilleurs que d’autres.

Par ailleurs, notons que dans la mesure où le parquet est autorisé à se prononcer « dès réception de la demande roumaine », la vérification des garanties n’est pas assurée, alors que les principes qui régissent la protection de l’enfance devraient contraindre les autorités à prendre toutes les précautions. Le parquet est ainsi invité à « faire confiance » aux autorités roumaines, sans qu’aucune garantie ne soit apportée.

Cette modification affecte profondément les principes fondamentaux sur lesquels sont fondés nos dispositifs de protection des mineurs et va à l’encontre de nos obligations internationales. Le dispositif s’appliquera au détriment de la sécurité et de l’intérêt des enfants, puisque l’on sait que de bonnes conditions de retour ne leur sont pas assurées.

Cette nouvelle version change donc fondamentalement l’esprit du premier accord en mettant subrepticement en place une procédure d’expulsion des mineurs délinquants qui n’ose pas dire son nom.

Cet accord, par le biais de l’instauration d’une procédure de rapatriement qui s’apparente en fait à une mesure d’éloignement sans aucune garantie de suivi social et éducatif, ignore fondamentalement notre principe républicain de protection accordée aux mineurs. Notre pays s’est pourtant imposé le devoir de protéger tous les mineurs présents sur son territoire, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Cette conception républicaine des droits de l’enfant est constitutive de l’honneur et de la grandeur de notre pays. À mes yeux, le renvoi de mineurs roumains dans les conditions prévues par ce nouvel accord signifierait que nous renonçons à ce devoir de protection.

La question de l’avenir de ces enfants est trop grave pour qu’elle soit maintenant traitée du seul point de vue de la « répression » de mineurs délinquants dont on voudrait se débarrasser. Je n’accepte pas non plus l’idée que cet accord puisse ainsi devenir un nouvel instrument de gestion des flux migratoires entre pays de l’Union européenne et que, selon la juste formule du directeur de l’association Hors la Rue, « on bascule de la protection de l’enfance vers la gestion des flux migratoires ».

Au-delà des critiques sur le contenu même de cet accord, je m’interroge sur son efficacité, et davantage encore sur son utilité, ainsi que sur l’opportunité de l’approuver dans de telles conditions.

Je le répète, du strict point de vue de la protection de l’enfance, quelle est l’efficacité du rapatriement s’il est si mal préparé ? Mais surtout, pourquoi approuver un accord bilatéral si critiquable, quand on sait que les mineurs isolés en danger en France ne sont pas uniquement roumains ? Ils proviennent en effet d’un grand nombre d’autres pays, comme l’a rappelé Mme le rapporteur, et ce phénomène concerne toute l’Europe. Ce problème devrait donc être traité dans le cadre de l’Union européenne. Vous avez vous-même évoqué cet impératif dans votre second rapport, madame Garriaud-Maylam.

Dès lors, dans le contexte de libre circulation des personnes au sein de l’espace européen qui est désormais le nôtre, cette approche strictement bilatérale est, elle aussi, inefficace, à moins que l’on ne considère qu’il existe des citoyens européens de seconde zone. Nous nous accordons tous à dire que cette question ne peut trouver de réponse satisfaisante qu’à l’échelle européenne.

La mise en œuvre d’une telle réponse passe, on le sait, par l’établissement d’une politique commune en la matière ainsi que par l’harmonisation des législations et des procédures, permettant une réelle coopération entre les pays concernés. Elle passe également par une volonté plus affirmée de lutter en priorité contre les réseaux d’exploitation de ces enfants, sauf à traiter les effets sans se donner véritablement les moyens de s’attaquer aux causes, à l’instar du texte qui nous occupe.

Aujourd’hui même, la Commission européenne présente un plan d’action sur cette grave question. Ce plan prévoit non seulement de garantir une représentation légale pour les mineurs non accompagnés, de leur éviter, sauf cas exceptionnel, toute mesure de détention, mais aussi d’axer les efforts sur le retour dans le pays d’origine. Quand on connaît les problèmes de ces enfants et la situation concrète des pays dont ils sont originaires, on mesure l’écart entre ces déclarations de principe et la réalité des moyens mis en œuvre. C’est d’ailleurs ce qu’ont immédiatement relevé, en France, les associations concernées, déplorant l’absence de mesures concrètes et de moyens financiers.

J’espère néanmoins que notre pays pèsera de tout son poids auprès de nos partenaires européens afin que ce plan soit précisé et qu’il voie rapidement le jour.

J’ai bien conscience que, dans l’attente de la définition d’une politique commune de l’Union, l’urgence et la gravité de la situation nous imposent de faire avec ce qui existe. Je ne pense pourtant pas que, faute de mieux, nous soyons obligés de nous satisfaire d’un très mauvais accord qui remet en cause des principes républicains fondamentaux, au risque de créer de graves précédents, et qui n’apportera pas de réponse efficace à des situations dramatiques.

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche votera résolument contre ce projet de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion