Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mes chers collègues, le parcours de ce projet de loi d’approbation aura été pour le moins chaotique. Signé le 1er février 2007, l’accord franco-roumain relatif à la protection des mineurs roumains isolés, déposé sur le bureau du Sénat le 27 août 2008, aura connu deux passages en commission, pour ne venir en discussion devant la Haute Assemblée que ce jeudi 6 mai, plus de trois années après sa signature. Par ces quelques rappels chronologiques, je n’exprime pas notre regret de voir ce texte débattu si tardivement au sein de notre assemblée ; je souhaite plutôt mettre en lumière les raisons qui ont conduit à cette situation, tenant aux préoccupations que suscitent chez beaucoup d’entre nous un accord qui, depuis sa signature, aura soulevé de très nombreuses critiques.
En comparaison avec l’accord de 2002, dont le bilan de l’application doit sans doute être nuancé, notamment s’agissant de la réalité et de la qualité des mesures de protection des mineurs isolés une fois raccompagnés sur le territoire roumain, l’accord de 2007 marque un repli en matière de garanties offertes, pour sa protection, au mineur isolé roumain, qui est le plus souvent issu d’une minorité, les Roms, mal intégrée dans bien des pays, dont la Roumanie et plusieurs États de l’ex-Yougoslavie.
Ainsi disparaît de l’accord l’intégration du groupement d’ONG françaises au dispositif de prise en charge des mineurs roumains en difficulté sur notre territoire. Pourtant, atteindre véritablement les objectifs assignés à cette prise en charge –prise de contact, instauration d’un lien de confiance, élaboration d’un projet d’accueil – nécessite l’implication d’acteurs de terrain qui bénéficient d’une expertise et d’une réelle légitimité. Leur exclusion du dispositif laisse craindre une régression des ambitions affichées, s’agissant non seulement de la qualité de la prise en charge du mineur sur le territoire national, mais surtout du sérieux de sa préparation au retour.
Disparaît également l’enquête sociale, du moins telle qu’elle était prévue par l’article 3 de l’accord de 2002. Les « diligences nécessaires » destinées à obtenir « les éléments pertinents » sur la « situation personnelle et administrative » du mineur roumain isolé sont en effet loin de constituer l’enquête sociale qui était explicitement prescrite par l’accord de 2002. L’enquête sociale subsisterait en pratique, indique Mme le rapporteur, qui précise qu’elle devient désormais un élément de procédure interne à la Roumanie, dont le juge français n’aurait pas à avoir pleinement connaissance.
Je prends acte du maintien d’une enquête sociale, mais je ne souscris pas à l’explication de Mme le rapporteur au sujet du retrait de sa mention explicite dans l’accord. On ne peut raisonnablement pas à la fois insister sur la nécessité d’accentuer les modalités de la coopération entre les parties française et roumaine et considérer comme acceptable que les deux parties ne bénéficient pas des mêmes informations, car c’est bien à cela que revient le fait de restreindre l’enquête sociale à un simple élément de procédure de droit roumain.
Au-delà de l’aspect procédural de cette question, gommer toute référence explicite à l’enquête sociale témoigne d’un véritable recul, en termes d’ambitions, que la mise en conformité toute récente du dispositif roumain de la protection de l’enfance aux standards de l’Union européenne ne saurait justifier, d’autant que, sans contester la volonté réelle de la Roumanie de se doter d’un système de protection à la hauteur des exigences européennes et sans méconnaître les progrès qui ont été accomplis par ce pays en la matière, on ne peut que constater que la traduction effective de ces dispositifs juridiques reste en pratique inachevée.
Disparaît aussi – et ce n’est pas la moindre de nos préoccupations – la saisine systématique du juge des enfants. L’accord, en son article 4, ouvre désormais au parquet la possibilité d’autoriser lui-même le rapatriement du mineur. Cette dépossession du juge des enfants constitue un grave recul, symptomatique d’une dérive plus générale de transfert des pouvoirs judiciaires au parquet, qui laisse en l’espèce à celui-ci la possibilité d’organiser le retour du mineur en l’absence de toute procédure réellement contradictoire.
C’est encore plus vrai dans l’hypothèse nouvelle, inscrite dans l’accord de 2007, d’un rapatriement à la suite d’une nouvelle interpellation du mineur isolé consécutive à son inscription au système d’information Schengen.
Disparaît dès lors – c’est le quatrième recul marqué par ce texte – le consentement du mineur isolé roumain à son retour. Je n’insisterai pas sur les préoccupations exprimées, sur cette question, par la Défenseure des enfants, afin de ne pas donner au Gouvernement, à quelques jours de l’examen du projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, un prétexte de plus pour supprimer cette fonction, mais chacun d’entre nous a en mémoire les propos de Mme Versini sur « l’accélération de la procédure et la suppression du consentement du mineur et en quoi ces options marquent un renoncement aux principes fondamentaux de la protection de l’enfance, en contradiction avec notre propre loi et avec la Convention internationale des droits de l’enfant ».
En revenant ainsi sur un principe fondamental régissant le retour des mineurs isolés roumains, cet accord fragilise sensiblement la frontière entre accompagnement et éloignement ; il contredit de ce fait nos engagements internationaux et notre droit interne. Par cet accord, la France célèbre de bien curieuse manière le vingtième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant…
Surtout, sans consentement, il n’y a pas de projet véritable de retour et, de fait, pas de projet construit avec le mineur. On ne voit pas comment ni en quoi ce traitement expéditif contribuerait à la lutte contre la délinquance itinérante et les réseaux d’exploitation des mineurs. Un retour non préparé est la porte ouverte à une nouvelle errance.
L’accord de 2007 n’améliore en aucune façon le texte de 2002. Déjà, celui-ci a montré ses lacunes : la plupart des mineurs rapatriés n’ont bénéficié d’aucun suivi après leur retour et aucune évaluation d’ensemble n’a été réalisée. Le texte de 2007 opère des reculs importants en contournant les garanties offertes pour sa protection au mineur isolé roumain, afin de faciliter, voire d’automatiser, son éloignement, objectif véritable de cet accord, explicité à l’alinéa 2 de l’article 2, fût-ce sous l’enrobage de la mention des bonnes conditions du retour. De ce point de vue, l’intitulé même du texte que nous examinons s’apparente à une imposture, car comment parler, dans ces conditions, de « protection des mineurs » ?
Rien ne saurait justifier ces régressions, notamment pas le recul, constaté depuis 2003, du nombre de mineurs roumains isolés présents sur le territoire français. Ces derniers mois sont certes marqués par une nouvelle tendance à la hausse, mais nous sommes loin de retrouver les niveaux observés au début des années 2000.
Le phénomène des mineurs isolés doit surtout être évalué dans sa globalité et sa diversité. Ainsi, il est loin de concerner uniquement les mineurs roumains, comme l’a signalé Mme le rapporteur ; il touche, plus globalement, les communautés roms et tziganes, mais aussi l’Albanie, les pays issus de l’ex-Yougoslavie, et désormais la Chine, l’Afghanistan.
Dès lors, l’approche bilatérale apparaît invalidée, et l’accord déjà dépassé. La résolution d’une telle question impose à l’évidence une approche européenne, et l’entrée de la Roumanie au sein de l’Union européenne en 2007 plaide en ce sens. Manifestement, seule une intervention de l’Union européenne peut répondre efficacement au défi des mineurs isolés.
N’est-il pas paradoxal que, en dépit d’une telle analyse, largement partagée, sur la nécessité d’une intervention de l’Union européenne, rien n’ait été entrepris en ce sens, notamment pendant la présidence française ?
Surtout, comment accepter que vous puissiez aujourd’hui prendre prétexte de la carence d’une politique européenne commune en matière de mineurs isolés pour imposer un texte bilatéral inadapté qui dégrade à ce point leurs droits et leur protection ?
Je tiens à saluer le travail de Mme Garriaud-Maylam, dont le rapport a le mérite de ne pas faire l’impasse sur l’ensemble de ces préoccupations, mais je ne peux souscrire à son argument selon lequel la France, en n’approuvant pas un tel accord, prendrait du retard au regard de ses partenaires européens, telles l’Espagne ou l’Italie, déjà signataires d’accords de même type avec la Roumanie. La France est en retard quand elle ignore, contourne ou contredit les garanties fondamentales du droit des migrants et de la protection de l’enfant.
C’est la raison pour laquelle notre groupe invite le Gouvernement à prendre dans les meilleurs délais toutes les initiatives nécessaires pour instaurer une politique commune européenne conforme à nos engagements internationaux, au bénéfice des mineurs européens. Pour l’heure, le groupe socialiste n’approuvera pas cet accord.
En conclusion, j’invite l’ensemble de nos collègues à bien mesurer le recul que représente cet accord en matière de protection de l’enfance. Si isolés soient-ils, les mineurs étrangers présents sur notre territoire ont droit à une protection absolue !