Nous examinons un traité de coopération de défense avec le Mali. Ce traité revêt bien entendu une importance toute particulière compte tenu du rôle que continue à jouer l'armée française dans ce pays avec l'opération Barkhane qui a succédé à l'opération Serval.
Sur le plan juridique, les actions de coopération militaire entre la France et le Mali sont actuellement encadrées par deux accords. D'une part, un accord de coopération militaire technique du 6 mai 1985, dont le champ d'application se limite pour l'essentiel à la mise à disposition du Mali de coopérants militaires techniques français et à la formation et au perfectionnement de cadres des forces armées maliennes dans les écoles militaires françaises.
D'autre part, l'accord sous forme d'échange de lettres des 7 et 8 mars 2013, conclu afin de garantir la sécurité juridique de l'opération militaire Serval.
Le premier accord est désormais obsolète dans la mesure où il reflète un état des relations entre la France et les pays africains désormais révolu. Ainsi, il est rédigé de manière très unilatérale, n'évoque pas les questions de sécurité collective africaine et ne prévoit aucun échange d'informations entre les deux armées.
Le second accord est conçu spécifiquement pour assurer la sécurité juridique des troupes françaises lors de l'opération Serval, puis lors de l'opération Barkhane. Il ne s'applique pas à la coopération militaire ordinaire.
Dès lors, le 16 octobre 2013, le président de la République du Mali nouvellement élu, Ibrahim Boubakar Keita, a appelé de ses voeux la signature d'un nouveau traité de coopération militaire afin de marquer l'engagement dans la durée de la coopération entre les deux États. Un tel accord a été signé le 16 juillet 2014 par les ministres de la défense français et malien à l'occasion d'une rencontre à Bamako.
Quel est le contexte de cet accord ?
En premier lieu, je rappellerai brièvement les événements ayant conduit à l'intervention française. En janvier 2012, le mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) des Touaregs, allié notamment aux groupes djihadistes d'Ansar Eddine et du MUJAO, lance une offensive depuis l'Adrar des Ifoghas vers le Sud du Mali puis proclame le 6 avril 2012 l'indépendance du Nord-Mali. Il contrôle rapidement les régions de Gao, Tombouctou et Kidal. Bientôt, les groupes armés djihadistes affrontent et battent le MNLA, prenant le contrôle des grandes villes et des territoires du Nord. Entretemps, un coup d'Etat a entraîné le départ du Président Amadou Toumani Touré.
Malgré diverses tentatives d'apaisement sous l'égide de l'ONU, la crise s'accélère au début du mois de janvier 2013, des groupes armés terroristes se mettant en mouvement vers le sud, faisant craindre une extension de leur territoire à la plus grande partie du pays et une déstabilisation de la transition politique en cours à Bamako. Les mesures internationales de soutien militaire décidées pour venir en aide à l'Etat malien, à savoir la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali) et la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), risquaient également d'être compromises par cette progression.
À la suite d'une demande d'aide formulée le 10 janvier 2013 par le Président du Mali, adressée à la France et au Conseil de sécurité des Nations unies, et au titre de l'article 51 de la Charte des Nations unies relatif à la légitime défense, la France a engagé, avec le soutien de huit pays (Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Grande-Bretagne, Espagne, États-Unis et Pays-Bas) une intervention militaire, l'opération « Serval », afin de stopper l'offensive des terroristes, retrouver l'intégrité et la souveraineté du Mali et faciliter la mise en oeuvre des décisions internationales.
L'opération Serval a globalement été un succès, le rôle des forces françaises prépositionnées en Afrique ayant été déterminant, en liaison avec les forces spéciales et avec le soutien de l'armée de l'air. Elle a permis de repousser les groupes djihadistes et de récupérer 200 tonnes d'armement et de munitions ainsi qu'une vingtaine de tonnes de nitrate d'ammonium dans l'Adrar des Ifoghas. Enfin, un transfert progressif de la mission aux partenaires maliens de la France ainsi qu'aux forces de l'ONU (mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali, MINUSMA) a été opéré.
Aujourd'hui, la situation au Mali est indéniablement meilleure qu'elle ne l'était il y a trois ans. Toutefois, les sujets de préoccupation restent nombreux.
Sur le plan sécuritaire, les groupes terroristes ont été désorganisés par l'opération Serval. L'opération Barkhane, qui lui a succédé en août 2014, a permis de maintenir l'avantage acquis.
L'opération Barkhane doit sa réussite à un aspect essentiel : elle peut s'appuyer sur le G5, c'est-à-dire une coopération étroite de cinq pays du Sahel : Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso. Dès lors, Barkhane est totalement transfrontière, ce qui est la seule manière de lutter efficacement contre les groupes djihadistes. Ceux-ci sont en effet passés maîtres dans la pratique qui consiste à partir d'un pays pour aller frapper un second pays avant de se réfugier dans un troisième. Les soldats de Barkhane peuvent désormais les pourchasser sur le territoire des cinq pays du G5. Ainsi, les groupes terroristes n'ont plus de sanctuaire leur permettant de reconstituer leurs forces, du moins, j'y reviendrai, dans les pays couverts par l'opération.
Il faut également souligner que, depuis le mois d'octobre 2015, des opérations conjointes de forces africaines sans participation des forces françaises commencent à se dérouler, comme l'opération lancée par le Mali et le Burkina Faso contre le front de libération du Macina. Barkhane a ainsi enclenché un cercle vertueux.
Toutefois, la limite de Barkhane tient au fait qu'elle n'emploie que 3 000 à 3 500 hommes pour un territoire plus grand que l'Europe et à l'impossibilité de poursuivre les djihadistes dans les pays limitrophes du Nord du Sahel. Bien entendu, la situation en Libye est particulièrement préoccupante.
De manière complémentaire à Barkhane, la MINUSMA, établie par la résolution 2100 du Conseil de sécurité de l'ONU le 25 avril 2013, est un acteur majeur dans la stabilisation du Mali, avec plus de 8 000 militaires et 1 050 policiers. Cette force, composée essentiellement de troupes africaines, assure et manifeste la légitimité de l'intervention militaire au Mali, dimension essentielle pour éviter un rejet de la population. En revanche, souffrant notamment de certaines carences logistiques, elle ne joue pas un rôle opérationnel fort, rôle toujours assumé par les troupes françaises.
Enfin, les quelques centaines d'hommes de l'EUTM Mali, c'est-à-dire de la mission européenne de formation de l'armée malienne, apportent un soutien utile à la réorganisation et à la formation des forces armées maliennes. Si l'ensemble de ces forces militaires permettent ainsi à l'Etat malien de subsister et de fonctionner, elles ne peuvent prétendre apporter une réponse de long terme aux problèmes qui touchent ce pays.
Le premier problème est politique. Les fameux accords l'Alger, signés entre la République du Mali et la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA) le 20 juin 2015 à Bamako grâce à la médiation algérienne, constituent certes un succès notable. Sur le plan sécuritaire, la mise en oeuvre de cet accord tend aujourd'hui à se concrétiser avec la création effective de patrouilles mixtes et le début d'une fusion des cantonnements des soldats. Un total de 24 sites de cantonnement devraient ainsi être mis en place, la MINUSMA ayant à ce jour évalué 11 de ces sites et engagé des travaux sur trois d'entre eux.
En revanche, la faiblesse des avancées politiques révèle la grande fragilité de l'accord et les ambiguïtés sur lesquelles il repose. En particulier, les mesures prévues en matière de décentralisation peinent à se traduire dans le droit interne malien.
Le second problème réside dans la situation économique précaire d'une grande partie du Sahel, marquée par l'arrivée, chaque année sur le marché du travail, de centaines de milliers de jeunes que, ni une agriculture profondément fragilisée par les conflits et par les sécheresses, ni une industrie balbutiante, ne peuvent absorber. Dès lors, nombre de ces jeunes s'enrôlent dans des groupes armés qui pratiquent divers trafics depuis l'Afrique de l'Ouest à travers le Sahel ou le Sahara, en particulier les trafics de drogue, d'armes ou d'otages. Pour ces jeunes, avoir une arme, c'est avoir un métier.
Une partie de la solution réside évidemment dans l'efficacité de l'aide au développement. Lors de la conférence du 22 octobre 2015, 3,2 milliards de dollars ont été annoncés par les bailleurs du Mali pour les années 2015-2017. La France a promis 360 millions d'euros. Malheureusement, cet effort significatif n'est absolument pas une garantie de réussite si ces crédits ne vont pas au bon endroit au bon moment. On sait que dans beaucoup de régions du Nord, pas une seule route n'a encore été construite. Tout peut également être remis en cause du fait de la fragilité de l'accord politique et de la situation sécuritaire toujours menaçante.
Après avoir ainsi brièvement décrit le contexte, j'en viens au traité de défense lui-même.
Premier élément, ce traité n'a rien d'original dans son contenu. Il est quasiment identique aux huit autres accords signés au cours des années 2008-2012 avec le Togo, le Cameroun, le Gabon, la République centrafricaine, l'Union des Comores, Djibouti, la Cote d'Ivoire et le Sénégal. Pour mettre fin à certaines dérives du passé, ces accords mettent en place un partenariat ou une coopération de défense fondée sur le respect mutuel de la souveraineté, de l'indépendance et l'intégrité territoriale des États. En particulier, ils ne comportent pas de clause publique ou secrète d'assistance automatique contre les menaces intérieures ou extérieures. Ils ont ainsi permis de refonder la coopération de défense de la France avec ses partenaires africains sur des bases adaptées au contexte contemporain.
Deuxième élément, qui constitue un point essentiel pour comprendre la portée exacte du présent traité, il ne se substitue pas à l'accord par échange de lettres des 7 et 8 mars 2013, conclu pour assurer la sécurité juridique de l'intervention française au Mali. En vertu de l'article 25 du nouveau traité, les actions menées dans le cadre de l'opération Barkhane continuent à relever de cet accord de 2013. De même, les militaires français qui seraient présents au Mali dans le cadre du nouveau traité, mais participeraient à l'opération Barkhane, seraient juridiquement couverts par l'accord par échange de lettres de 2013.
En effet, le présent traité n'est pas conçu pour couvrir une intervention telle que Serval ou Barkhane, pas plus que ne l'était d'ailleurs l'accord de coopération militaire de 1985, qui ne comportait pas de clause publiée ou secrète d'assistance militaire. C'est pourquoi la France a obtenu la pérennisation de l'application de l'accord de 2013, bien plus favorable aux troupes françaises sur le plan de la sécurité juridique. L'article 1er de celui-ci prévoit en effet une large immunité pénale pour nos soldats, comme c'est aussi le cas par exemple dans l'accord avec la République centrafricaine sur le statut du détachement français déployé dans le cadre de Sangaris. Le nouveau traité de défense, lui, prévoit à l'inverse un partage de compétences entre la juridiction française et la juridiction malienne en cas de contentieux.
Autre exemple, l'article 9 de l'accord par échange de lettres comporte une disposition selon laquelle la Partie malienne prend à sa charge la réparation des dommages causés aux biens ou à la personne d'un tiers, y compris lorsque la Partie française en est au moins partiellement à l'origine. Le nouveau traité de défense prévoit au contraire que lorsque le dommage est imputable aux deux Parties, le montant des indemnités est réparti à parts égales.
Pour le reste, le nouveau traité précise les principes généraux sur lesquels se fonde le partenariat de défense et de sécurité, en prenant en considération deux dimensions nouvelles : la dimension régionale de la mission de coopération militaire confiée aux forces françaises et la dimension européenne. Le traité prévoit ainsi que les Parties peuvent conduire des actions de coopération dans toute la région et y associer une contribution d'un ou plusieurs États africains et d'un ou plusieurs États membres de l'Union européenne.
Les domaines de la coopération mise en oeuvre dans ce cadre sont ensuite énumérés : ils couvrent les échanges d'informations, l'organisation, l'équipement et l'entraînement des forces, l'organisation de transits ou de stationnements temporaires, les missions de conseil, la formation dans des écoles françaises ou des écoles soutenues par la France.
Je précise à ce propos que la coopération de défense conduite au Mali par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des affaires étrangères et du développement international se décline actuellement en sept projets, dont une école nationale à vocation régionale (ENVR) et une école à statut international, l'école de maintien de la paix (EMP) de Bamako, pour un budget global de 4,6 millions d'euros. Je ne peux ici que souligner l'importance cruciale de cette coopération militaire structurelle et regretter à nouveau, comme l'ont fait nos collègues Christian Cambon et Leila Aïchi lors de l'examen du programme 105 dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2016, la réduction continue des moyens qui lui sont affectés au sein du budget.
Le traité comporte ensuite des dispositions détaillées sur le statut des personnels engagés dans la coopération et fixe les règles de compétence juridictionnelle en cas d'infractions commises par un coopérant. Il précise aussi que dans le cas où elle serait prévue par la loi, la peine de mort ne serait ni requise, ni prononcée. Le traité prévoit également un certain nombre de facilités pour l'exercice des activités de coopération. Il vise ainsi à permettre des exercices en commun et l'utilisation par nos forces de l'espace aérien du Mali, notamment dans le cas où un détachement français se rendrait sur le territoire malien pour effectuer un exercice.
La quatrième partie prévoit enfin l'abrogation de l'accord de coopération militaire technique du 6 mai 1985 et précise que le nouveau traité est conclu pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction.
En conclusion, cet accord modernise et améliore notre coopération militaire avec le Mali comme elle l'a déjà été avec les huit autres pays africains signataires d'un accord semblable. Il contribuera ainsi à la sécurité d'un pays et d'une région dont la stabilité est aujourd'hui un enjeu de premier ordre pour notre pays et pour le monde.
C'est évidemment une nouvelle étape, symbolique, de nos relations de défense avec le Mali, qui a repris en main son destin.