Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 3 février 2016 à 14h30
Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de la défense sur les opérations extérieures et intérieures

Jean-Yves Le Drian, ministre :

Je suis très heureux de vous retrouver, selon un cycle désormais mensuel, pour débattre avec vous. Nous aurions dû parler davantage des opérations intérieures et de la mise en oeuvre des forces opérationnelles sur le territoire, mais le rapport, prévu pour fin janvier, est en cours de finalisation.

Depuis notre dernière réunion, un forcené a essayé d'éliminer une patrouille de soldats du 93e régiment d'artillerie de montagne qui assurait la sécurité d'une mosquée à Valence. Les trois soldats ont fait preuve d'un grand sang-froid, d'une grande réactivité et d'une parfaite maitrise dans l'emploi graduel de la force. Le caporal-chef - un niveau de commandement subalterne - a su être à la hauteur, ce qui montre le professionnalisme de nos forces.

Les programmations de 2008 et de 2013 prévoyaient un contrat opérationnel de 10 000 soldats pour une durée non identifiée, afin de répondre à une situation de crise majeure dans le pays. En janvier 2015, ce contrat a été activé avec la mobilisation de 10 000 militaires dans le cadre de l'opération Sentinelle.

À la suite des attentats de janvier, le conseil restreint de défense d'avril 2015 a actualisé la LPM, adoptée en juillet 2015. Elle prévoit une capacité de mobilisation de 7 000 hommes dans la durée et de 10 000 hommes pour un mois, dispositif activé dans la nuit du 13 au 14 novembre et qui a fonctionné de manière remarquable. Dès les trois premiers jours, l'objectif de 10 000 hommes a été atteint - mais la situation dure depuis deux mois, au-delà des contrats opérationnels, ce qui soumet les armées à de fortes tensions...

Ces forces interviennent sur réquisition et sous l'autorité du ministre de l'intérieur et assurent des gardes statiques, des patrouilles mixtes, la surveillance de zones ou de lieux potentiellement menacés et soutiennent la police de l'air et des frontières. Le dialogue civilo-militaire n'a jamais été aussi nourri et je n'ai pas connaissance de tensions entre les autorités militaires et civiles sur l'application de ces réquisitions.

Cependant, il nous faut tirer les leçons de cette situation pour formaliser une nouvelle doctrine d'emploi. Le conseil restreint de défense d'avril a chargé le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) de faire le bilan de l'opération Sentinelle. Ses recommandations portent notamment sur l'approche interministérielle, la coordination entre civils et militaires et les modes d'engagement de nos armées.

En application de l'article 7 de l'actualisation de la LPM, nous élaborons, pour notre part, un rapport au Parlement qui énonce entre autre cette nouvelle doctrine d'emploi des forces armées sur le territoire national, pour protéger la population. Il est important de redéfinir la mission de protection des armées. Nous vous ferons bientôt part de nos propositions et nous en débattrons en séance en mars.

La doctrine d'emploi doit prendre en considération trois éléments d'analyse des menaces : un terrorisme militarisé, totalement nouveau ; une porosité quasi complète entre la menace extérieure et la menace intérieure ; des actions d'une violence extrême.

Il faut, en regard, valoriser la spécificité de l'armée professionnelle, ses capacités de planification, de réaction et de surprise, de dissuasion grâce à la maitrise des armes, d'intégration des moyens terrestres, aériens et maritimes, d'action mobile, d'apport de moyens spécialisés comme les forces spéciales, enfin de coordination du commandement.

En fonction de la menace, comment nos forces armées peuvent-elles agir de manière cohérente pour protéger notre territoire, tout en conservant leur spécificité et dans une relation forte avec le ministère de l'intérieur ? Elles ne sont pas des supplétifs des forces de sécurité intérieure. Le concept de protection du territoire, renouvelé, repositionne et rééquilibre cette fonction parmi les trois missions de l'armée : dissuasion, intervention, protection. Le cadre juridique n'a pas besoin d'évoluer, si ce n'est pour l'homogénéiser avec le texte présenté ce matin en conseil des ministres sur la légitime défense, qui fera l'objet d'un débat au Parlement. Pour la première fois depuis longtemps, nous avons davantage de militaires en opération intérieure qu'en opérations extérieures.

L'opération Sentinelle étant amenée à durer, nous devons nous préoccuper des conditions de vie et d'accueil des militaires, en région parisienne tout particulièrement. À l'heure actuelle, 85 % des effectifs sont hébergés sur nos propres sites. Les 20 millions d'euros d'investissements prévus en 2015 et 2016 pour améliorer cet accueil seront sans doute insuffisants. Depuis novembre, nos unités sont fatiguées. Ce sont, et ce seront toujours les mêmes : il y a une seule armée, et non une armée territoriale et une armée extérieure. En 2015, ils ont passé en moyenne 230 jours en dehors de leur garnison. Leur détermination est constante, même s'ils aspirent à un assouplissement, quand les recrutements autorisés par la LPM seront opérationnels. En sus des remplacements, 5 500 recrutements supplémentaires sont prévus en 2015, et autant en 2016. Lorsque les personnels seront formés, ils allégeront la mobilisation intense des effectifs depuis le 13 novembre. Cet allègement devrait commencer à pouvoir se ressentir à partir de l'été 2016.

Pour encourager et soutenir les militaires de l'opération Sentinelle, j'ai créé l'indemnité pour sujétion spéciale d'alerte opérationnelle - 200 euros pour six semaines - attribuée à titre rétroactif aux militaires mobilisés dès janvier 2015, qui s'ajoute à l'indemnité pour services en campagne. Nous avons mobilisé tous les lieux d'hébergement possibles, y compris l'îlot Saint-Germain et le Val de Grâce.

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