Monsieur le ministre, cette audition était initialement prévue sur le rapport que le Gouvernement doit remettre au Parlement sur l'opération Sentinelle et le rôle de l'armée sur le territoire national. En attendant ce rapport, et le débat que nous aurons au Parlement, pouvez-vous faire un tour d'horizon des différentes crises que nous affrontons ? Nous devons avoir une réflexion sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) : au vu des circonstances et de la situation sur le terrain, nous ne nous dirigeons pas vers une décélération des menaces non plus, en conséquence, que des besoins budgétaires. Il nous faut donc acter dans le marbre de la LPM les annonces du Président de la République à Versailles.
Je suis très heureux de vous retrouver, selon un cycle désormais mensuel, pour débattre avec vous. Nous aurions dû parler davantage des opérations intérieures et de la mise en oeuvre des forces opérationnelles sur le territoire, mais le rapport, prévu pour fin janvier, est en cours de finalisation.
Depuis notre dernière réunion, un forcené a essayé d'éliminer une patrouille de soldats du 93e régiment d'artillerie de montagne qui assurait la sécurité d'une mosquée à Valence. Les trois soldats ont fait preuve d'un grand sang-froid, d'une grande réactivité et d'une parfaite maitrise dans l'emploi graduel de la force. Le caporal-chef - un niveau de commandement subalterne - a su être à la hauteur, ce qui montre le professionnalisme de nos forces.
Les programmations de 2008 et de 2013 prévoyaient un contrat opérationnel de 10 000 soldats pour une durée non identifiée, afin de répondre à une situation de crise majeure dans le pays. En janvier 2015, ce contrat a été activé avec la mobilisation de 10 000 militaires dans le cadre de l'opération Sentinelle.
À la suite des attentats de janvier, le conseil restreint de défense d'avril 2015 a actualisé la LPM, adoptée en juillet 2015. Elle prévoit une capacité de mobilisation de 7 000 hommes dans la durée et de 10 000 hommes pour un mois, dispositif activé dans la nuit du 13 au 14 novembre et qui a fonctionné de manière remarquable. Dès les trois premiers jours, l'objectif de 10 000 hommes a été atteint - mais la situation dure depuis deux mois, au-delà des contrats opérationnels, ce qui soumet les armées à de fortes tensions...
Ces forces interviennent sur réquisition et sous l'autorité du ministre de l'intérieur et assurent des gardes statiques, des patrouilles mixtes, la surveillance de zones ou de lieux potentiellement menacés et soutiennent la police de l'air et des frontières. Le dialogue civilo-militaire n'a jamais été aussi nourri et je n'ai pas connaissance de tensions entre les autorités militaires et civiles sur l'application de ces réquisitions.
Cependant, il nous faut tirer les leçons de cette situation pour formaliser une nouvelle doctrine d'emploi. Le conseil restreint de défense d'avril a chargé le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) de faire le bilan de l'opération Sentinelle. Ses recommandations portent notamment sur l'approche interministérielle, la coordination entre civils et militaires et les modes d'engagement de nos armées.
En application de l'article 7 de l'actualisation de la LPM, nous élaborons, pour notre part, un rapport au Parlement qui énonce entre autre cette nouvelle doctrine d'emploi des forces armées sur le territoire national, pour protéger la population. Il est important de redéfinir la mission de protection des armées. Nous vous ferons bientôt part de nos propositions et nous en débattrons en séance en mars.
La doctrine d'emploi doit prendre en considération trois éléments d'analyse des menaces : un terrorisme militarisé, totalement nouveau ; une porosité quasi complète entre la menace extérieure et la menace intérieure ; des actions d'une violence extrême.
Il faut, en regard, valoriser la spécificité de l'armée professionnelle, ses capacités de planification, de réaction et de surprise, de dissuasion grâce à la maitrise des armes, d'intégration des moyens terrestres, aériens et maritimes, d'action mobile, d'apport de moyens spécialisés comme les forces spéciales, enfin de coordination du commandement.
En fonction de la menace, comment nos forces armées peuvent-elles agir de manière cohérente pour protéger notre territoire, tout en conservant leur spécificité et dans une relation forte avec le ministère de l'intérieur ? Elles ne sont pas des supplétifs des forces de sécurité intérieure. Le concept de protection du territoire, renouvelé, repositionne et rééquilibre cette fonction parmi les trois missions de l'armée : dissuasion, intervention, protection. Le cadre juridique n'a pas besoin d'évoluer, si ce n'est pour l'homogénéiser avec le texte présenté ce matin en conseil des ministres sur la légitime défense, qui fera l'objet d'un débat au Parlement. Pour la première fois depuis longtemps, nous avons davantage de militaires en opération intérieure qu'en opérations extérieures.
L'opération Sentinelle étant amenée à durer, nous devons nous préoccuper des conditions de vie et d'accueil des militaires, en région parisienne tout particulièrement. À l'heure actuelle, 85 % des effectifs sont hébergés sur nos propres sites. Les 20 millions d'euros d'investissements prévus en 2015 et 2016 pour améliorer cet accueil seront sans doute insuffisants. Depuis novembre, nos unités sont fatiguées. Ce sont, et ce seront toujours les mêmes : il y a une seule armée, et non une armée territoriale et une armée extérieure. En 2015, ils ont passé en moyenne 230 jours en dehors de leur garnison. Leur détermination est constante, même s'ils aspirent à un assouplissement, quand les recrutements autorisés par la LPM seront opérationnels. En sus des remplacements, 5 500 recrutements supplémentaires sont prévus en 2015, et autant en 2016. Lorsque les personnels seront formés, ils allégeront la mobilisation intense des effectifs depuis le 13 novembre. Cet allègement devrait commencer à pouvoir se ressentir à partir de l'été 2016.
Pour encourager et soutenir les militaires de l'opération Sentinelle, j'ai créé l'indemnité pour sujétion spéciale d'alerte opérationnelle - 200 euros pour six semaines - attribuée à titre rétroactif aux militaires mobilisés dès janvier 2015, qui s'ajoute à l'indemnité pour services en campagne. Nous avons mobilisé tous les lieux d'hébergement possibles, y compris l'îlot Saint-Germain et le Val de Grâce.
Quelques mots sur les dernières évolutions des théâtres d'opération. Pour ce qui concerne l'opération Chammal, Daech recule dans la partie irakienne, à l'est : Sinjar a été reprise par les forces des peshmergas avec l'appui de la coalition, Baïji par les forces irakiennes chiites avec l'appui de la coalition, et Ramadi par les forces irakiennes sunnites - l'Iraqi Counter Terrorism Service, le service antiterroriste que nous contribuons à former - même si la reprise de la ville n'est pas encore totale.
En Syrie, nous constatons également un certain recul depuis la prise du barrage de Tichrine, qui désorganise la logistique de Daech. Les forces armées syriennes loyalistes progressent également. Les Kurdes de l'YPG (Yekîneyên Parastina Gel, unités de protection du peuple), les insurgés, les forces armées syriennes soutenues par les Russes grignotent peu à peu le territoire de Daech.
Malgré ces progrès, Daech conserve une grande capacité de résilience : il attaque les forces de Bachar el-Assad à Deir ez-Zor et prend à revers certains sites tenus par les forces irakiennes soutenues par la coalition, comme Tikrit et Kirkouk. Malgré les interventions de la coalition, la capacité de renouvellement des foreign fighters - les combattants étrangers de Daech - est très forte : en décembre, Daech aurait perdu 2 500 combattants, mais en a recruté 2 000, venus de partout, y compris d'Australie.
Nous participons activement à la coalition. Le porte-avions sera présent dans le Golfe arabo persique jusque vers début mars. Nous fournissons 40 à 45 % des frappes hors participation américaine, ce qui fait de nous le second opérateur sur la zone, le seul à disposer d'un ensemble complet : porte-avions, avions et navires de renseignement, capacités de ravitaillement et de frappe. Hier matin, nous avons réalisé des frappes à Manbij avec des missiles Scalp (Système de croisière conventionnel autonome à longue portée). J'ai réuni récemment les ministres de la défense des sept pays qui interviennent le plus au sein de la coalition : États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Australie, Allemagne, Pays-Bas. Nous nous retrouverons la semaine prochaine à Bruxelles dans une configuration élargie, pour évoquer une intensification de l'action.
Le Secrétaire à la défense américain, Ashton Carter, s'est montré extrêmement déterminé contre Daech, il a arrêté un plan d'action pour 2016 avec comme objectifs Raqqa et Mossoul : un discours nouveau ! Je suis parfaitement en phase avec M. Carter, avec lequel j'entretiens des relations étroites et de confiance.
La coalition frappe des centres d'entraînement, de communication et de commandement, les ressources pétrolières ou logistiques. Les nouvelles règles d'engagement permettent d'enrayer les ressources de Daech ; nous avons ainsi frappé un centre d'entrainement à Manbij où il y aurait eu des combattants français.
J'attire votre attention sur une zone particulièrement sensible, où différentes forces sont en présence : les Kurdes de l'YPG, qui tiennent la frontière Syrie-Irak ; Daech, qui tient la frontière avec la Turquie, sur une ligne de 100 km à partir de Jerablus, espace par lequel rentrent tous les trafics ; les insurgés modérés, qui tiennent une ligne d'une quinzaine de kilomètres - convoitée par les forces de Bachar, soutenues par les Russes. Le contrôle de cette zone sera déterminant dans les prochaines semaines.
Pendant ce temps, les pourparlers continuent à Genève entre les représentants de Bachar el-Assad et, depuis hier, de Riad Hijab, le président du Haut Conseil pour les négociations (HCN), qui représente les insurgés. Pour les Turcs, la jonction des Kurdes ou l'occupation de la zone par les forces de Bachar el-Assad soutenues par les Russes sont néfastes, même si leur position évolue depuis les attentats d'Istanbul. Ils ont mis leurs bases aériennes à la disposition de la coalition et accueillent deux millions de réfugiés sur leur sol - mais n'ont pas clarifié leur position vis-à-vis des Kurdes. L'évolution est lente mais réelle.
Je me suis entretenu avec mon homologue russe, Sergueï Choïgou ; nous nous sommes entendus sur la déconfliction - s'informer mutuellement des intentions d'intervention pour éviter les clashs - et sur des rencontres entre services de renseignements extérieurs pour l'échange d'informations sur les jihadistes russophones et les francophones. Nous avions envisagé une relation plus forte, avec l'identification des groupes insurgés à ne pas frapper, mais cette rencontre n'a pas encore eu lieu. Aujourd'hui, seules 30 % des frappes russes ciblent Daech, tandis que le reste des attaques vise les insurgés, qui eux-mêmes combattent Daech... Cela pose problème, même si nous pouvons approuver les frappes contre Jabhat al-Nosra.
On observe à l'Est, sur un quadrilatère entre Lattaquié, Homs, Alep et Tartous, un renouveau de Bachar el-Assad, avec le soutien russe, qui repousse Daech. Attention, car si l'on aboutit à un face-à-face entre Bachar et Daech, il y aura un certain nombre de Syriens - il y a 10 millions de déplacés, ne l'oublions pas - qui risquent de préférer Daech à Bachar !
En septembre 2014, j'avais alerté l'opinion sur la gravité de la situation en Libye. Désormais, entre 3 000 et 5 000 combattants de Daech sont présents autour de Syrte mais aussi à Sabratha, à la frontière tunisienne, à Benghazi et à Derna. Ce sont à la fois des combattants étrangers venus du Maghreb ou du Levant et des groupes ralliés à Daech, qui souhaitent s'étendre vers le Sud pour se saisir des sites pétroliers. L'inquiétude est grande. Un élément positif, néanmoins : la résolution des Nations unies et le processus d'unification de la Libye autour du Premier ministre al-Sarraj, même si son premier gouvernement a été refusé par le Parlement de Tobrouk. Nous espérons un accord entre les pays de la région et les membres du Conseil de Sécurité, pour permettre aux bâtiments de l'opération Sophia d'intervenir dans les eaux territoriales libyennes - ce qui suppose une sollicitation préalable du gouvernement libyen - et ainsi éviter un flux de migrations au printemps. Nous pourrons apporter un appui au nouveau gouvernement dans ses actions de sécurisation, en matière de formation ou de renseignement. C'est ce à quoi nous travaillons - et non à une intervention directe en Libye, comme l'écrit le Figaro.
En Centrafrique, le second tour des élections se tiendra le 14 février, les résultats seront proclamés le 4 mars. La situation va devenir moins confuse et moins dangereuse. Progressivement, la mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) s'installera et remplacera nos forces de Sangaris : vendredi, l'Union européenne décidera probablement de constituer une mission sur Bangui pour reconstituer l'armée centrafricaine. Nous nous désengageons progressivement : Sangaris est passée de 2 500 à 900 hommes, et sera à terme remplacée par la Minusca et la future armée centrafricaine.
S'agissant de l'opération Barkhane, le processus d'Alger met du temps à se mettre en oeuvre sur le terrain, notamment les mesures de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). On observe une recrudescence d'actes terroristes, avec la constitution d'un nouveau groupe au Sud, le Front de libération du Macina. Les groupes du Nord se réunifient sous la houlette d'Ag Ghali, qui prend l'ascendant sur les Touaregs, même s'ils comptent moins de combattants qu'en 2013. On assiste à un regain de tensions avec des actes asymétriques, commis par deux ou trois personnes comme à Ouagadougou ou Bamako, sous la houlette du groupe de Mokhtar Belmokhtar. La situation n'est pas encore stabilisée, les capitales africaines doivent fournir un effort particulier pour se doter de forces antiterroristes, qui n'existent pas encore, sur le modèle du GIGN.
Merci pour cette intervention très complète. Vous avez rappelé que la doctrine d'emploi des forces n'était pas encore finalisée. Je salue l'engagement de nos troupes, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Le niveau de 10 000 hommes mobilisés par Sentinelle est difficilement supportable dans la durée. Nous avons vu, sur place, que les dispositifs d'accueil et logistiques sont encore insuffisants. Certains militaires ont été déployés jusqu'à six fois six semaines, soit 42 semaines car ils ont une semaine de préparation à chaque reprise. Ce flux tendu est difficilement supportable.
Plus grave, nous avons l'impression que le ministre de l'intérieur se contente d'empiler les gardes statiques depuis janvier 2015. Ce n'est pas la solution, il faut passer à la phase dynamique, qui ne concerne pour l'instant que le tiers de la force Sentinelle. Si l'on veut protéger et non seulement rassurer, il faut être plus souple, inverser le rapport. Le chemin est long pour convaincre le ministre, le préfet de police et les préfets, que l'on peut protéger mieux avec moins.
Porter la réserve opérationnelle de 28 000 à 40 000 hommes est un objectif louable. Depuis 1999, tous les gouvernements ont cherché à la faire monter en puissance - mais se sont heurtés à des difficultés. En l'état actuel des choses, nous ne pourrons disposer à un horizon de six mois ou un an des réservistes nécessaires. Il faudra innover, et sans doute préférer la disponibilité à court terme sur le niveau de formation.
Le financement de l'opération Sentinelle, dont les coûts resteront élevés, devait être interministériel. En avez-vous la garantie pour 2016 ? Comment la réserve et le service militaire volontaire seront-ils financés ?
Vos réunions avec Ashton Carter se multiplient et les Américains seraient désireux d'intervenir plus efficacement au Levant. Il y a pour l'heure beaucoup d'avions mobilisés, mais peu de frappes utiles. Avez-vous connaissance des cibles retenues par nos alliés ? On parle également d'une offensive en préparation contre Rakka, capitale symbole de Daech. Les forces au sol de nos alliés irakiens et kurdes seront-elles en nombre suffisant et suffisamment entraînées pour la conduire ?
Dans votre exposé, vous avez situé les insurgés modérés à côté d'Alep. Y incluez-vous les combattants du Front al-Nosra, qu'on ne saurait considérer comme modérés ?
Xavier Pintat et moi-même rentrons d'une mission de l'OTAN aux États-Unis, où nous avons essentiellement parlé de terrorisme. Nous avons été surpris de constater que le regard des Américains était essentiellement tourné vers la Russie. Où en est la situation en Ukraine, sur le plan militaire ?
Merci monsieur le ministre pour cet exposé passionnant. Les échos que Jacques Gautier et moi-même avons eus à Vincennes convergent : l'armée n'a pas vocation à suppléer les effectifs du ministère de l'intérieur, et il semble que nous revenions en arrière en privilégiant les gardes statiques. Je fais partie de ceux qui pensent que Sentinelle sert avant tout à rassurer nos concitoyens, et que nous devrions par conséquent engager son retrait progressif. Mais vous avez annoncé que le dispositif serait maintenu aussi longtemps que nécessaire, dont acte.
S'agissant des Opex, vous avez dit que 22 frappes avaient eu lieu depuis janvier, ce qui semble peu. Quel est l'état de nos stocks de munitions ?
Le démantèlement des services de renseignement algériens (DRS) que dirigeait le général Mediène depuis plus de 20 ans au profit d'un service dirigé par le général Tartag risque-t-il d'altérer notre coopération avec le régime algérien dans le sud du pays ? On connaît notamment l'intérêt stratégique de la passe de Salvador.
La difficulté à faire émerger une réserve opérationnelle digne de ce nom est une frustration ancienne. Compte tenu des perspectives de montée en puissance d'opérations conjointes, les 10 000 hommes de Sentinelle devront être positionnés ailleurs... Le concept de garde nationale est intéressant, mais se contenter d'intégrer un millier d'hommes dans Sentinelle serait rester au milieu du gué. Cette réflexion tient à coeur à notre commission, et nous n'excluons pas de vous faire des propositions.
Je n'ai pas de questions sur la Libye ; nous voyons bien que vous ne dites que ce que vous pouvez dire. L'histoire libyenne n'est assurément pas finie.
Le 3 février 2008 disparaissait l'opposant tchadien Ibni Oumar Mohamat Saleh, probablement assassiné par la garde présidentielle tchadienne. Les présidents Sarkozy et Hollande s'étaient engagés à faire la lumière sur cette affaire. Pouvez-vous nous dire quand vous avez évoqué ce dossier pour la dernière fois avec le président Déby et ce qu'il vous a répondu ?
Nous sommes satisfaits de l'action que vous menez, mais le nombre de théâtres d'opérations, déjà grand, pourrait encore augmenter : en Libye, où la situation est explosive entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine ; dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, où le nouveau président du conseil régional vous demande d'intervenir à Calais... Comment faire face à de nouvelles sollicitations ?
Vous avez évoqué 12 000 réservistes de plus... Cela nécessitera-t-il une modification de la loi ?
Vous parlez pudiquement de « zones d'évolution de Daech » : qu'est-ce à dire ?
Daech a renouvelé 80 % de son stock de soldats, il en vient de partout dans le monde. Nous sommes arrivés à réduire ses ressources financières, mais pas ses ressources humaines. Or une idéologie se combat par un contre-discours. La coalition envisage-t-elle d'en élaborer un ? À défaut, comment contrer le pouvoir d'attraction de Daech ?
Les Américains et les Russes semblent se rapprocher à Genève sur l'Ukraine. En sera-t-il de même à Munich à propos de la Syrie ? De plus les relations avec l'Iran ont changé ; le pays peut-il dès lors peser dans ces négociations ?
Vous avez dit que les relations avec la Russie étaient timides en dépit de votre voyage sur place ; n'est-ce pas contradictoire avec l'esprit du voyage entrepris par le président de la République après le 13 novembre ?
L'opération Sophia est bloquée à la limite des eaux territoriales libyennes. Or pour être efficace, il faudrait y rentrer... Cela ne devrait-il pas être une priorité ?
Que pensez-vous du processus de Nouakchott, conduit sous l'égide de l'Union africaine ? Celui-ci est-il en mesure de répondre aux défis sécuritaires de la bande sahélo-saharienne ? Comment la France travaille-t-elle avec le G5 du Sahel ?
Sait-on d'où viennent les groupes et tribus qui rejoignent Daech à Syrte ? Adhèrent-ils à l'idéologie du groupe, ou s'agit-il d'une logique de vengeance contre le système Kadhafi ?
Je suis convaincu que la garde statique n'est pas la technique la plus dissuasive. Mais la perception de nos concitoyens importe aussi, et elle est contradictoire : si les patrouilles mobiles sont perçues très favorablement, les fidèles et les parents d'élèves tiennent aux gardes statiques devant les lieux de culte et les écoles. Sans compter que certaines habitudes se prennent...
J'espère vous avoir convaincu que la spécificité militaire doit primer : si la responsabilité de la mission de sécurité intérieure reste bien entendu du ressort du ministre de l'intérieur, les forces militaires que le ministère déploie agissent sous le commandement militaire du chef d'état-major des armées, par une chaîne centrale mais aussi déconcentrée qui va du centre de planification et commandement (CPCO) aux officiers généraux de zones de défense dans les territoires. Les principes fondamentaux posés, nous travaillons au meilleur emploi des forces, en statique comme en dynamique, pour la plus grande efficacité possible du dispositif - c'est en cours.
Croyez-moi, les choses progressent.
Je fais des réserves une affaire personnelle. Je souhaite que les choses avancent rapidement, dès cette année - ce sera nécessaire pour tenir l'objectif de 2018. La mission que j'ai lancée devra aboutir rapidement à un système efficace. Il faudra peut-être pour cela sortir des cadres classiques, être souples et réactifs.
Budgétairement, pour Sentinelle et les Opint, en 2015, j'avais annoncé une couverture totale, à hauteur de 171 millions d'euros. Tout me laisse à penser qu'elles seront également couvertes en 2016.
Au Levant, les Américains et nous-mêmes partageons nos cibles, chacun ayant son dispositif de renseignement.
Comment prend-on Raqqa ? Voilà une question essentielle. Les Américains, donc la coalition, sont beaucoup plus préoccupés par l'Irak que par la Syrie, qui est pour nous l'enjeu principal car c'est là que sont formés les terroristes qui menacent notre territoire. Ashton Carter considère avec moi que la prise de Raqqa est un objectif pour 2016 ; le président Obama nous l'a dit à Washington. Concrètement, les choses sont plus compliquées. Avec qui interviendrait-on au sol ? Ce ne peuvent être que les Kurdes avec les forces sunnites syriennes, mais en sont-elles capables ? Pour l'heure, non ; demain, peut-être, si nous les y aidons.
- Présidence M. Jacques Gautier, vice-président -
La situation en Ukraine n'est pas directement de ma compétence au titre des opérations... Le dispositif russe est demeuré inchangé, le statu quo semble privilégié. Nous continuons à défendre l'application stricte des accords de Minsk.
Monsieur Perrin, je n'ai pas connaissance de soucis particuliers concernant les munitions. De 40 bombes par mois avant le 13 novembre, nous sommes passés à 90 ou 95 - ce qui est beaucoup. Nos stocks de bombes et de missiles Scalp nous permettent de tenir un certain temps, et sont renouvelés régulièrement pour ce qui est des bombes.
Monsieur Lorgeoux, je n'ai pas senti de changements particuliers en Algérie. Je m'y rendrai bientôt ; je souhaite notamment que les Algériens s'impliquent sur la question libyenne - c'est aussi dans leur intérêt.
Monsieur Gorce, les documents déclassifiés ont été fournis. La procédure judiciaire suit son cours, je ne peux la commenter ; je ne l'ai donc pas évoquée avec le président Déby.
Elle a été impulsée par les avocats de la famille de la victime, compte tenu de l'inaction du gouvernement français...
Nous ne sommes pas bloqués sur ce point.
Monsieur Néri, certaines interventions arrivent à leur terme : l'opération Sangaris par exemple, mobilisera au plus 300 hommes à la fin de l'année. Je ne vois pas de théâtre d'opération nouveau s'ouvrir dans les mois à venir. Si nous intervenons en Libye, ce ne sera pas au sol mais en soutien au futur gouvernement libyen. La mobilisation de 10 000 militaires pour l'opération Sentinelle s'est traduite par l'augmentation de la force opérationnelle terrestre de 11 000 hommes et le renoncement à la déflation des effectifs pour 2018-2019. Le chef d'état-major des armées a dit que nos armées étaient au taquet : c'est vrai, mais l'allégement de Sangaris et les recrutements apporteront plus de flexibilité.
Monsieur Pozzo di Borgo, Sophia est pour moi le sujet principal. La phase 2A dans laquelle nous sommes risque de finir par ressembler à l'opération italienne Mare Nostrum. Il faut passer à la phase 2B puis à la phase 3, ce qui suppose qu'elle soit sollicitée par les autorités libyennes légalement reconnues...
Madame Durrieu, les États-Unis et la Russie discutent en effet de la Syrie. J'irai à Munich le 12 février. Ashton Carter a annoncé la multiplication par deux des budgets alloués par le Pentagone à la lutte contre Daech. Leur engagement est sans faille. La relation que nous avons avec les États-Unis, en tout cas, est très positive. Ils ont compris l'importance pour nous de la Syrie. Il leur faut penser à la Libye, car la situation est très préoccupante.
Monsieur del Picchia, il faudra sans doute modifier les chiffres figurant dans la loi d'actualisation de la LPM, au moyen d'un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre militaire plutôt que par amendement.
Madame Khiari, Daech attire par son idéologie, et par la rémunération offerte aux combattants étrangers, même si celle-ci a sensiblement baissé. Je doute que cela suffise néanmoins à juguler le flux. La contre-propagande est essentielle, et il a été décidé lors de notre réunion à Paris d'accentuer la communication sur nos actions militaires ; la semaine prochaine à Bruxelles, la Grande-Bretagne se verra confier la coordination de ces initiatives, avec notre soutien pour la partie francophone. Il n'est pas normal que les messages de Daech soient cinq fois plus nombreux sur les réseaux sociaux que ceux de ses adversaires.
Dans le cadre de la commission d'enquête sur les réseaux djihadistes, j'ai entendu dire par un jeune qui était auditionné que Daech recrutait plus que les entreprises françaises : cela fait froid dans le dos !
Daech ne pourra pas rémunérer éternellement ces combattants. Depuis la fin du mois de novembre, en frappant leurs sites logistiques, nous réduisons leurs capacités financières.
Madame Aïchi, votre question ne relève pas directement de ma compétence. Nous soutenons le G5, constitué au sein du processus de Nouakchott, qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso. Des réunions des chefs d'état-major permettent une coopération efficace sur le territoire de l'opération Barkhane.
Monsieur le ministre, merci pour ces explications complètes et transparentes.
La réunion est levée à 16h10.