Quelques mots sur les dernières évolutions des théâtres d'opération. Pour ce qui concerne l'opération Chammal, Daech recule dans la partie irakienne, à l'est : Sinjar a été reprise par les forces des peshmergas avec l'appui de la coalition, Baïji par les forces irakiennes chiites avec l'appui de la coalition, et Ramadi par les forces irakiennes sunnites - l'Iraqi Counter Terrorism Service, le service antiterroriste que nous contribuons à former - même si la reprise de la ville n'est pas encore totale.
En Syrie, nous constatons également un certain recul depuis la prise du barrage de Tichrine, qui désorganise la logistique de Daech. Les forces armées syriennes loyalistes progressent également. Les Kurdes de l'YPG (Yekîneyên Parastina Gel, unités de protection du peuple), les insurgés, les forces armées syriennes soutenues par les Russes grignotent peu à peu le territoire de Daech.
Malgré ces progrès, Daech conserve une grande capacité de résilience : il attaque les forces de Bachar el-Assad à Deir ez-Zor et prend à revers certains sites tenus par les forces irakiennes soutenues par la coalition, comme Tikrit et Kirkouk. Malgré les interventions de la coalition, la capacité de renouvellement des foreign fighters - les combattants étrangers de Daech - est très forte : en décembre, Daech aurait perdu 2 500 combattants, mais en a recruté 2 000, venus de partout, y compris d'Australie.
Nous participons activement à la coalition. Le porte-avions sera présent dans le Golfe arabo persique jusque vers début mars. Nous fournissons 40 à 45 % des frappes hors participation américaine, ce qui fait de nous le second opérateur sur la zone, le seul à disposer d'un ensemble complet : porte-avions, avions et navires de renseignement, capacités de ravitaillement et de frappe. Hier matin, nous avons réalisé des frappes à Manbij avec des missiles Scalp (Système de croisière conventionnel autonome à longue portée). J'ai réuni récemment les ministres de la défense des sept pays qui interviennent le plus au sein de la coalition : États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Australie, Allemagne, Pays-Bas. Nous nous retrouverons la semaine prochaine à Bruxelles dans une configuration élargie, pour évoquer une intensification de l'action.
Le Secrétaire à la défense américain, Ashton Carter, s'est montré extrêmement déterminé contre Daech, il a arrêté un plan d'action pour 2016 avec comme objectifs Raqqa et Mossoul : un discours nouveau ! Je suis parfaitement en phase avec M. Carter, avec lequel j'entretiens des relations étroites et de confiance.
La coalition frappe des centres d'entraînement, de communication et de commandement, les ressources pétrolières ou logistiques. Les nouvelles règles d'engagement permettent d'enrayer les ressources de Daech ; nous avons ainsi frappé un centre d'entrainement à Manbij où il y aurait eu des combattants français.
J'attire votre attention sur une zone particulièrement sensible, où différentes forces sont en présence : les Kurdes de l'YPG, qui tiennent la frontière Syrie-Irak ; Daech, qui tient la frontière avec la Turquie, sur une ligne de 100 km à partir de Jerablus, espace par lequel rentrent tous les trafics ; les insurgés modérés, qui tiennent une ligne d'une quinzaine de kilomètres - convoitée par les forces de Bachar, soutenues par les Russes. Le contrôle de cette zone sera déterminant dans les prochaines semaines.
Pendant ce temps, les pourparlers continuent à Genève entre les représentants de Bachar el-Assad et, depuis hier, de Riad Hijab, le président du Haut Conseil pour les négociations (HCN), qui représente les insurgés. Pour les Turcs, la jonction des Kurdes ou l'occupation de la zone par les forces de Bachar el-Assad soutenues par les Russes sont néfastes, même si leur position évolue depuis les attentats d'Istanbul. Ils ont mis leurs bases aériennes à la disposition de la coalition et accueillent deux millions de réfugiés sur leur sol - mais n'ont pas clarifié leur position vis-à-vis des Kurdes. L'évolution est lente mais réelle.
Je me suis entretenu avec mon homologue russe, Sergueï Choïgou ; nous nous sommes entendus sur la déconfliction - s'informer mutuellement des intentions d'intervention pour éviter les clashs - et sur des rencontres entre services de renseignements extérieurs pour l'échange d'informations sur les jihadistes russophones et les francophones. Nous avions envisagé une relation plus forte, avec l'identification des groupes insurgés à ne pas frapper, mais cette rencontre n'a pas encore eu lieu. Aujourd'hui, seules 30 % des frappes russes ciblent Daech, tandis que le reste des attaques vise les insurgés, qui eux-mêmes combattent Daech... Cela pose problème, même si nous pouvons approuver les frappes contre Jabhat al-Nosra.
On observe à l'Est, sur un quadrilatère entre Lattaquié, Homs, Alep et Tartous, un renouveau de Bachar el-Assad, avec le soutien russe, qui repousse Daech. Attention, car si l'on aboutit à un face-à-face entre Bachar et Daech, il y aura un certain nombre de Syriens - il y a 10 millions de déplacés, ne l'oublions pas - qui risquent de préférer Daech à Bachar !
En septembre 2014, j'avais alerté l'opinion sur la gravité de la situation en Libye. Désormais, entre 3 000 et 5 000 combattants de Daech sont présents autour de Syrte mais aussi à Sabratha, à la frontière tunisienne, à Benghazi et à Derna. Ce sont à la fois des combattants étrangers venus du Maghreb ou du Levant et des groupes ralliés à Daech, qui souhaitent s'étendre vers le Sud pour se saisir des sites pétroliers. L'inquiétude est grande. Un élément positif, néanmoins : la résolution des Nations unies et le processus d'unification de la Libye autour du Premier ministre al-Sarraj, même si son premier gouvernement a été refusé par le Parlement de Tobrouk. Nous espérons un accord entre les pays de la région et les membres du Conseil de Sécurité, pour permettre aux bâtiments de l'opération Sophia d'intervenir dans les eaux territoriales libyennes - ce qui suppose une sollicitation préalable du gouvernement libyen - et ainsi éviter un flux de migrations au printemps. Nous pourrons apporter un appui au nouveau gouvernement dans ses actions de sécurisation, en matière de formation ou de renseignement. C'est ce à quoi nous travaillons - et non à une intervention directe en Libye, comme l'écrit le Figaro.
En Centrafrique, le second tour des élections se tiendra le 14 février, les résultats seront proclamés le 4 mars. La situation va devenir moins confuse et moins dangereuse. Progressivement, la mission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) s'installera et remplacera nos forces de Sangaris : vendredi, l'Union européenne décidera probablement de constituer une mission sur Bangui pour reconstituer l'armée centrafricaine. Nous nous désengageons progressivement : Sangaris est passée de 2 500 à 900 hommes, et sera à terme remplacée par la Minusca et la future armée centrafricaine.
S'agissant de l'opération Barkhane, le processus d'Alger met du temps à se mettre en oeuvre sur le terrain, notamment les mesures de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR). On observe une recrudescence d'actes terroristes, avec la constitution d'un nouveau groupe au Sud, le Front de libération du Macina. Les groupes du Nord se réunifient sous la houlette d'Ag Ghali, qui prend l'ascendant sur les Touaregs, même s'ils comptent moins de combattants qu'en 2013. On assiste à un regain de tensions avec des actes asymétriques, commis par deux ou trois personnes comme à Ouagadougou ou Bamako, sous la houlette du groupe de Mokhtar Belmokhtar. La situation n'est pas encore stabilisée, les capitales africaines doivent fournir un effort particulier pour se doter de forces antiterroristes, qui n'existent pas encore, sur le modèle du GIGN.