Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 6 mai 2010 à 15h00
Accord avec la roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains — Adoption d'un projet de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Ce sont des mineurs fragilisés !

La philosophie globale de cet accord repose sur un axiome très contestable : il est présumé que l’intérêt supérieur du mineur isolé résiderait, avant tout, dans son retour au pays d’origine.

Ainsi, le processus protecteur de l’intérêt supérieur de l’enfant instauré par ce texte est bâclé, qu’il s’agisse du travail social ou de l’intervention de l’autorité judiciaire indépendante, en l’occurrence le juge des enfants, qui est court-circuité. Cela peut avoir des conséquences tragiques pour l’avenir et le bien-être du mineur.

Ces carences n’ont pas échappé à Mme le rapporteur, puisque le texte de l’accord a été repoussé une première fois le 13 mai 2009.

Nous pensions que cette position pertinente avait pour objet de laisser de la marge pour une nouvelle négociation. Or, en réalité, c’est bien le même texte qui nous est présenté aujourd’hui, souffrant des mêmes carences. Seule la position de la commission des affaires étrangères a changé…

Depuis 2002, le cadre juridique du retour volontaire des mineurs isolés roumains pose des difficultés. Celles-ci sont connues et l’encadrement juridique qui a été privilégié à l’époque présentait déjà de nombreuses lacunes. Mme Garriaud-Maylam juge d’ailleurs contrasté le bilan de l’application de l’accord de 2002.

Pour ma part, je me référerai à l’étude menée par l’association Hors la Rue intitulée Que deviennent les jeunes après leur retour en Roumanie ? Une enquête de terrain a fait apparaître que, sur vingt-trois jeunes rapatriés dans le cadre de l’accord franco-roumain de 2002, neuf déclarent n’avoir jamais été auditionnés par un juge, sept indiquent qu’aucune enquête sociale n’a été conduite pour préparer leur retour en Roumanie et douze affirment qu’aucun suivi socio-éducatif n’a été réalisé depuis leur retour. Combien d’entre eux sont revenus en France depuis ?

Ces seuls constats suffisent pour considérer que cet accord devait être modifié dans un sens qui préserve avant tout l’intérêt supérieur des mineurs plutôt que celui des États. Or l’accord qui nous est soumis aujourd’hui n’arrange rien ; il aggrave même les choses.

On aurait pu se contenter du droit commun de la protection de l’enfance, accompagné d’un renforcement de l’évaluation des garanties de prise en charge par le pays de retour. Pourtant, la France et la Roumanie se sont accordées sur un système dérogatoire qui porte une atteinte grave aux droits fondamentaux des mineurs isolés.

La première critique majeure que l’on peut adresser à cet accord concerne l’absence de garanties offertes par les autorités roumaines en matière de protection effective des mineurs une fois le retour décidé. À la longueur des enquêtes sociales s’ajoute un problème d’application effective des mesures : nous savons que l’autorité nationale roumaine pour la protection de l’enfance n’a pas assuré le suivi qui lui incombait en vertu de l’accord de 2002.

La France n’a reçu aucune information concernant la situation des jeunes rentrés au pays. Nous ne savons même pas s’ils sont restés dans leur famille. En termes de suivi, on peut faire mieux !

Les autorités roumaines n’ont même pas signé de conventions avec les ONG locales, et montrent ainsi une grande faiblesse en matière de réintégration des enfants une fois leur retour assuré, en dépit des engagements qu’elles avaient pris. On comprend donc mieux pourquoi les mineurs reviennent sur le territoire français quelques mois après leur retour dans leur pays d’origine !

Qu’apporte le présent accord de ce point de vue ? Rien ! Au contraire, il réduit encore les obligations de la partie roumaine, ne prévoyant pas les garanties minimales relatives au suivi et à la réintégration des mineurs. La réalisation d’une enquête sociale n’y figure pas, de même que la communication aux autorités roumaines des mesures de protection.

Plus grave encore, la partie roumaine n’est plus tenue de recueillir l’accord des parents de l’enfant à son retour, tandis que la France n’a plus à obtenir celui du mineur. Le retour volontaire se transforme en mesure d’éloignement forcé, sans aucune garantie judiciaire ni procédurale. Nous sommes là devant un obstacle qui me semble insurmontable : les droits fondamentaux des mineurs sont bafoués, notamment avec l’exclusion totale de la procédure du juge des enfants, pourtant compétent en la matière, au profit du procureur de la République, aux ordres du pouvoir et soumis aux instructions ministérielles pour l’application d’une politique de lutte contre l’immigration.

Je rappelle que la question de l’indépendance du parquet fait débat depuis un récent arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme : il ne peut pas être considéré comme une autorité judiciaire au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dès lors, il ne peut prendre une mesure aussi grave que l’éloignement d’un mineur.

D’ailleurs, le procureur de la République n’a aucune compétence en matière de protection de l’enfance, sauf en cas d’urgence ; mais même dans cette situation, il doit aviser le juge des enfants sous huit jours.

Or, par cet accord, le procureur de la République devient compétent pour décider d’une mesure définitive d’éloignement, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme et, surtout, de la Convention internationale des droits de l’enfant.

En outre, cette décision, qui n’est ni contradictoire, ni précédée d’une audition de l’enfant, ni motivée, ni susceptible d’une voie de recours, porte une atteinte irrémédiable au droit de l’enfant à un procès équitable, et plus particulièrement aux droits de la défense.

Cet accord est donc contraire à la Constitution, ainsi qu’aux engagements internationaux de la France. Il piétine les garanties minimales liées à la protection de l’enfance.

De plus, en prévoyant un régime spécifique aux mineurs isolés roumains, il consacre une discrimination fondée sur la nationalité en matière de protection de l’enfance : les uns bénéficient d’un droit commun protecteur, les autres d’une procédure sommaire, pour ne pas dire d’une procédure d’exception, sans protection judiciaire effective.

Mes chers collègues, la question des mineurs isolés ne peut être traitée dans un cadre bilatéral : tous les États européens sont intéressés à son règlement. Oui, c’est un vrai problème, mais la Roumanie, c’est l’Europe : par conséquent, seul l’échelon européen pourra apporter une réponse harmonisée, qui devra avant tout manifester le souci de la protection effective des mineurs isolés et de leur bien-être.

Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs Verts refuseront de ratifier cet accord : nous n’acceptons pas de sacrifier l’intérêt supérieur des mineurs en détresse sur l’autel de la surenchère migratoire.

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