Intervention de Valérie Létard

Réunion du 1er mars 2016 à 21h00
Dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’afflux de réfugiés en Europe et en France s’inscrit dans le contexte international du conflit syrien, ainsi que de la menace que fait peser Daech en Irak, en Syrie et, désormais, aussi en Libye.

L’instabilité politique et les luttes de pouvoir embrasent le Moyen-Orient ; les millions de Syriens et d’Irakiens fuyant les zones de conflit menacent l’équilibre du Liban, de la Jordanie et de la Turquie. L’Afrique n’est pas épargnée non plus par l’islamisme radical.

Face à cette poudrière, nous constatons avec regret que la voix de l’Europe résonne toujours aussi faiblement. Pis encore, il nous faut déplorer amèrement la lenteur du déploiement des initiatives européennes coordonnées et collectives.

La liste commune des pays d’origine sûrs est toujours en discussion. Le renforcement de FRONTEX et sa transformation en une agence véritablement efficace de gardes-frontières aux limites extérieures de l’Union européenne attendent encore, à tel point que nous assistons aujourd’hui à la fermeture temporaire des frontières de nombreux États membres, comme la semaine dernière dans ma région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, les Belges ayant décidé de contrôler la frontière. C’est aux antipodes d’une politique migratoire coordonnée et commune.

Nous aurons retenu du dernier Conseil européen des 18 et 19 février dernier que la question de l’accueil des réfugiés risque de conduire l’Union européenne à son éclatement, tout aussi fortement que le Brexit. D’ailleurs, on perçoit bien l’imbrication des deux sujets.

Sur les onze hotspots prévus par la Commission européenne, trois étaient opérationnels au 1er janvier 2016. François-Noël Buffet l’a rappelé, nos collègues de la commission des lois, lors de leur déplacement à Lesbos, ont été informés de l’ouverture imminente de quatre hotspots grecs supplémentaires. Peut-être pourrez-vous, monsieur le ministre, nous en dire plus sur le nombre de réfugiés enregistrés grâce à ces nouveaux centres de passage ?

S’agissant du processus de relocalisation entre pays membres de l’Union, l’accord de septembre dernier portait sur 160 000 réfugiés, dont plus de 30 000 en France. C’est là un effort assez modeste si nous le mettons en regard du million de personnes arrivées en Europe en 2015, plus de 850 000 étant passés par la seule Grèce.

À Lesbos, la délégation de la commission des lois a pu voir que le mécanisme de relocalisation montait en puissance lentement : 94 relocalisés pour le mois de janvier 2016, c’est loin du chiffre mensuel de 1 450, qui avait été annoncé initialement par M. Arhoul, préfet coordinateur national chargé de l’accueil des migrants.

Après les attentats de novembre dernier, la France a souhaité, et c’est compréhensible, relever le niveau des contrôles sur l’identification des réfugiés. Estimez-vous, monsieur le ministre, que ces contrôles ont atteint un niveau de sécurité satisfaisant ? Le rythme d’arrivée des réfugiés en provenance des hotspots sera-t-il ainsi amené à s’accélérer en 2016 ?

En 2015, l’OFPRA et l’OFII, l’Office français de l'immigration et de l'intégration, ont été dotés de moyens humains supplémentaires, qui ont permis de traiter 79 130 demandes d’asile – un chiffre en hausse de 22 % – et d’améliorer sensiblement le nombre de décisions favorables accordées par l’OFPRA. Toutefois, aujourd’hui, vu l’évolution de la situation, il serait justifié, me semble-t-il, que ses moyens augmentent encore et que le nombre de places d’hébergement soit revu à la hausse.

Ces chiffres montrent le décalage persistant entre les pays d’origine d’une majorité des demandeurs d’asile en France, qui vient, outre de la Syrie, principalement du Soudan, du Kosovo et de la République démocratique du Congo, et ceux des réfugiés enregistrés en Grèce – 95 % des réfugiés y sont syriens, irakiens ou afghans.

En septembre dernier, monsieur le ministre, vous aviez fait appel aux collectivités territoriales volontaires pour créer des places d’hébergement pour les 30 000 réfugiés relocalisés. Cet appel a été entendu, et à la date du 10 février 2016, quelque 1 680 logements avaient été enregistrés sur la plateforme nationale pour le logement des réfugiés, équivalant à 5 200 places d’hébergement.

Or peu de ces logements ont été mobilisés. Depuis plusieurs semaines, les collectivités qui s’étaient portées volontaires pour accueillir des réfugiés de manière diffuse se voient sollicitées par les préfets pour accueillir temporairement dans des centres collectifs des migrants de Calais.

Cela suscite des interrogations et un malentendu ; non qu’il ne faille pas accueillir les migrants, mais sur la forme. Les collectivités volontaires pensaient qu’elles auraient vocation à insérer des familles sur leur territoire et elles avaient mobilisé leur population en ce sens. Elles se trouvent, au terme d’une concertation souvent très limitée, confrontées à une tout autre forme d’accueil. Prévenus souvent au dernier moment, les élus ont bien du mal à expliquer à leurs concitoyens ce changement sur lequel ils ne disposent eux-mêmes que de très peu d’informations, ne sachant en général ni le nombre de migrants accueillis ni la durée de leur séjour.

Comme le rappellent justement les associations présentes à Calais, ces migrants ont en général un projet de vie qu’ils voient outre-Manche. Les persuader de demander l’asile en France est donc une mission difficile, pour laquelle l’État dépense aujourd’hui beaucoup de temps, d’énergie et de moyens. Ne serait-il pas plus raisonnable que le Royaume-Uni prenne aussi sa part de l’effort ?

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