Intervention de Jean-Claude Carle

Réunion du 2 mars 2016 à 14h30
Trentième anniversaire du baccalauréat professionnel

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi de remercier les élus du groupe CRC d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour de la Haute Assemblée. Je sais, en particulier, l’attachement que Brigitte Gonthier-Maurin porte à la voie professionnelle.

Trente ans après la création du bac pro, qui a permis de mener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, il est bon de se pencher sur l’état de la voie professionnelle, laquelle est la grande oubliée de la refondation de l’école.

Désormais préparé en trois ans, comme les baccalauréats général et technologique, le bac pro concerne près du quart d’une classe d’âge. Sa création avait pour finalité de mettre en avant l’intelligence du geste, et de la placer sur un pied d’égalité avec les savoirs académiques.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que la commission de la culture a souhaité inscrire l’avis budgétaire consacré à l’enseignement professionnel dans sa réflexion globale relative aux crédits de l’enseignement scolaire. Mais l’idée d’une égalité des filières et des intelligences a malheureusement été dévoyée.

En effet, le constat n’est guère réjouissant : l’obtention d’un bac pro ne constitue pas le gage d’une insertion professionnelle. Sept mois après leur sortie de formation, seuls 43 % des bacheliers professionnels sont en emploi quand 46 % sont au chômage. Parmi ceux qui ont du travail, un tiers uniquement sont en CDI, le reste étant en CDD, en intérim ou en emploi aidé.

En revanche, parmi les titulaires d’un bac pro, on observe une propension croissante à la poursuite d’études. Deux causes permettent, à mon sens, d’expliquer ce phénomène.

La première cause est l’ambiguïté du positionnement même du bac pro. Alors que sa vocation première est et doit demeurer l’insertion dans l’emploi, ce diplôme est aujourd’hui promu comme une passerelle vers l’enseignement supérieur : c’est une forme de dévoiement !

La seconde cause découle du précédent constat : le bac pro n’est plus une voie sûre vers l’emploi. Ces diplômés sont plus nombreux à pousser la porte de Pôle emploi que celle d’une entreprise. Nombreux sont ceux qui, faute d’une perspective professionnelle, se dirigent vers des études longues.

Cette situation aboutit à l’envoi massif d’étudiants dans des filières où ils sont voués à échouer. Le taux d’échec des titulaires d’un bac pro s’élève à plus de 62 % en DUT, et à 95 % en licence universitaire. C’est tout à fait criminel ! Même en section de technicien supérieur un tiers des bacheliers professionnels échouent. Si ces formations sont conçues comme la suite logique de leurs études, ils y sont concurrencés par leurs camarades des autres filières.

Madame la ministre, l’instauration de quotas va dans le bon sens. Mais ces derniers suffiront-ils à inverser la tendance ?

Parallèlement, la voie professionnelle concentre les phénomènes de violence et de décrochage scolaires, alors même que la collectivité y consacre un grand effort financier : la formation d’un élève de lycée professionnel coûte 14 180 euros par an, contre 9 715 euros pour la scolarité d’un élève en lycée général et technologique.

Ce constat étant établi, dans quelle direction faut-il aller ?

Une évolution radicale des mentalités comme des structures est nécessaire.

Premièrement, il faut simplifier l’offre de formation et réduire le nombre de spécialités. Cet enseignement doit être adapté aux réalités économiques et à la diversité des territoires. Certaines spécialités, comme la comptabilité ou le textile, affichent des taux d’insertion dramatiquement bas, et pour cause : les métiers ont évolué. De surcroît, le contenu des formations doit être adapté aux besoins des entreprises, qui se transforment sans cesse. Les employeurs doivent être associés à la définition des référentiels de formation.

Deuxièmement, cet impératif a été rappelé, il faut développer le recours à l’apprentissage. Si la préparation du bac pro en trois ans se heurte à une réticence des entreprises à conclure des contrats d’apprentissage pour une telle durée, il convient de développer les parcours mixtes, qui mêlent une formation en alternance et des cours en lycée professionnel ou en CFA. Mieux vaudrait des parcours plus itératifs, avec une insertion professionnelle plus précoce, mais avec l’assurance de pouvoir poursuivre sa formation, voire se réorienter.

Troisièmement, la gouvernance des établissements professionnels doit être revue. En la matière, il serait de bon ton de s’inspirer de ce qui se pratique dans l’enseignement agricole, où la présidence du conseil d’administration est assurée non par le chef d’établissement, mais par une personnalité extérieure, généralement issue du monde économique. J’avais introduit dans la loi Fillon l’expérimentation de cette mesure : à mes yeux, elle doit désormais devenir la règle.

Quatrièmement, enfin, l’orientation des élèves, aujourd’hui en déshérence, appelle une clarification. Cette dernière passe par le transfert à la région de l’ensemble des moyens dédiés à l’orientation, dont les centres d’information et d’orientation, les CIO.

Mes chers collègues, à elles seules, ces mesures ne sauraient résoudre l’ensemble des difficultés. Mais elles permettraient de limiter l’énorme gâchis, sur le plan humain et en termes d’argent public, que constitue l’échec scolaire dans la voie professionnelle. Il s’agit de rendre cette dernière plus efficiente et plus équitable, mieux en phase avec les besoins de l’économie : c’est notre intérêt, c’est l’intérêt de notre jeunesse !

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