Intervention de Olivier Beaud

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 mars 2016 à 8h30
Protection de la nation — Audition de Mm. Olivier Beaud et dominique chagnollaud professeurs de droit constitutionnel à l'université paris 2

Olivier Beaud, professeur de droit constitutionnel à l'université Paris 2 :

Présenter l'extension à tous de la déchéance de nationalité comme une question d'égalité, un acquis démocratique de gauche, est tout à fait ridicule ! C'est une sanction. L'article que je viens d'écrire avec Cécile Guérin-Bargues revient sur le rôle de la guerre d'Algérie dans l'instauration de l'état d'urgence, et les raisons pour lesquelles de Gaulle ne souhaitait pas inscrire l'état d'urgence dans la Constitution : il n'était intéressé que par l'article 16 et il était contre l'état de siège, par crainte des militaires.

J'ai évoqué, monsieur Leconte, les décisions de 1985, de 2015 puis de 2016 dans lesquelles le Conseil constitutionnel juge le Parlement compétent pour légiférer sur l'état d'urgence. Le 20 novembre 2015, il n'a censuré qu'une seule des dispositions dont il était saisi. Nulle contradiction, par conséquent, dans mes propos.

Le deuxième alinéa du nouvel article 36-1 de la Constitution indique que « la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements ». Soit c'est redondant, puisque les mesures de police administrative sont de toute façon fixées par la loi, soit - et c'est mon interprétation, plus méfiante - il s'agit de lever les contraintes constitutionnelles liées aux saisies et à la retenue des personnes. On voit ainsi que la constitutionnalisation n'est pas innocente : loin d'encadrer les conditions de l'état d'urgence, elle permet d'aller plus loin dans la répression et aggrave les atteintes aux libertés.

Dans sa décision du 25 janvier 1985 relative à la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel a conféré à la notion d'ordre public une valeur constitutionnelle. Les juristes doivent depuis lors concilier les droits et libertés et l'ordre public. C'est le travail classique du Conseil d'État, désormais assumé par le Conseil constitutionnel ; à mon sens, ce dernier n'exerce pas un contrôle assez rigoureux en la matière, puisqu'il tolère des atteintes graves.

La constitutionnalisation de l'état d'urgence est un net recul. Ce n'est pas un hasard si le Gouvernement a rejeté les deux mesures protectrices des libertés proposées par les députés : une loi organique au lieu d'une loi ordinaire pour instaurer l'état d'urgence, et l'introduction à l'article 66 de garanties relatives à la compétence du juge judiciaire.

Loin de renforcer les libertés, l'état d'urgence marque la victoire de l'administration et de la police sur la justice, le triomphe de la raison d'État. Le constitutionnalisme est le vernis de l'inculture juridique française. Le Conseil d'État est la raison d'État en forme juridictionnelle. À vous, parlementaires, je demande de vous opposer aux légistes ; le seul juge compétent sur les libertés est le juge judiciaire. Ce qui se passe est gravissime et la plupart des parlementaires n'en ont pas encore saisi la portée. On n'a pas vu tel recul des libertés depuis la guerre d'Algérie ; or on ne peut comparer la situation actuelle avec celle qui prévalait alors.

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