Depuis longtemps existent différents types de double nationalité, et notamment depuis la réforme du code civil de 1973, sous l'effet de l'égalisation des droits entre hommes et femmes voulue par le doyen Foyer : désormais, un enfant né d'un couple binational possède les deux nationalités, sans devoir choisir.
Les tribunaux et notamment la Cour internationale de justice de La Haye, depuis l'arrêt Nottebohm, regardent la nationalité effective, le lien social. La commission de l'ONU sur les droits civils et politiques a estimé qu'un Suédois, arrivé à l'âge de 8 jours en Australie puis renvoyé dans son pays d'origine après des crimes atroces, avait un lien effectif avec l'Australie. Ce concept de nationalité effective est très important ; nous sommes une communauté d'États, la France n'est pas seule à garantir des droits ! L'article 16 de la Déclaration de 1789 concerne bien un droit de l'homme et non du citoyen : il n'y a aucune contradiction, à mon sens, entre l'article 23-7 et la garantie des droits. Pour certains binationaux, la nationalité française est secondaire. L'article 23-7 est donc conforme à la Constitution et peut être utilisé en cas d'actes de terrorisme. Ce n'est pas la voie choisie.
Le premier mécanisme proposé par le Gouvernement a blessé nos cinq millions de compatriotes ayant une double nationalité, qui n'ont rien de terroristes. Le Gouvernement a donc proposé une nouvelle mouture, adoptée par l'Assemblée nationale, mais l'inégalité perdure. Selon l'article 2, une personne peut être déchue de la nationalité française « lorsqu'elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Mais si la France ratifie, avec la réserve sur l'article 8-3, la convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie, un Français pourra se retrouver apatride si son comportement porte « un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État », là où le délit d'atteinte grave à la vie de la Nation ne concerne qu'un binational. La France, patrie des droits de l'homme, créerait des apatrides, animaux humains non protégés par la convention de l'ONU ! En 1958, la Cour suprême américaine a invalidé la déchéance de nationalité dans son arrêt Trop : créer un apatride serait une « punition cruelle et inusuelle », contraire au VIIIème amendement de la Constitution américaine. Si nous votions ce dispositif, nous serions le seul État civilisé à créer des apatrides sans protection.
Troisième point : la possibilité de déchoir pour un délit d'atteinte grave à la vie de la Nation. Le délit d'offense au Président de la République pourrait être rétabli et qualifié d'atteinte grave à la vie de la Nation. On ouvrirait ainsi la voie à des dispositions législatives liberticides, alors que le Conseil d'État en demandait la suppression dans son avis.
Si le nouveau dispositif s'applique, un binational français se sentant peu étranger et déchu de sa nationalité française se tournerait vers les tribunaux internationaux pour établir sa nationalité effective française. Si le pays d'origine modifie aussi sa loi dans le même sens que nous, le binational perdrait sa nationalité d'origine avant d'avoir épuisé toutes les voies de recours ! Nous créerions des bannis de l'intérieur, qui resteraient dans nos prisons, sans lien juridique avec aucun État.
La suppression de l'esclavage est le seul droit effectif de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Comme le dit Hannah Arendt, on n'est pas sujet de droit sans nationalité. La France, patrie des droits de l'homme, créerait des apatrides sans protection et étendrait la déchéance de nationalité aux délits ? Songez-y avant d'inscrire cette révision dans le marbre de l'Histoire...