Pour le SNES-FSU, se pose la question du pilotage de l'enseignement des langues vivantes. Une stratégie nationale des langues vivantes a fait surface un an après l'annonce de la réforme des collèges par la ministre de l'éducation nationale. Depuis près d'une dizaine d'années, les langues vivantes sont pilotées au coup par coup, selon des impératifs liés aux ressources humaines puisqu'un plan social se dessine manifestement pour les professeurs d'allemand. Ce pilotage obéit également à des considérations politiques, à l'instar du respect des accords bilatéraux obligeant l'éducation nationale à proposer un certain nombre de langues vivantes. La normalisation au niveau européen de l'enseignement des langues vivantes, notamment par le cadre européen de référence pour les langues (CECRL), a également des conséquences sur cette politique.
Depuis une dizaine d'années, l'enseignement des langues vivantes est affiché comme une priorité, puisque la compétitivité économique du pays en dépend. Cependant, le niveau des élèves à la sortie du système éducatif n'est pas en rapport avec ce discours. Une série de réformes, qui entendait promouvoir l'apprentissage des langues vivantes au collège, a finalement conduit à diminuer l'exposition des élèves à ces dernières.
Nous considérons qu'en-deçà de trois heures hebdomadaires, il est impossible de faire progresser les élèves conformément aux attentes. Nos collègues nous ont alertés quant à la forte dégradation des conditions d'enseignement et des conditions d'études induites par la réforme du collège. Le développement des sections bilangues répondait aux demandes des familles ainsi qu'à celles des établissements, en l'absence d'un cadrage national. Elles permettent d'attirer dans le public des élèves issus de milieux favorisés et ainsi de maintenir une certaine forme de mixité sociale et scolaire dans les établissements. Dans un collège qui se ghettoïse, perdre ces enfants revient à perdre des têtes de classe et ainsi à supprimer l'effet d'entraînement pour les élèves issus des milieux populaires. Enfin, les sections bilangues permettent de limiter la concurrence avec les établissements privés.
Dans son étude de juin 2015, le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) soulignait que 42 % des collègues accueillaient des sections bilangues et que dans plus de 80 % des cas, les élèves sont dispersés dans les classes. Comme pour les langues et cultures de l'Antiquité, le ministère a légitimé leur suppression en soulignant leur caractère élitiste, et il est vrai que ces classes attirent beaucoup d'élèves issus de milieux favorisés. Mais la dispersion de ces bons élèves dans l'ensemble des classes constitue un facteur d'émulation auprès des autres élèves. Le prétendu élitisme n'est étayé par aucune étude sérieuse.
Sur le terrain, quelles sont les conséquences de la suppression de ces sections bilangues ? Tout d'abord, des suppressions de postes : pour la seule académie de Lille, près de 140 postes de professeurs d'allemand vont être supprimés, sans présager des difficultés pour les autres langues étrangères. Lorsque vous enseignez l'anglais ou l'espagnol, qui sont les langues dominantes actuellement, vous n'êtes pas du tout dans la même situation qu'en tant qu'enseignant de portugais, d'italien, de russe ou d'allemand. Ces langues vivantes sont menacées de disparition. Au-delà des suppressions de postes, nous ne pouvons qu'interroger les visées de la politique nationale dans ce domaine. Allons-nous vers l'apprentissage unique de l'anglais et de l'espagnol ? Dans quelle mesure maintient-on l'allemand et les autres langues vivantes, sans compter les langues régionales, soit au total près de cinquante langues ? En quoi l'enseignement des langues vivantes participe à la mixité sociale et scolaire dans les établissements ? En quoi donner un plus à certains élèves permet de maintenir de la mixité sociale et scolaire ? Ou bien, faut-il réaliser ce que prévoit la réforme du collège, à savoir l'égalité pour tous impliquant le commencement de l'apprentissage d'une seconde langue vivante dès la classe de cinquième, au risque d'induire une perte d'attractivité de certains collèges publics ? Il faut ouvrir ce débat qui n'a pour le moment pas eu lieu.
S'ajoute aussi la question des services partagés pour nos collègues. En effet, un collègue qui effectuait l'ensemble de son service dans un collège va peut-être devoir le compléter dans un autre établissement, ce qui restreint la capacité d'organiser des échanges scolaires, qui sont pourtant au coeur de l'apprentissage de la langue et de la culture.
La réforme du collège a par ailleurs produit un effet d'aubaine puisque les moyens alloués aux établissements sont désormais calculés sur la base de classes de trente élèves. Ainsi, dans certaines académies comme celles de Toulouse ou de Rennes, les moyens manquent pour maintenir l'enseignement de l'italien, par exemple. Le SNES est vent debout contre cette réforme qui a provoqué la baisse de moyens dans de nombreux collèges et qui met en concurrence les différentes disciplines pour les obtenir.
Enfin, le maintien de la totalité des sections bilangues à Paris est totalement faux et relève d'un bruit médiatique. Certaines y seront supprimées. Nos collègues devront effectuer leur service dans d'autres établissements que le leur, y compris d'ailleurs dans des écoles primaires, ce qui est un tout autre métier impliquant des méthodes pédagogiques distinctes. Les professeurs de collège n'ont pas vocation à se substituer aux professeurs des écoles !