La commission organise une table ronde sur l'enseignement des langues, notamment de l'allemand. Sont entendus :
- Mme Thérèse Clerc, présidente de l'Association des professeurs d'allemand (ADEAF) ;
- Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES-FSU) et M. Georges Thai, co-responsable du groupe « langues vivantes » au SNES-FSU ;
Béatrice Angrand, secrétaire générale de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ).
Mes chers collègues, la réforme du collège, sur laquelle notre commission a effectué plusieurs auditions au printemps 2015, s'accompagne d'une nouvelle stratégie des langues vivantes annoncée par la ministre le 22 janvier dernier. Notre demande d'audition auprès de la ministre est pour l'heure restée sans réponse. La préparation de la rentrée scolaire 2016 et les nouvelles cartes académiques de langues vivantes inquiètent autant les enseignants, les familles, que nombre d'élus, s'agissant notamment de la disparité constatée entre les académies en matière de classes bilangues. Ainsi, à Paris la quasi-totalité des classes bilangues est maintenue, quand l'académie de Caen ne conserve que 5 % des siennes.
La place de l'enseignement de la langue allemande dans notre système éducatif est ainsi bouleversée, car les classes bilangues et européennes avaient été conçues pour enrayer la baisse du nombre des élèves qui l'apprenaient. Tous ceux qui sont attachés à la diversité linguistique, mais aussi à la coopération entre la France et l'Allemagne, sont aujourd'hui dans l'inquiétude.
L'apprentissage de l'allemand s'inscrit dans un projet politique de rapprochement et d'amitié entre nos deux pays, qui est au coeur du projet européen. Cet apprentissage a d'ailleurs été consacré par le traité de l'Élysée du 22 janvier 1963.
J'ajouterai que le Président de la République a fait part au printemps dernier de sa volonté de mettre en oeuvre une politique volontariste en faveur de l'apprentissage de l'allemand. Cette démarche s'est concrétisée par la création d'un poste de délégué ministériel au renforcement de l'apprentissage de l'allemand auquel a été nommée Mme Sandrine Kott, qui n'a malheureusement pu répondre favorablement à notre invitation. Nous aurons sans doute l'occasion de la recevoir ultérieurement.
À la veille de la mise en oeuvre de la réforme du collège, notre commission s'interroge sur la situation et l'avenir de l'enseignement de la langue allemande. C'est la raison pour laquelle nous accueillons Mme Thérèse Clerc, présidente de l'Association des professeurs d'allemand (ADEAF), Mme Valérie Sipahimalani et M. Georges Thai, respectivement secrétaire générale adjointe et co-responsable du groupe langues vivantes du Syndicat national des enseignements de second degré (SNES-FSU), ainsi que Mme Béatrice Angrand, secrétaire générale de l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ).
L'ADEAF compte deux mille adhérents, soit un quart des enseignants d'allemand. L'apprentissage de l'allemand s'inscrit, comme il a été dit, dans l'application du traité de l'Élysée, qui prévoit que chaque pays s'engage à promouvoir l'apprentissage de la langue de son partenaire. L'allemand présente également de nombreux atouts pour les jeunes Français, en matière de formation professionnelle et d'emploi, ainsi que de mobilité. En effet, 60 % des enseignants de collège organisent des échanges avec leurs collègues d'outre-Rhin.
L'enseignement de l'allemand est-il à la hauteur des besoins économiques, culturels et sociaux de notre pays ? À la rentrée 2014, 15,2 % des élèves apprenaient l'allemand, tandis que 98,8 % apprenaient l'anglais, 47,2 % l'espagnol et 4,2 % l'italien.
À partir de 1995, l'apprentissage de l'allemand a fortement diminué. À l'époque, 22,9 % des élèves apprenaient l'allemand et cinq ans plus tard, ce chiffre baissait pour n'atteindre que 18 %. Il fallait donc enrayer cette chute et les classes bilangues ont apporté une réponse structurelle à ce phénomène. Ces classes sont en fait des sections - les élèves pouvant être répartis dans différentes classes - dans lesquelles, dès la sixième, ceux-ci peuvent continuer ou débuter l'apprentissage de deux langues vivantes, dont l'une est forcément l'anglais. Elles se sont révélées d'emblée efficaces en permettant aux élèves qui auraient commencé l'allemand en primaire de poursuivre leur apprentissage en sixième et de commencer celui de l'anglais un peu plus tôt. Ces sections permettaient également de rassurer les familles en leur confirmant la possibilité d'un apprentissage ultérieur de l'anglais dès la sixième.
Or, le développement de ces sections ne s'est pas opéré comme prévu. Le dispositif a énormément plu aux familles et aux établissements. Les élèves ont en fait poursuivi l'apprentissage de l'anglais débuté dans le primaire de manière diverse. Le succès a cependant été tel, que des sections bilangues allemand-anglais ont été implantées dans la moitié des collèges. Aujourd'hui, parmi les 100 000 élèves qui apprennent l'allemand en sixième, 10 % seulement l'apprennent comme première langue ; les 90 % restants dans le cadre des sections bilangues. En classe de quatrième, les deux-tiers des 150 000 élèves qui apprennent l'allemand sont issus de sections bilangues.
Les conséquences de la réforme sur l'apprentissage de l'allemand ne pourront être mesurées qu'après sa mise en oeuvre à la rentrée 2016, mais on peut déjà craindre une régression du nombre d'élèves apprenant l'allemand. En outre, s'agissant des horaires d'enseignement, le compte n'y est pas non plus puisque la parité horaire - trois heures hebdomadaires pour chacune des langues - va fortement diminuer, y compris dans les zones où les sections bilangues sont maintenues. À partir de la classe de cinquième, il n'y aura plus qu'une grille d'horaire langue vivante 1 (LV1) et langue vivante 2 (LV2), ce qui induit une perte horaire importante pour les élèves et ainsi la diminution du niveau de compétences linguistiques.
Nous prévoyons donc une baisse du nombre de germanistes et une baisse de leur niveau de langue. Voilà ce sur quoi nous souhaitons attirer votre attention. D'après une très récente enquête portant sur la dotation horaire globale des collèges, la rentrée 2016 devrait enregistrer une baisse de trois heures d'allemand par établissement. Ces résultats sont certes partiels, puisque trois cent collègues nous ont répondu à ce jour, mais ils indiquent une tendance que la suite des réponses devrait malheureusement confirmer.
De plus, la carte des langues a permis de mettre au jour l'extrême inégalité territoriale devant la suppression des sections bilangues. Ainsi, l'académie de Caen voit près de 95 % de ses sections supprimées pour la langue allemande, mais pour l'italien, le taux de ces suppressions s'élève à 100 %.
Enfin, nous avons déposé un recours auprès du Conseil d'État sur le fondement du respect des engagements du traité de l'Élysée et de la rupture d'égalité devant les charges publiques. Pour répondre à l'impératif d'un bon niveau de compétences dans deux langues vivantes au minimum, tout en promouvant l'apprentissage de l'allemand, il nous semble nécessaire de développer les classes européennes, de généraliser les sections bilangues pour tous les élèves qui le souhaitent et tout au long de leur scolarité au collège et ce, sans exigence d'un parcours préalable en primaire. En effet, les recteurs sont autorisés à maintenir ou à ouvrir des sections bilangues dans des collèges où l'allemand est proposé dans au moins l'une des écoles élémentaires du secteur. Une certaine souplesse y est d'ailleurs constatée : si l'apprentissage de la langue doit débuter au cours préparatoire, celui de l'allemand s'inscrit en complémentarité de l'anglais. Cependant, l'enseignement de l'allemand au primaire est peu courant et absent dans de nombreux départements.
Pour le SNES-FSU, se pose la question du pilotage de l'enseignement des langues vivantes. Une stratégie nationale des langues vivantes a fait surface un an après l'annonce de la réforme des collèges par la ministre de l'éducation nationale. Depuis près d'une dizaine d'années, les langues vivantes sont pilotées au coup par coup, selon des impératifs liés aux ressources humaines puisqu'un plan social se dessine manifestement pour les professeurs d'allemand. Ce pilotage obéit également à des considérations politiques, à l'instar du respect des accords bilatéraux obligeant l'éducation nationale à proposer un certain nombre de langues vivantes. La normalisation au niveau européen de l'enseignement des langues vivantes, notamment par le cadre européen de référence pour les langues (CECRL), a également des conséquences sur cette politique.
Depuis une dizaine d'années, l'enseignement des langues vivantes est affiché comme une priorité, puisque la compétitivité économique du pays en dépend. Cependant, le niveau des élèves à la sortie du système éducatif n'est pas en rapport avec ce discours. Une série de réformes, qui entendait promouvoir l'apprentissage des langues vivantes au collège, a finalement conduit à diminuer l'exposition des élèves à ces dernières.
Nous considérons qu'en-deçà de trois heures hebdomadaires, il est impossible de faire progresser les élèves conformément aux attentes. Nos collègues nous ont alertés quant à la forte dégradation des conditions d'enseignement et des conditions d'études induites par la réforme du collège. Le développement des sections bilangues répondait aux demandes des familles ainsi qu'à celles des établissements, en l'absence d'un cadrage national. Elles permettent d'attirer dans le public des élèves issus de milieux favorisés et ainsi de maintenir une certaine forme de mixité sociale et scolaire dans les établissements. Dans un collège qui se ghettoïse, perdre ces enfants revient à perdre des têtes de classe et ainsi à supprimer l'effet d'entraînement pour les élèves issus des milieux populaires. Enfin, les sections bilangues permettent de limiter la concurrence avec les établissements privés.
Dans son étude de juin 2015, le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) soulignait que 42 % des collègues accueillaient des sections bilangues et que dans plus de 80 % des cas, les élèves sont dispersés dans les classes. Comme pour les langues et cultures de l'Antiquité, le ministère a légitimé leur suppression en soulignant leur caractère élitiste, et il est vrai que ces classes attirent beaucoup d'élèves issus de milieux favorisés. Mais la dispersion de ces bons élèves dans l'ensemble des classes constitue un facteur d'émulation auprès des autres élèves. Le prétendu élitisme n'est étayé par aucune étude sérieuse.
Sur le terrain, quelles sont les conséquences de la suppression de ces sections bilangues ? Tout d'abord, des suppressions de postes : pour la seule académie de Lille, près de 140 postes de professeurs d'allemand vont être supprimés, sans présager des difficultés pour les autres langues étrangères. Lorsque vous enseignez l'anglais ou l'espagnol, qui sont les langues dominantes actuellement, vous n'êtes pas du tout dans la même situation qu'en tant qu'enseignant de portugais, d'italien, de russe ou d'allemand. Ces langues vivantes sont menacées de disparition. Au-delà des suppressions de postes, nous ne pouvons qu'interroger les visées de la politique nationale dans ce domaine. Allons-nous vers l'apprentissage unique de l'anglais et de l'espagnol ? Dans quelle mesure maintient-on l'allemand et les autres langues vivantes, sans compter les langues régionales, soit au total près de cinquante langues ? En quoi l'enseignement des langues vivantes participe à la mixité sociale et scolaire dans les établissements ? En quoi donner un plus à certains élèves permet de maintenir de la mixité sociale et scolaire ? Ou bien, faut-il réaliser ce que prévoit la réforme du collège, à savoir l'égalité pour tous impliquant le commencement de l'apprentissage d'une seconde langue vivante dès la classe de cinquième, au risque d'induire une perte d'attractivité de certains collèges publics ? Il faut ouvrir ce débat qui n'a pour le moment pas eu lieu.
S'ajoute aussi la question des services partagés pour nos collègues. En effet, un collègue qui effectuait l'ensemble de son service dans un collège va peut-être devoir le compléter dans un autre établissement, ce qui restreint la capacité d'organiser des échanges scolaires, qui sont pourtant au coeur de l'apprentissage de la langue et de la culture.
La réforme du collège a par ailleurs produit un effet d'aubaine puisque les moyens alloués aux établissements sont désormais calculés sur la base de classes de trente élèves. Ainsi, dans certaines académies comme celles de Toulouse ou de Rennes, les moyens manquent pour maintenir l'enseignement de l'italien, par exemple. Le SNES est vent debout contre cette réforme qui a provoqué la baisse de moyens dans de nombreux collèges et qui met en concurrence les différentes disciplines pour les obtenir.
Enfin, le maintien de la totalité des sections bilangues à Paris est totalement faux et relève d'un bruit médiatique. Certaines y seront supprimées. Nos collègues devront effectuer leur service dans d'autres établissements que le leur, y compris d'ailleurs dans des écoles primaires, ce qui est un tout autre métier impliquant des méthodes pédagogiques distinctes. Les professeurs de collège n'ont pas vocation à se substituer aux professeurs des écoles !
Chaque langue a son intérêt mais une forte appétence existe entre la France et l'Allemagne, quelles que soient les classes d'âge, pour découvrir l'autre pays. L'OFAJ soutient près de 9 000 projets par an qui bénéficient à 200 000 jeunes. L'employabilité est l'un des facteurs motivant l'apprentissage de l'allemand, mais l'OFAJ s'inscrit également dans un engagement sociétal et historique. L'accès à la culture de l'autre passe prioritairement par la maîtrise de la langue, qui permet de contribuer au dynamisme du couple politique franco-allemand, moteur de la construction européenne. La coopération franco-allemande n'est pas uniquement transfrontalière : des projets pilotes émergent et inspirent d'autres régions du monde, à l'instar de l'Abibac qui a inspiré le Bachibac franco-espagnol. Sur le modèle de l'OFAJ, six pays des Balkans occidentaux ont créé un office régional d'échange pour la jeunesse. Tous ces éléments plaident en faveur de l'investissement dans les échanges franco-allemands qui supposent, du reste, un certain niveau linguistique.
Il est également nécessaire que la France et l'Allemagne continuent à dialoguer sur un pied d'égalité. S'il est vrai que cette coopération d'égal à égal devient difficile sur le plan économique, la fragilisation de l'enseignement de l'allemand pourrait conduire, par réciprocité, à la réduction des efforts déployés en faveur de l'enseignement du français outre-Rhin, où la politique linguistique et éducative est coordonnée entre seize Länder.
Les sections bilangues avaient en effet contribué à relancer l'apprentissage de l'allemand. La question de l'élitisme peut certes se poser, mais les établissements implantés dans les zones d'éducation prioritaire qui proposaient des sections bilangues avaient fortement gagné en attractivité. Même si la connaissance de l'allemand ne doit pas être une condition pour participer à des échanges et à l'offre de mobilité proposée par l'OFAJ, elle en favorise la réalisation. Sensibiliser des jeunes des quartiers difficiles à l'allemand peut leur donner suffisamment confiance pour effectuer par la suite un stage en Allemagne ou participer aux échanges préparés par leurs enseignants. Bien évidemment, nous aurions souhaité que les sections bilangues soient généralisées. La mobilité est un atout pour l'ensemble des jeunes et surtout pour les plus défavorisés d'entre eux. L'OFAJ apporte son soutien financier aux initiatives en ce sens.
Nous sommes particulièrement attentifs aux disparités de l'offre d'allemand sur le territoire. Il est regrettable de constater le taux de suppression des sections bilangues dans l'académie de Caen, alors que l'on sait les efforts conduits depuis cinquante ans par ce territoire en matière de réconciliation. Cela a été longuement commenté outre-Rhin. La question de l'emploi du temps des enseignants nous paraît également important. Si 65 % d'entre eux organisent des échanges, l'éclatement de leur service entre plusieurs établissements scolaires devrait les rendre moins disponibles pour ce faire ; même si l'OFAJ les assiste dans le montage de projets, ceux-ci n'en demeurent pas moins chronophages.
Mon collègue Guy-Dominique Kennel et moi sommes tout particulièrement concernés en tant que sénateurs d'Alsace. Les résultats de l'enquête que Mme Clerc nous a communiqués corroborent nos craintes quant à la diminution, voire la disparition progressive de l'allemand. Je suis également d'accord avec Mme Sipahimalani quant à l'attractivité d'une section bilangue pour les bons élèves qui, en favorisant l'émulation auprès de leurs camarades, contribuent à la mixité sociale et scolaire. Je sais que, de manière réciproque, certains Länder s'interrogent également sur l'avenir de l'enseignement du français. En ce qui concerne l'enseignement de l'allemand dès le primaire, nous éprouvons de fortes difficultés à trouver des enseignants, malgré l'accord du rectorat et des communes pour constituer des classes bilingues. En Allemagne, le recours aux locuteurs natifs dans l'enseignement est beaucoup plus répandu et la qualification de professeur plus facile à obtenir. Il s'agit-là d'une piste à suivre. La semaine passée, lors d'une visite dans une entreprise implantée dans le Land du Bade-Wurtemberg, le chef de l'entreprise, située à dix kilomètres de la frontière, m'a fait part de ses difficultés à recruter des frontaliers, faute de compétences linguistiques minimales, alors que cinquante postes sont à pourvoir ! De nombreux débouchés pour nos jeunes se trouvent en Allemagne ou dans des filiales d'entreprises allemandes implantées en France, mais il faut savoir lire un plan ou des instructions en allemand pour pouvoir en bénéficier. Comment rendre attractif l'apprentissage de l'allemand en France ?
Je déplore que la table ronde ne soit pas davantage pluraliste ! Nous n'avons ici que des intervenants à charge contre la réforme du collège, à l'exception de Mme Angrand, ce que je trouve regrettable. Je suis très attachée à l'enseignement de l'allemand puisque j'ai passé la plus grande partie de ma vie en Allemagne. Je formulerai une remarque qui sera sans doute considérée comme provocatrice : l'allemand serait sans doute plus attractif s'il n'était utilisé comme moyen de sélection dans un grand nombre d'établissements. Seuls les bons élèves apprennent l'allemand ce qui est un peu dommage, car tout le monde pourrait l'apprendre.
Puisque nous n'avons eu connaissance que des chiffres avancés par le SNES, j'aimerais vous présenter les chiffres qui m'ont été communiqués. À ce jour, on compte 149 écoles maternelles bilingues, dont 60 en France ; 59 écoles maternelles en Allemagne et 50 écoles en France ont signé le 22 janvier 2013 leur adhésion aux principes de la charte de qualité franco-allemande pour les écoles maternelles bilingues. La commission des experts franco-allemande a validé l'adhésion de dix nouvelles en France et de trente écoles en Allemagne lors de sa réunion en mai 2015 à Hambourg. Dans le premier degré, 178 000 élèves apprennent aujourd'hui l'allemand à l'école élémentaire ; la ministre a fixé un objectif de 200 000 élèves à la rentrée 2016, soit une hausse de 12 %. Il y a, de manière évidente, plus d'élèves qui apprennent l'allemand dans les académies de Strasbourg et de Metz que dans les autres académies. Les élèves germanistes représentent 6 % des élèves à l'école élémentaire ; l'allemand étant la seconde langue vivante après l'anglais. Au collège, langues vivantes 1 (LV1) et 2 (LV2) confondues, 487 000 collégiens apprennent aujourd'hui l'allemand. La ministre a fixé un objectif de 515 000 élèves à la rentrée 2016, soit une hausse de 6 %. Avec la réforme du collège, le nombre d'heures de LV1, avec treize heures hebdomadaires sur les quatre niveaux répartis différemment, ne change pas. En revanche, le nombre d'heures de LV2 passe de six heures hebdomadaires à sept heures et demie. Ainsi, la réforme du collège prévoit une augmentation de 54 heures de LV2 sur l'ensemble de la scolarité au collège. Dans l'enseignement professionnel, le nombre d'élèves apprenant l'allemand en France est en hausse. L'année franco-allemande avait été l'occasion d'ouvrir, à la rentrée de septembre 2013, une première filière franco-allemande expérimentale en lycée professionnel industriel, en l'occurrence dans l'aéronautique au lycée Flora-Tristan de l'académie de Bordeaux. À la rentrée 2014, une section expérimentale a été ouverte dans le domaine de l'hôtellerie au lycée Georges-Frêche à Montpellier, en partenariat avec le Land de Brême. Le 24 novembre 2014, les ministres de l'éducation français et allemand ont annoncé l'ouverture d'une nouvelle section franco-allemande en Sarre (Berufbildungszentrum de St-Ingbert) et la Lorraine (lycée professionnel André-Citroën à Marly près de Metz) dans le domaine de l'automobile. À la rentrée 2015, une section concernant quatre établissements dans les domaines de l'énergie et du développement durable a été ouverte dans l'académie de Dijon. À la rentrée 2016, une section concernant quatre établissements dans la filière du bois devrait être ouverte dans l'académie de Besançon, en partenariat avec un ou des établissements bavarois.
En mars 2015, il y avait 6 357 enseignants d'allemand, en équivalent temps plein, et le nombre de postes ouverts aux concours - CAPES et agrégation - augmente significativement : en 2010, 199 postes ; en 2012, 340 postes et 514 postes en 2015. À partir de la rentrée 2016, tous les élèves débuteront l'apprentissage de leur LV1 au cours préparatoire et celui de leur LV2 en classe de cinquième. Tout ne va peut-être pas très bien, mais la réforme du collège va permettre, je l'espère, de développer l'enseignement des langues.
Enfin, je partage l'avis de notre collègue Claude Kern. Le recours aux locuteurs natifs dans l'éducation nationale serait une très bonne chose, ne serait-ce que pour pallier le manque d'enseignants pour donner aux élèves une dimension interculturelle.
Les avis que nous venons de recueillir sont très intéressants et reflètent la diversité des acteurs de l'enseignement de l'allemand. La situation me paraît en effet catastrophique : la réforme annoncée induit un saupoudrage des moyens conduisant à une diminution des horaires d'enseignement et, par conséquent, du niveau de nos élèves. Les résultats me paraissent inverses des annonces faites par la ministre, ce que je n'ai d'ailleurs pas manqué de lui signaler. Comme elle ne souhaite pas d'élitisme, on va niveler par le bas ! Proposer deux langues à tous les élèves de cinquième ne relevait certainement pas d'une nécessité, tant certains doivent consolider avant tout leur maîtrise du français. Cette hausse quantitative n'est nullement un gage de réussite scolaire. La mise en place de classes bilangues dans certains établissements avait suscité une grande motivation, notamment en zone d'éducation prioritaire, où ces classes accueillaient des élèves de milieux différents. Malheureusement, leur suppression conduira les parents de ces élèves à les inscrire dans l'enseignement privé.
L'appétence pour les autres pays, et en particulier l'Allemagne, fait partie de notre histoire, et nous ne serons plus en mesure de la maintenir. Or, nous avons un devoir de mémoire et nous n'aurons plus les moyens d'organiser les échanges qui nous permettaient de l'honorer. En outre, les jumelages de nos villes étaient fondés sur les échanges scolaires. C'est bel et bien la fin d'un cycle et c'est vraiment attristant.
Je ne trouve pas que les propos tenus ici soient à charge, tant ils corroborent la situation que j'ai pu constater dans mon département, les Côtes-d'Armor. Pourquoi une telle chute de l'apprentissage de l'allemand depuis des années ? La réforme des collèges, ainsi que la fusion entre les écoles maternelles et élémentaires dans notre région Bretagne, conduit à la diminution voire, pour les plus petites classes, à la fin de l'enseignement d'une première langue étrangère, du fait des suppressions de postes qui en résultent.
Je rejoindrai notre collègue Claude Kern sur l'élitisme supposé des sections bilangues. Ces classes ont le mérite d'exister et il importe de développer de telles classes pour les autres élèves. L'environnement est important et ces sections bilangues accueillent également des élèves issus de milieux moins favorisés ; elles contribuent ainsi à la mixité sociale. L'absence de cadrage national pour l'enseignement des langues étrangères est une anomalie.
Il est indéniable que la réforme des collèges conduit à la suppression des sections bilangues et fait naître une inquiétude qui se retrouve sur l'ensemble du territoire. Il faudrait mobiliser plus de moyens pour organiser les voyages scolaires qui reposent principalement sur la bonne volonté des enseignants.
Il me paraît essentiel d'entendre les différents avis sur la question et notre collègue Claudine Lepage a apporté un complément d'information tout à fait important. Je demeure néanmoins perplexe, car l'enseignement des langues vivantes a toujours été un souci en France. Pourtant, les nouvelles mesures se succèdent sans que l'on prenne le temps de les évaluer, afin de distinguer celles qui sont fructueuses. Le maintien des classes bilangues de continuité, qui implique l'apprentissage d'une LV2 dès le primaire, me semble constituer un moyen de diversion. Dans ma commune de Blagnac, nous proposions, il y a vingt ans, l'apprentissage de l'anglais, de l'espagnol et de l'allemand dès les classes primaires. La municipalité finançait en lieu et place de l'éducation nationale. Petit à petit, celle-ci a repris en charge cet enseignement et l'anglais s'est imposé comme la seule langue enseignée. Compte tenu de la proximité de notre commune avec l'avionneur Airbus, il était pourtant important de maintenir l'apprentissage de l'allemand dans les collèges. Désormais, les élèves iront dans l'enseignement privé ou au collège international implanté dans la commune voisine. Je suis favorable à un enseignement de plusieurs langues étrangères dès l'école maternelle, qui participent à l'éveil des enfants. S'il est difficile d'assurer un accès égal aux langues étrangères sur l'ensemble du territoire national, il faut trouver des équilibres en fonction des régions et, le cas échéant, en tenant compte de l'apprentissage des langues régionales. En outre, il faut tenir compte des impératifs de mixité sociale et force est de constater que les sections bilangues y contribuaient réellement. Il faudra évaluer la mise en oeuvre de la réforme sur ce point.
J'interviens à la place de ma collègue Corinne Bouchoux, germaniste confirmée, mais souffrante et parlerai en tant qu'analphabète bilingue. Je n'ai pas d'expertise sur le sujet, mais je me souviens de mon apprentissage de l'allemand comme première langue durant les Trente Glorieuses, avant d'étudier le grec et le latin. Cela impliquait, tout au long de ma scolarité, une privation d'anglais auquel je me suis raccrochée à titre individuel et très tardivement. Écriture gothique en allemand, livre obligatoire et exercices de grammaire imposés pendant l'année 1964... il nous fallait écouter religieusement notre professeur et seuls les échanges scolaires, organisés sans doute grâce à l'OFAJ, nous permirent de nous exprimer en langue allemande. Je vous remercie d'avoir insisté sur la mobilité géographique et les échanges interculturels, la rencontre de l'autre, et la nécessaire diversité de l'accès aux langues que tout apprentissage doit prendre en compte.
Soucieuse des préoccupations syndicales, je ne pense cependant pas qu'on puisse définir une politique en faveur des langues étrangères en fonction d'impératifs de ressources humaines ou de chiffres : on ne va tout de même pas forcer les enfants à apprendre l'allemand contre leur gré ! C'est d'ailleurs là une faiblesse de notre table ronde d'aujourd'hui, car nous aurions voulu entendre les préoccupations des autres professeurs de langue pour obtenir une vision équilibrée.
Je suis atterrée du contraste entre les chiffres présentés par notre collègue Claudine Lepage et ceux de nos intervenants. Les chiffres ne peuvent pas mentir à ce point d'un côté et de l'autre. Il va falloir qu'on se donne les moyens de faire sortir la vérité des chiffres et des cartes, et surtout de l'offre aux élèves.
Je ne serai pas à charge pour le Gouvernement actuel, puisque je considère que l'enseignement des langues n'a jamais fonctionné dans notre pays. Dans le Bas-Rhin, département frontalier de la Suisse et de l'Allemagne, nous avons souhaité un renforcement de l'apprentissage de l'allemand. Suite au refus des gouvernements successifs, la région et les deux départements alsaciens ont financé le recrutement et la formation d'enseignants supplémentaires. Nous payons ainsi une centaine de contractuels pour assurer l'enseignement bilingue dès la maternelle et mon département participe à cette démarche à hauteur de 1,5 million d'euros par an.
La baisse du niveau et le manque d'enthousiasme grandissant pour l'apprentissage de la langue allemande avivent les plus grandes inquiétudes. Mon épouse, professeure agrégée d'allemand, enseigne dans un lycée frontalier et ne parvient plus à placer ses élèves dans des entreprises allemandes implantées de l'autre côté de la frontière. Ces dernières refusent de prendre des élèves en raison de l'insuffisance de leurs compétences linguistiques. Une telle situation est d'une extrême gravité alors que de nombreux emplois sont disponibles en Allemagne, où le taux de chômage est inférieur à 5 %.
Par ailleurs, nous avons un mal fou à recruter des locuteurs natifs du fait de la complexité administrative de leur embauche et surtout de la faiblesse des traitements versés aux enseignants en France par rapport à leur niveau outre-Rhin.
Pour la rentrée prochaine et dans le contexte de l'abandon des classes européennes et des sections bilangues, 78 % des parents demandent l'apprentissage de l'anglais comme première langue. Il s'agit là d'un basculement total qui nous inquiète fortement et se solde par un abandon de l'apprentissage de l'allemand sur notre territoire. Malgré tous les efforts poursuivis et l'attractivité revendiquée, la situation de notre région frontalière est inquiétante ; elle se retrouve très certainement dans l'ensemble des régions frontalières, au regard de l'apprentissage de l'espagnol ou de l'italien. Les collectivités territoriales s'interrogent sur l'intérêt de la poursuite de l'investissement qu'elles ont consenti.
Fort de mon expérience d'une vingtaine d'années, notamment dans les classes européennes, je précise que les meilleurs élèves ne sont pas nécessairement issus des milieux favorisés. Mais de telles classes permettent aux étudiants d'origine populaire de découvrir de nouvelles cultures et de voyager. J'insiste sur le terme de section qui va à l'encontre de la notion d'élitisme : la section est composée d'élèves provenant de diverses classes et ne conduit nullement à la constitution de classes d'élites. Un vrai mélange s'opère et l'émulation qui en ressort s'avère très positive.
En outre, l'enseignement des langues a évolué. Ce n'est plus du thème, de la version ou de la grammaire alliée au par coeur à hautes doses, mais l'apprentissage de l'oral, de la culture et la découverte de modes de vie différents. Lorsque l'on envoie un élève effectuer un stage à l'étranger, il est essentiel qu'il connaisse un minimum la culture du pays d'accueil, afin qu'il s'y comporte convenablement. Une exposition suffisante à la langue s'avère nécessaire. Or, trois heures par semaine nous paraissent un minimum nécessaire ; deux heures et demie par semaine pendant trois ans ne me paraissent pas aussi efficaces. Lorsque l'on démarrait une langue en classe de quatrième, on possédait déjà des acquis dans la langue précédente. Professeur d'anglais, je pense que l'allemand est une langue très structurée et structurante qui peut aider un élève à apprendre une autre langue, et en particulier l'anglais. Apprendre les deux langues en parallèle constitue tout l'intérêt des sections bilangues.
Ce débat est très intéressant. Il faut rappeler, s'agissant de la voie professionnelle, l'unité facultative de mobilité qui permet aux étudiants de valoriser les acquis de stages effectués à l'étranger dans leur diplôme. Cette unité facultative de mobilité n'a pas d'équivalent en Allemagne, où le français est absent de l'enseignement professionnel. L'idée de continuer ou de renforcer la présence de l'allemand en primaire ne conduit pas à évincer l'anglais. L'initiation à la langue allemande, telle que la proposeraient les rectorats, relèverait d'une démarche plutôt ludique, ce qui suppose certainement une jonction entre les enseignants du primaire et du secondaire.
Dans les écoles, la sensibilisation aux langues et à la mobilité me paraît insuffisante. L'ensemble des enseignants de langue vivante devrait avoir une expérience à l'étranger durant leur formation car ceux qui ont eux-mêmes fait l'expérience de l'échange en deviennent les meilleurs ambassadeurs.
Les enseignants d'allemand sont des pionniers en matière d'innovation pédagogique, car ils ont besoin de faire vivre leur discipline. Nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à aller dans les classes du primaire pour assurer la promotion de la langue allemande et des sections bilangues. Leurs efforts ont porté et la suppression de ces sections suscite leur désespoir. La pratique de la langue est également pilotée par les examens terminaux, comme la certification que peuvent passer les élèves à la fin de la troisième, ou en seconde pour l'allemand. La préparation de cette certification est axée sur la maîtrise de l'oral et la connaissance de la culture ; l'un n'allant pas sans l'autre.
Je considère comme injuste le grief fait à l'allemand, qui serait un facteur d'élitisme. En effet, jusqu'en 1995, l'allemand était avant tout choisi comme première langue vivante. À partir de cette date, l'espagnol a supplanté l'allemand ; désormais, l'anglais et l'espagnol fournissent le profil linguistique le plus fréquent parmi nos élèves. Il y a là un enjeu fort, car cette situation ne permet pas de répondre aux besoins qui sont les nôtres.
L'allemand est la seconde langue demandée après l'anglais dans les offres d'emploi. Il est vrai que dans les entreprises, cette demande est récurrente. Si l'on a envie de développer le tissu des petites et moyennes entreprises en France, qui est une force en Allemagne et une faiblesse en France, la connaissance de l'allemand peut s'avérer utile.
Je ne nie pas que l'allemand soit utile pour les frontaliers de l'Allemagne, mais l'est-il autant pour les habitants du sud de l'Aquitaine ? Je me suis rendu dans cinquante pays dans le monde et j'y ai chaque fois parlé espagnol !
S'agissant de l'imputation d'élitisme faite à l'allemand, les assouplissements et les aménagements destinés à assurer le maintien des sections bilangues sont autorisés dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP), ce qui témoigne de l'intérêt pour les élèves de ce type de classe. Il faut des parcours identifiés de qualité qui soient effectivement ouverts à tous. Pourquoi les supprimer, alors qu'ils attirent un grand nombre d'élèves et contribuent à la mixité sociale et scolaire, tout en suscitant l'enthousiasme des enseignants qui y participent ?
Enfin, nos chiffres ne sont pas à charge. Ce sont nos chiffres. Ils sont d'ailleurs consultables sur notre site Internet. Je ne peux, bien évidemment, que me réjouir des intentions du ministère de développer l'allemand, mais j'ai l'immense regret de constater que l'inverse se produit. Pour les dotations horaires globales, nous ne disposons que des prévisions pour la rentrée 2016. Notre alerte a d'ailleurs été prise en compte et a conduit à l'assouplissement de la notion de continuité qui a permis de maintenir près de 70 % des classes bilangues. Sans ce dispositif, les effectifs se seraient effondrés ; ils vont tout de même diminuer à la rentrée. S'agissant des heures de cours, les programmations pour la rentrée 2016 sont actuellement déterminées. Le nombre d'heures d'allemand dispensées dans les collèges de France seront ainsi en diminution. Je le regrette.
Mon intervention sera très brève. L'enseignement de l'allemand se heurte parfois à un obstacle historique. Je suis élu de la Somme où se sont déroulées trois guerres franco-allemandes et nous commémorons cette année le centenaire de la bataille de la Somme, qui fit plus de victimes encore que la bataille de Verdun. Notre département a beaucoup souffert de l'occupation pendant quatre ans. Les esprits et les paysages en sont encore marqués. Malgré le temps qui passe, les générations âgées utilisent toujours le terme de « Boche ». Ont-elles une influence sur le choix par leurs petits-enfants de leur langue vivante au collège ? Une telle réalité légitime peut-être les difficultés de la langue allemande à s'implanter dans notre département.
Pourquoi nous limiter seulement à l'allemand ? S'agit-il d'une première d'une série de tables rondes consacrées aux autres langues ?
C'est tout à fait le cas. Comme je vous l'exposais dans mon propos liminaire, nous avions prévu d'accueillir de nombreux intervenants, dont la ministre elle-même, afin qu'elle nous présente sa stratégie pour les langues vivantes. N'étant pas moi-même germaniste, je suis très sensible à la diversité des langues. Pourquoi l'allemand ? Ses enseignants ont très vivement réagi à la disparition des sections bilangues ; l'ambassadeur d'Allemagne en France a également fait part de son émotion suite à ces orientations. Au cours de notre audition, nous avons également abordé l'évolution de l'italien, de l'espagnol et de toutes les autres langues qui sont tout aussi importantes et que nous défendons. Nous aurons ainsi une série d'auditions sur ces questions.
Il ne faut pas perdre de vue que l'enseignement des langues aux élèves dans les classes primaires et de collège n'a pas de fonctionnalité autre que méthodologique et pédagogique. Préparer les élèves au monde du travail est la tâche des lycées et de l'enseignement professionnel, puis de l'enseignement supérieur. Il importe que l'enfant, dès son plus jeune âge, puisse être familiarisé avec d'autres langues que la sienne et les apprendre avec des outils pédagogiques adaptés. Nous sommes nombreux à regretter la manière dont nous avons dû apprendre les langues étrangères : heureusement les méthodes d'enseignement ont évolué.
Cependant, je comprends assez mal les réticences suscitées par la réforme du collège. Il fallait éviter un enseignement à deux vitesses dans l'école publique et les classes bilangues ou européennes créaient des différences entre les élèves. Le choix de la langue permettait également d'échapper à la sectorisation scolaire et n'était pas toujours opéré pour de bonnes raisons. L'allemand sera toujours enseigné aux élèves et je vous rappelle que l'apprentissage de deux langues vivantes à partir de la classe de cinquième constitue l'innovation de la rentrée 2016.
Je rappellerai que les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) peuvent s'inscrire dans un enseignement en langue étrangère et que les engagements internationaux de la France vis-à-vis de l'Allemagne ont été totalement respectés, comme l'a rappelé notre collègue Claudine Lepage. Pourquoi l'allemand est-il moins apprécié aujourd'hui ? Sans doute apparaît-il comme moins véhiculaire que l'anglais ou l'espagnol. Mais il importe de souligner que l'apprentissage des langues étrangères est avant tout une méthode de conformation de l'esprit et qu'il est important que dans nos écoles on puisse toujours apprendre à la fois l'anglais et l'allemand. Les chiffres qui ont été donnés démontrent qu'on pourra continuer à le faire.
Les langues étrangères ne sont plus un motif de dérogation à la carte scolaire depuis près d'une décennie. Il n'y avait aucune personne favorable à la réforme du collège à cette table ronde, mais 80 % des enseignants y sont opposés. Nous ne sommes pas opposés à l'enseignement d'une seconde langue vivante dès la cinquième, mais nous estimons qu'une exposition de deux heures et demie est insuffisante. Il nous semble par ailleurs qu'il vaudrait mieux aller vers un enseignement pluri-linguiste à l'école élémentaire comme le recommandent les études scientifiques d'aujourd'hui. Il s'agit ainsi de ne pas se focaliser sur une langue en particulier, mais sur une sensibilisation aux autres langues étrangères et régionales dans leur ensemble. La question de la continuité serait ainsi évacuée et une telle pratique serait plus formatrice pour les enfants. Il faudrait cependant mobiliser des moyens conséquents pour former les enseignants à de telles pratiques.
Notre opposition à la réforme est motivée par notre préoccupation en faveur de la démocratisation. Lorsqu'on réforme, pense-t-on aux élèves issus des milieux populaires et que l'école ne réussit pas, en ce moment, à faire progresser ? Pour nous, les EPI fournissent le contre-exemple de ce qu'il faudrait faire et je vous renvoie aux travaux du groupe Escol sur cette question.
Nous avons déjà auditionné vos collègues sur ce point. Nous vous remercions de cet échange intéressant, que nous approfondiront en recevant d'autres invités prochainement.
La commission examine le rapport d'information de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente, sur la mission effectuée par une délégation de la commission au Maroc en avril 2015.
En avril dernier, une délégation de notre commission a effectué une mission au Maroc. C'était la première fois que nous nous rendions en Afrique et dans le monde arabe. Ce choix venait souligner la place éminente du Maroc tant du point de vue stratégique qu'en tant qu'acteur majeur de la relation entre l'Europe et l'Afrique. En 2008, le Maroc a d'ailleurs obtenu le statut avancé auprès de l'Union européenne.
Dans les domaines de compétence de notre commission, elle était d'autant plus justifiée que le Maroc constitue le premier réseau d'enseignement français à l'étranger et le premier réseau culturel français à l'étranger.
Dernier élément de contexte, les saisons croisées entre la France et le Maroc. Certains ont sans doute encore en mémoire la visite de l'exposition sur le Maroc contemporain à l'Institut du Monde arabe. À Rabat, nous avons pu visiter l'exposition consacrée au Maroc médiéval auparavant présentée au Louvre. Ces événements constituaient également une illustration de l'intensité des échanges culturels entre nos pays, renforcés après l'accession au trône du roi Mohammed VI et, plus encore, de la réforme constitutionnelle de 2011.
Au lendemain des printemps arabes, le Maroc s'est engagé de manière déterminée dans une politique de renouveau des institutions. La Constitution reconnaît les fondements historiques multiples du Royaume et accorde une place à l'exercice des libertés individuelles.
Faire avancer l'état de droit revêt de multiples aspects. Je pense par exemple au nouveau code de la famille.
Pour ce qui nous concerne plus directement, la communication dispose désormais d'un cadre légal rénové, qui tend à se rapprocher des standards démocratiques, aux dires mêmes des personnalités officielles rencontrées par la délégation qui nous ont livré leur analyse sans langue de bois.
Trois chantiers principaux ont été ouverts :
- la réforme du cadre légal de l'exercice de la profession de journaliste ;
- la mise en place de règles permettant de garantir l'indépendance de l'audiovisuel public ;
- la mise en oeuvre d'une véritable filière de formation des journalistes.
Lors de l'entretien qu'il nous a accordé, le ministre de la communication a été très clair sur la volonté d'élaborer un nouveau code de la presse, projet qui « ambitionne de consolider les garanties des libertés de la presse, en droite ligne des dispositions constitutionnelles et des engagements internationaux du Royaume et d'abolir les peines privatives de liberté, tout en les substituant par la responsabilité sociale et la réparation civile, via des amendes appropriées ».
La réforme du paysage audiovisuel traduit, elle aussi, la volonté du Maroc de développer l'option démocratique à travers la consécration du pluralisme, la consolidation des fondements de l'état de droit et des institutions et la garantie de l'exercice de la liberté d'expression et d'opinion. Placée sous la protection tutélaire du Roi, la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (Haca), créée en 2002, a pour mission première de veiller au respect des principes du pluralisme, de la diversité et de la liberté d'expression « dans le respect des valeurs civilisationnelles fondamentales et des lois du Royaume ». Elle a à sa tête une femme remarquable, Mme Amina Lamrini, avec qui nous avons longuement échangé et qui a souligné les évolutions positives enregistrées ces dernières années.
Dernier signe tangible d'évolution, la priorité donnée à la formation des journalistes. Le développement des médias numériques et l'élargissement de l'offre audiovisuelle ont placé la question de la formation - initiale comme continue - des journalistes parmi les chantiers prioritaires de l'Institut supérieur de l'information et de la communication (Isic) qui constitue la seule école publique de journalisme. Elle forme une cinquantaine de professionnels chaque année, qui, semble-t-il, s'insèrent facilement sur le marché du travail et les responsables que nous avons rencontrés étaient très demandeurs d'une coopération avec les établissements français.
Cette transformation institutionnelle traduit les aspirations d'une société jeune à plus de transparence et de développement par la connaissance.
En effet, le premier défi que le Maroc doit relever concerne la démographie : en cinquante ans, la population a été multipliée par trois. Elle dépasse désormais 33 millions d'habitants, dont 30 % ont moins de 15 ans. C'est dire si la question éducative et la scolarisation de tous revêtent un caractère tout à fait prioritaire.
De fait, de 38 % en 1960, le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire est passé à plus de 71 % en 1999 et atteint désormais 99,5 %. Si le taux d'alphabétisation n'atteint guère plus de 56 % globalement, il s'élève à 84 % chez les 15-24 ans. Néanmoins, le ministre de l'éducation nationale déclarait récemment, si l'on en croit la presse, que « l'école publique marocaine a touché le fond puisque 76 % des élèves ne savent ni lire ni écrire après quatre années passées en primaire, la majorité des élèves entre 6 et 11 ans n'ont pas acquis les bonnes bases de lecture, d'écriture, de calcul ».
D'où l'adoption d'une « vision stratégique pour la réforme de l'école marocaine », adoptée en mai dernier et couvrant les années 2015 à 2030. Cette politique ambitionne l'édification d'une école nouvelle qui sera l'école de l'équité et de l'égalité des chances, l'école de la qualité pour tous. Pour ce faire, la vision stratégique estime nécessaire de repenser la formation et la qualification des métiers de l'enseignement, de reconsidérer les méthodes pédagogiques, de revisiter les programmes, de clarifier les choix linguistiques, de mettre en place une nouvelle gouvernance et de promouvoir la recherche scientifique et l'innovation.
La pression est encore plus forte dans l'enseignement supérieur, dont les effectifs progressent très rapidement : de moins de 300 000 à la rentrée de 2007, le nombre des étudiants est passé à près de 700 000 aujourd'hui. Bien évidemment, un accroissement aussi rapide pose d'inévitables problèmes de capacités d'accueil et de montée en puissance du corps enseignant. Sans oublier la question de l'accès au marché du travail des jeunes diplômés, d'autant que la proportion de bacheliers littéraires s'accroît par rapport aux bacheliers scientifiques.
Après le Liban, le réseau de l'enseignement français au Maroc est aujourd'hui le premier au monde par le nombre d'établissements et d'élèves scolarisés, soit 32 000 élèves au sein de 36 établissements. Ceux-ci se répartissent entre gestion directe par l'Agence de l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et établissements partenaires.
La délégation a eu la grande chance de visiter trois d'entre eux, lui permettant ainsi de mieux appréhender la diversité des situations :
- le lycée Lyautey de Casablanca, avec près de 3 500 élèves constitue un des établissements les plus importants de toute l'éducation nationale ;
- récemment ouvert, le groupe scolaire Jacques Majorelle de Marrakech accueille plus de 600 élèves, dont quelques Français et constitue un établissement partenaire, géré par la Mission laïque française ;
- l'école primaire Narcisse Leven, qui compte environ 200 élèves dont un tiers de Français, qui dépend de l'Alliance israélite universelle, et est sans équivalent dans tout le monde arabe.
Au-delà des spécificités de chacun, nous avons constaté la grande qualité et la variété des enseignements dispensés. Tout à fait logiquement, ce réseau suscite l'admiration et doit faire face à une très forte demande. Malgré le montant des frais à la charge des familles, souvent hors de portée pour les foyers marocains, la France n'éprouverait aucune difficulté à « remplir » des établissements supplémentaires si elle faisait le choix d'en ouvrir. Mais outre le coût d'une telle politique, l'enseignement français au Maroc n'a pas vocation à se substituer à l'enseignement public marocain, qui doit poursuivre son propre développement.
Plus globalement, c'est la question de la place du français dans l'ensemble du système scolaire marocain qui est aujourd'hui posée. Si les élèves apprennent le français dès la deuxième année de l'école primaire, de l'aveu des responsables rencontrés par la délégation, à la fin du cursus scolaire, c'est-à-dire après douze années d'études, la majorité d'entre eux ne possède qu'un niveau très faible. Pourtant, c'est en français que continuent d'être enseignées les matières scientifiques dans l'enseignement supérieur.
Le gouvernement marocain a décidé de mettre en place des sections internationales du baccalauréat marocain, afin de préparer les élèves à accéder à l'enseignement supérieur et de faciliter leur insertion économique. Dans ces sections, la langue étrangère est progressivement utilisée pour l'enseignement de certaines matières du cursus. Cette expérience est toute récente, puisque seuls six lycées expérimentaient une section internationale à la rentrée 2014. À la rentrée 2015, l'expérience a été étendue à au moins un lycée public dans chacune des académies. 200 sections internationales francophones existent désormais (deux hispanophones et deux anglophones).
Dernier élément en date, postérieur à notre visite, le 10 février dernier, le conseil des ministres a entériné l'enterrement de l'arabisation de l'enseignement. Ce programme vise à « franciser » l'enseignement des mathématiques, des sciences naturelles et des sciences physiques. Cette politique ouvre de nouvelles perspectives à la coopération éducative entre nos deux pays. Il serait en effet dommage que la volonté que manifestent les autorités marocaines soit freinée par l'absence d'enseignants de qualité. Elle constitue en tout cas une raison supplémentaire d'accentuer nos efforts d'accueil - déjà très importants grâce à Campus France - des étudiants marocains en France, qui constituent bon an mal an la deuxième communauté étrangère dans notre enseignement supérieur. Elle rend encore plus intéressantes les initiatives en faveur de la création d'écoles au Maroc même. Outre un coût moindre, une telle volonté permet d'ouvrir l'enseignement supérieur français à des jeunes qui n'y auraient pas accès et valide la volonté affichée par le Maroc de constituer un pont entre l'Europe et l'Afrique et, en particulier, entre la France et le monde africain francophone, volonté clairement appuyée par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche lors de l'échange que nous avons pu avoir avec lui ainsi que les présidents d'université réunis.
L'INSA de Fez constitue déjà un exemple réussi de cette politique de co-diplomation. L'Université internationale de Rabat, établissement privé de tout premier plan, nous a vivement impressionnés.
Il faut également encourager les projets tels que celui qui nous a été présenté à Casablanca d'école centrale, c'est-à-dire d'une grande école française « décentralisée » mais qui offre le même niveau d'enseignement et exige la même excellence qu'à Paris ou Hyderabad où l'école est également implantée.
Rapprocher l'enseignement français des Marocains pourrait également éviter de trop politiser le débat car le français, surtout après les printemps arabes, a été parfois présenté ou vécu comme une langue réservée à une élite. Certains verraient dans la généralisation des sections internationales francophones une remise en cause de la « souveraineté linguistique marocaine » voire le signe d'une « dépendance culturelle et linguistique par rapport à la France ». L'enterrement récent de trente ans d'arabisation a d'ailleurs déjà suscité des critiques politiques, un député estimant que « ce projet montre à quel point le lobby francophone est encore puissant et à quel point notre pays dépend de la France ».
Prenons garde, par conséquent, à croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.
J'en viens maintenant à la coopération culturelle.
Je l'ai dit, le réseau culturel français au Maroc est le premier au monde, avec 13 implantations de l'institut. 1 500 manifestations culturelles sont organisées en moyenne chaque année, le pays compte 13 médiathèques françaises, avec plus de 35 000 inscrits. En outre, plus de 70 000 élèves sont inscrits aux cours de français dispensés par les différents instituts et l'Alliance française.
Au-delà de cette politique, émergent de nouvelles formes de coopération ou d'expression, publiques ou privées.
Ainsi, en banlieue de Casablanca, nous avons eu la chance de visiter le centre culturel « Les étoiles de Sidi Moumen », fruit d'une initiative conjointe de l'auteur du roman éponyme Madi Binebine et du réalisateur Nabil Ayouch. Ce centre s'est donné pour objectif d'offrir, par la culture et l'éducation, une « alternative » à la radicalisation et à la violence aux publics défavorisés qui constituent la population de ce quartier excentré dont provenaient les 14 kamikazes des attentats du 16 mai 2003 qui firent 45 morts.
Autre rencontre marquante, celle que nous avons eue à Marrakech à la Maison Denise Masson, où nous avons échangé avec des membres de la pépinière 2015 de la Commission internationale du théâtre francophone. Ce projet me paraît particulièrement intéressant en ce qu'il ne s'agit pas d'une coopération franco-marocaine mais Francophonie-Maroc, au service de nos intérêts et de notre patrimoine commun.
À l'autre bout de l'échelle, du moins par la taille, comment ne pas saluer ce que la revue Beaux-Arts, dans sa dernière édition, qualifie de « course aux équipements culturels ». Depuis 2011 et l'adoption de la nouvelle Constitution qui garantit la pluralité de ses héritages, le Maroc s'est engagé dans une politique de valorisation de son patrimoine. Il s'est doté, en 2012, d'une Fondation nationale des musées. Présidée par le peintre Mehdi Qotbi, que nous avons rencontré, cette jeune institution regroupe 14 musées, dont le musée Mohammed VI, inauguré en octobre 2014. Premier musée national construit depuis 1958, il traduit « une volonté d'ouvrir le musée sur l'étranger ».
Autre projet destiné à élargir l'offre culturelle du pays et, par-là, s'attirer de nouveaux visiteurs, le musée de la Photographie et des Arts visuels (MMP+) de Marrakech vient de se voir décerner le « Leading Culture Destination Award », équivalent des oscars des musées, dans la catégorie « Meilleure nouvelle destination en Afrique ». Avec cette récompense, Beaux-Arts estime que « le Maroc fait une entrée remarquée sur le nouvel échiquier culturel mondial ». Je vois, pour ma part, dans cette reconnaissance, le reflet d'un pays en pleine évolution, dont la jeunesse dynamique pousse au changement dans tous les domaines. Forte de ses atouts tant en matière de système éducatif que de culture, la France est bien placée pour l'accompagner dans ce processus, tout en contribuant ainsi au rayonnement de la francophonie en Afrique.
Merci, madame la présidente, pour cette synthèse très complète. La francophonie marocaine est particulièrement intéressante, constituant un pont entre l'Europe et l'Afrique. Il s'agit là d'une conception très actuelle de ce qu'elle peut être. Je compte d'ailleurs approfondir ce point dans le cadre du groupe de travail que j'anime avec Claudine Lepage.
Nos échanges ont été très denses tout au long de la mission. Ils nous ont permis de saisir l'importance du Maroc comme point d'entrée sur l'Afrique. J'ai également été frappée par la place que la France y occupe.
Par ailleurs, je tiens à souligner que nous avons rencontré des femmes de premier plan, telle que la présidente de la Haca - que vous avez mentionnée, madame la présidente -, la présidente de l'université de Rabat ou celle de l'école centrale de Casablanca. S'il reste beaucoup à faire afin d'assurer l'égalité des droits, notamment sur l'accès à l'enseignement pour les filles, ce dynamisme est gage d'espoir.
Notre mission s'est évidemment faite en coordination avec la commission des affaires étrangères ; je m'étais d'ailleurs entretenue au préalable avec son président.
Elle s'est déroulée à un moment charnière, quelques jours après le deuxième forum parlementaire franco-marocain. Nous avons ainsi contribué à la réconciliation entre nos deux pays après une année de brouille. Ne l'oublions pas, le Maroc est un pays hautement stratégique.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est levée à 12 h 05.