Intervention de Didier Mandelli

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 2 mars 2016 à 9h30
Economie bleue — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli, rapporteur :

Je suis heureux de vous présenter ce rapport, qui est une première tant d'un point de vue personnel que pour la mise en oeuvre de la dématérialisation. Merci aux administrateurs qui m'ont bien accompagné dans ce travail, qui est l'aboutissement de nombreuses auditions et de cinq ou six visites sur le terrain, dans des ports de pêche de la façade Atlantique.

L'économie maritime est un atout majeur pour notre pays et un formidable levier de croissance et d'emplois. Peu de textes législatifs substantiels lui sont consacrés, même si cette proposition de loi est le troisième texte consacré aux activités maritimes depuis 2012. Elle succède en effet à la loi du 1er juillet 2014 relative aux activités privées de protection des navires, dont Odette Herviaux avait été rapporteure pour notre commission, et à la loi du 8 décembre 2015 tendant à consolider et à clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes, rapportée par Michel Vaspart. Déposée le 8 juillet 2015 sur le bureau de l'Assemblée nationale, cette proposition de loi a été examinée par la commission du développement durable le 27 octobre 2015 et en séance publique les 2 et 3 février derniers. Dans l'intervalle, le texte est passé de 23 articles et 231 alinéas à 77 articles et 515 alinéas, soit plus qu'un triplement de volume en nombre d'articles et un doublement en nombre d'alinéas par rapport à la version initiale.

Au Sénat, les choses se passent autrement, puisque le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée et la majorité présidentielle a fait le choix de l'inscrire au plus vite à l'ordre du jour. Par conséquent, nous n'avons qu'à peine trois semaines pour travailler sur un sujet ambitieux, là où nos collègues députés ont eu huit mois. Je vous laisse apprécier la considération pour le travail du Sénat... C'est la troisième fois que le Gouvernement procède de la sorte sur trois textes à dimension maritime. Le projet de loi sur la piraterie maritime avait été transmis au Sénat le 20 avril 2014 après quatre mois de travail des députés, puis examiné en urgence par notre commission et adopté en séance publique en moins de trois semaines. Le projet de loi déguisé en proposition de loi sur les dockers avait connu un sort similaire, notre collègue Michel Vaspart dénonçant alors l'attitude du Gouvernement à l'encontre de notre institution.

À chaque fois, bien sûr, on invoque l'urgence à agir. Mais ce texte contient des mesures qui sont demandées par le monde maritime depuis parfois près d'une décennie. Dans ce délai très court, j'ai proposé d'ouvrir largement mes travaux d'audition à tous les membres de notre commission et du groupe d'études « mer et littoral ». Je remercie tous ceux qui y ont participé, notamment Annick Billon, Odette Herviaux, Jérôme Bignon, Michel Vaspart, Charles Revet et Michel Canevet.

Cette proposition de loi fait suite au rapport du député Arnaud Leroy sur la compétitivité des services et transports maritimes français, remis en novembre 2013 au Premier ministre Jean-Marc Ayrault et au ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, Frédéric Cuvillier. Elle reprend une partie des vingt-six propositions formulées à cette occasion. Pour autant, le texte a été tellement remanié par l'administration qu'il en est presque devenu un projet de loi. De nombreux articles ont été écrits dans les bureaux de la direction des affaires maritimes au ministère des transports, de la direction des douanes au ministère des finances, ou des directions des libertés publiques et des affaires juridiques, de la police judiciaire ou de la police aux frontières au ministère de l'intérieur. Certaines mesures concernent par exemple les migrants de Calais et le lien avec l'économie maritime devient difficile à suivre.

En dehors de quelques espaces maritimes resserrés comme la Méditerranée ou la mer de Chine méridionale et de quelques grandes routes maritimes, les océans restent de vastes déserts vierges de toute occupation humaine.

La mer est une infrastructure essentielle du XXIème siècle, qui sera sans doute le plus maritime de toute l'histoire de l'humanité. Sans la mer, pas de mondialisation. Elle permet le transport de 80 % des marchandises échangées dans le monde, soit plus de 10 milliards de tonnes par an. Le chargement d'un seul porte-conteneurs représente 1 000 Airbus A 380 cargo ou 6 000 gros camions. Et le coût est dérisoire : le transport d'un conteneur de 20 tonnes entre la Chine et l'Europe coûte moins cher que celui d'un seul passager par avion ou d'un conteneur par camion entre Nantes et Le Havre. Cela justifie des investissements gigantesques comme le creusement d'un second canal de Panama ou l'élargissement du canal de Suez.

La mer assure, via les réseaux de câbles sous-marins, la quasi-totalité des communications internationales, à des coûts également très faibles. Des réseaux de fibres optiques sont en cours de mise en place sous la future route maritime de l'Arctique, dont le bénéfice attendu est de réduire de 50 millisecondes le temps de transit des informations bancaires entre l'Europe et l'Extrême Orient, actuellement d'environ 230 millisecondes via Suez et la route traditionnelle des Indes.

En second lieu, la terre dépend directement de la mer. En 2020, 70 % de la population mondiale vivra à moins de 60 kilomètres des côtes. La mondialisation repose sur un réseau de mégalopoles de Los Angeles à Jakarta, en passant par Rio de Janeiro, Londres, Dubaï, Istanbul, Singapour, Hong Kong ou Kobé, et toutes ces cités géantes sont d'abord des ports. Il n'y a pas de grand pays industriel qui ne soit pas aussi un grand pays maritime. C'est une loi intangible, de la Venise d'hier à la Chine d'aujourd'hui.

La mer est et demeure la source de la vie, qui y est apparue voici plus de quatre milliards d'années. Le sang humain en conserve la mémoire, dont la composition ionique est très proche de celle de l'eau de mer. Près de trois milliards d'hommes dépendent des ressources halieutiques pour leur alimentation. Les océans sont indispensables à la régulation de la terre et de son atmosphère, en absorbant 90 % de la chaleur produite et un tiers des émissions de carbone. Sans la mer, point de vie sur la planète.

La mer est aussi un gisement inestimable de ressources énergétiques, minérales et biologiques. Les océans recèlent 90 % des hydrocarbures et 84 % des métaux rares : on présente souvent ces réserves reposant au fond des océans, et les permis qui se multiplient en haute-mer, comme le symptôme d'une nouvelle ruée vers l'or. C'est sans compter les micro-algues qui promettent non seulement de la nourriture, des engrais, des cosmétiques et des médicaments, mais aussi des carburants de troisième génération et des plastiques « bio ». Un seul litre d'eau de mer contient un milliard de bactéries et cent mille micro-algues. Ce n'est pas le bleu d'un désert que l'on observe depuis l'espace, c'est le bleu de la vie. Ce trésor immense est encore largement inconnu : à ce jour, seulement 300 000 espèces vivantes du milieu marin, des micro-organismes aux organismes supérieurs, ont été recensées alors que leur nombre est estimé à plusieurs millions. Le marché mondial des bio-ressources marines est évalué à 2,8 milliards et croît de plus de 10 % par an.

La mer est l'espace économique et stratégique le plus disputé, avec le cyberespace. Elle est au coeur de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. Le gigantesque projet « One Belt, One Road » annoncé par le gouvernement chinois, probablement le plus grand projet d'infrastructures au monde, vise le développement d'un réseau de ports et la création d'une nouvelle « route de la soie » maritime. Ces ambitions maritimes de la Chine sont également symbolisées par la construction de plus de 800 hectares d'îlots artificiels au cours des derniers mois. Les autres pays émergents investissent massivement dans les espaces maritimes, qu'il s'agisse de plateformes portuaires ou de la constitution de flottes de haute-mer. La Russie a prévu de consacrer plus de 400 milliards de dollars à la modernisation de sa flotte.

Au total, l'économie maritime représentait un montant annuel d'environ 1 500 milliards d'euros à l'échelle mondiale en 2010, au deuxième rang derrière l'agroalimentaire. La quasi-totalité des marchés de l'économie maritime sont en croissance, ce qui est inédit dans le contexte économique actuel, et son poids économique devrait atteindre 2 550 milliards en 2020. La mer est aussi indissociable du tourisme qui génère un chiffre d'affaires de 1 245 milliards de dollars et représente au total 9 % du PIB mondial.

L'Europe capte environ un tiers de la valeur de l'économie maritime et la Commission européenne estime que ce secteur représentait 5,4 millions d'emplois et 500 milliards en 2010. En France, elle représente aujourd'hui, sans compter le tourisme littoral, plus de 300 000 emplois directs et 69 milliards de chiffre d'affaires. Ces chiffres sont supérieurs à ceux de l'automobile, de l'aéronautique ou des télécommunications.

Cette économie maritime est portée par les secteurs traditionnels que sont la pêche, le transport maritime, les ports, la construction navale, la plaisance et les sciences marines, et par des secteurs d'avenir. La stratégie « Croissance bleue » de la Commission européenne identifie cinq nouvelles richesses à fort potentiel de développement. L'aquaculture et l'algoculture contribueront demain à nourrir 9 milliards de personnes. La France y est reconnue pour son excellence : elle exporte plus de 75 % des alevins produits. Pourtant, depuis 1995, on n'a enregistré qu'une seule création d'entreprise. La filière des biotechnologies bleues connaît une croissance de 5 % par an. Le tourisme littoral emploie plus de 3,2 millions de personnes au niveau européen et génère 183 milliards de chiffre d'affaires, soit plus d'un tiers de l'économie maritime. Les énergies marines renouvelables ont connu un début difficile, mais la France s'y illustre grâce à de nombreuses start-ups innovantes. Nous sommes pourtant en train de prendre du retard : des projets canadiens démarrés trois ans après les nôtres risquent de voir le jour dès 2017, soit trois ans avant les nôtres. Enfin, le Japon, le Canada, la Chine et l'Allemagne investissent massivement dans les minerais des fonds marins tandis que la France considère à peine son immense réservoir inexploité de terres rares.

Dans ce contexte, notre pays est-il en ordre de marche ? On ne compte plus les rapports qui s'entassent dans les armoires de la République et répètent à l'envi qu'avec ses 11 millions de kilomètres carrés, la France possède le deuxième domaine maritime mondial, derrière les États-Unis. Cette France-sur-mer, dix-huit fois et demie la surface du territoire national métropolitain et quatre fois la mer Méditerranée, serait même le seul pays au monde dont le drapeau ne voit jamais le soleil se coucher. Et pourtant, ce n'est pas la puissance qui nous caractérise, mais bien l'impuissance maritime, comme l'a dit Arnaud Leroy. À l'heure où la mondialisation est à l'évidence une « maritimisation », 50 % des biens à destination de la France sont débarqués dans un port étranger. Des centaines d'emplois maritimes sont détruits chaque année, et le nombre de navires de commerce a drastiquement chuté depuis dix ans. Aucun volet n'est dédié au maritime dans les fameux « investissements d'avenir » tandis que la France consacre six fois plus d'argent à la recherche spatiale qu'à la recherche sur les océans, bien que le chiffre d'affaires du maritime soit dix fois plus important que celui du spatial.

Depuis des siècles notre pays reste centré sur son territoire, sous-estimant ses atouts maritimes. Il est loin le temps de Richelieu, dotant la France de nouveaux vaisseaux pour égaler l'Angleterre ! Il est loin le temps de Colbert, plantant des forêts pour servir aux besoins de construction des bateaux du royaume ! On peine à distinguer le politique visionnaire qui donnerait sa chance à la France en développant les grands projets qui s'imposent. Nous devrions être l'entrée naturelle sur l'Europe, ce n'est pas le cas. La France semble être un peuple de paysans, pas de marins. Nous sommes la seule nation à ne pas juger utile d'avoir une politique maritime digne de ce nom, sans parler d'un grand ministère dédié, pourtant annoncé par le candidat Hollande dans son rapport sur « le défi maritime français ». Les remaniements se succèdent, mais cette promesse n'est jamais tenue.

Le titre Ier de cette proposition de loi qui représente les trois quarts du texte et comporte six chapitres, traite de la compétitivité des activités maritimes tant pour les procédures administratives, que pour la gouvernance des ports, les gens de mer, l'attractivité du pavillon français, la plaisance et la sécurité.

Le chapitre Ier relatif à la simplification des procédures de jaugeage, d'immatriculation et de francisation des navires, à la modernisation du régime des hypothèques maritimes et à la réforme du rôle d'équipage comporte 19 articles (1 à 2 quinquies) très techniques pour alléger une série de procédures et de documents administratifs dont l'origine est parfois ancienne et qui ne répondent plus aux besoins d'une administration moderne ni aux contraintes d'une concurrence fortement mondialisée. Je vous proposerai quelques amendements de précision, de clarification et de cohérence.

Le chapitre II porte sur la gouvernance des ports maritimes. La réforme portuaire du 4 juillet 2008, dont Charles Revet avait été rapporteur, avait rénové cette gouvernance en créant notamment les « grands ports maritimes » (GPM). Ce chapitre a été substantiellement complété par l'Assemblée puisqu'il est passé de 2 à 10 articles. Il apporte des améliorations utiles au fonctionnement des instances de gouvernance mises en place en 2008 : le conseil de surveillance, le conseil de développement et le conseil de coordination interportuaire. Ces modifications donnent plus de poids à la région au sein de ces instances, et favorisent les investissements et la compétitivité de nos places portuaires. L'article 3 crée une commission des investissements au sein du conseil de développement des grands ports maritimes, afin d'associer à parité investisseurs publics et investisseurs privés dans les ports, sous la présidence du président de la région. Je vous proposerai de prévoir que cette commission donne un avis conforme sur les projets d'investissement les plus importants : en effet, soit on va au bout de la logique et on donne à cette nouvelle commission des moyens de peser, soit il est inutile de créer une énième structure consultative complémentaire.

Le chapitre III porte sur les gens de mer et le droit du travail qui leur est applicable. Plusieurs ajustements poursuivent l'effort de modernisation initié par la loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne : définition de l'activité de marin, conditions d'accès à cette profession, responsabilités associées à la fonction de capitaine à la petite pêche, conditions de versement de l'indemnité de nourriture. Les articles 7 et 9 renforcent le contrôle de l'administration française sur l'application du droit social à bord des navires battant pavillon étranger, afin de mieux lutter contre le dumping social.

L'article 8 élargit le périmètre des exonérations de cotisations sociales bénéficiant au secteur maritime. Cette mesure importante s'inscrit dans une démarche dite de netwage, visant à rapprocher le salaire net du salaire brut. Si le pavillon français est réputé pour la qualité de son personnel, cet atout est fragilisé par des différences significatives en termes de coût du travail par rapport à d'autres pays européens. Pour un coût budgétaire raisonnable, la mesure proposée préserve la protection sociale des gens de mer tout en améliorant la compétitivité de notre flotte de commerce. L'article 9 bis prévoit un rapport sur l'avenir du régime de protection sociale des marins (l'ENIM) afin d'identifier les perspectives d'évolution en termes de financement et d'attractivité. C'est un sujet important.

Outre des amendements de précision, je vous proposerai des amendements de simplification et d'ajustement du droit du travail maritime sur plusieurs points : constat du délit d'abandon des gens de mer, consultation des partenaires sociaux, protection du délégué de bord, tentative de conciliation préalable en cas de différend sur un contrat de travail.

Le chapitre IV renforce l'attractivité du pavillon français : il étend la possibilité de s'enregistrer au registre international français (RIF) pour les navires de grande pêche et les navires de plaisance professionnelle de plus de 15 mètres. Il prévoit également la possibilité de calculer la proportion de marins communautaires à l'échelle de la flotte sous RIF, et non plus navire par navire.

Je vous proposerai un amendement à l'article 12, qui porte sur les jeux de hasard à bord des ferries. Le dispositif actuel est excessivement lourd : il s'applique aux navires immatriculés à Wallis-et-Futuna, mais n'a encore jamais permis d'autoriser un casino à bord d'un navire. Il faudrait prévoir un dispositif plus léger, adapté aux ferries, dans lesquels il ne s'agit pas d'installer des casinos mais quelques machines à sous, pour répondre aux attentes de la clientèle britannique sur le transmanche et s'aligner sur la concurrence d'autres pavillons.

Le chapitre IV bis qui favorise l'essor du nautisme et des loisirs de plage a été inséré en séance par le rapporteur de l'Assemblée. Il n'appelle pas de commentaire particulier. Je vous proposerai simplement un amendement pour ajuster les modalités de mise en place de la REP navires hors d'usage, afin de répondre aux problématiques rencontrées à ce stade par la filière.

Le chapitre V relatif à la sécurité a été introduit en séance publique à l'Assemblée. Il comporte plusieurs mesures d'envergure : l'établissement d'une flotte à caractère stratégique pour la sécurité des approvisionnements en temps de crise, l'extension au transport maritime du dispositif de recueil de données des passagers applicable au transport aérien, ou encore l'autorisation de recourir à des sociétés privées de protection des navires dans certaines zones définies en raison du risque terroriste. Sur ce dernier point, puisque ce risque ne peut être cantonné à des zones préétablies, je vous proposerai d'autoriser le recours à ces sociétés sans zonage prédéfini, et y compris contre la menace intérieure, c'est-à-dire provenant d'une personne ou d'un colis à bord. Je vous proposerai aussi d'autoriser les transporteurs à interdire l'accès à bord d'un passager qui refuserait de se soumettre à un contrôle de ses bagages ou à des palpations de sécurité. Le texte comporte enfin des mesures relatives à la sûreté portuaire, dont j'ai cherché à clarifier ou préciser la rédaction.

Les titres II et II bis, qui contiennent les articles 13 à 18 ter, portent sur les pêches maritimes et cultures marines. Nous en avons délégué l'examen au fond à la commission des affaires économiques, qui a examiné le texte hier soir. Je vous propose de nous en remettre, comme c'est l'usage, à leur analyse.

Le titre III, avec les articles 19 à 23, comporte des dispositions diverses qui vont du régime d'assurance pour les énergies marines renouvelables à la prise en compte du risque de submersion marine dans la loi Littoral, en passant par le régime de responsabilité des drones maritimes. Nous avons délégué les articles 20 et 22, respectivement sur la comptabilité dans les secteurs de la pêche et de la conchyliculture et sur l'origine des produits aquatiques proposés dans la restauration, à la commission des affaires économiques.

Pour ma part, je vous proposerai de supprimer l'article 22 quinquies qui généralise le dispositif collaboratif anticollision avec les cétacés dans les sanctuaires Pélagos et Agoa, afin d'éviter un débat parallèle avec la loi sur la biodiversité. Je vous proposerai également de supprimer l'article 23 contenant une demande de rapport sur la création éventuelle d'un code de la mer. Au-delà des difficultés techniques que cela pose, il s'agit surtout d'éviter que cet hypothétique artifice juridique serve de prétexte et d'illusion pour pallier le manque d'impulsion étatique en faveur de la mer dans les dix-huit mois à venir.

Je vous proposerai enfin d'adopter un article additionnel visant à donner un horizon temporel, le 1er janvier 2025, pour le déploiement des systèmes de distribution de gaz naturel liquéfié (GNL) et d'alimentation électrique à quai dans les ports. Nous savons que la qualité de l'air y est très dégradée, en raison des navires qui continuent à faire tourner leur moteur. Nous savons également que le GNL est considéré comme le carburant d'avenir du transport maritime. Nous devons donner une impulsion crédible pour équiper au plus vite nos navires et nos ports, afin de renforcer notre attractivité et notre compétitivité.

Par le nombre de sujets traités et l'absence de dispositions d'envergure, ce texte s'apparente plus à un catalogue de mesures administratives qu'à un grand texte capable de refonder la politique maritime de notre pays. Certes, plusieurs dispositions vont dans le bon sens et sont attendues par les acteurs socio-professionnels concernés, comme le netwage ou l'autoliquidation de la TVA. Au mieux, elles allègeront les contraintes réglementaires et réduiront le fossé de compétitivité qui nous sépare de nos concurrents.

À l'heure où les grandes puissances font réellement le pari de la mer, construisent de vraies infrastructures, explorent les fonds marins, affirment leurs revendications territoriales, développent les biotechnologies bleues et la recherche marine, que faisons-nous ? De la simplification administrative ! La réponse n'est pas à la hauteur des enjeux. Faute de courage politique, on évite soigneusement les vrais sujets qui nous permettraient de rattraper notre retard.

On ne parle pas de l'organisation du temps de travail et des congés, alors qu'il faut en France trois équipages pour faire tourner un navire contre deux au Danemark, nous répète sans cesse notre collègue Charles Revet. Quand nos concurrents pensent auto-manutention des navires et automatisation des ports, nous nous contentons de demander un rapport sur l'ENIM et de préserver l'héritage statutaire des dockers, Michel Vaspart nous l'a encore rappelé il y a quelques mois. Et je ne parle même pas de l'effort financier que nous consacrons au monde maritime, moins d'un dixième de point de PIB : à ce niveau-là, ayons au moins l'honnêteté de ne pas parler de politique maritime.

Pour cette raison, je souhaite que nous changions l'intitulé de cette proposition de loi. Nous ne pouvons pas employer les termes d' « économie bleue » ou de « croissance bleue », qui sont fortement connotés dans l'esprit de nos concitoyens. Il ne faudrait pas donner l'impression, qu'avec ce simple réajustement, le travail a été fait. Ce texte est utile, et je vous invite à l'adopter, mais j'espère vous avoir montré que nous devons chercher une toute autre ambition pour l'économie bleue.

Malheureusement, le Gouvernement n'est pas prêt à le faire, les signaux sont clairs. J'en veux pour preuve la mission que le Premier ministre vient de confier à six parlementaires, sur les axes portuaires de Dunkerque, du Havre et de Marseille. Ne pouvait-il le faire avant l'examen de ce texte, ce qui aurait permis d'en traduire rapidement les conclusions ? Au contraire, il a préféré séparer les deux calendriers, en faisant le choix de la procédure accélérée, afin d'être sûr de ne pas avoir à en assumer les choix budgétaires. Car mettre les pieds dans l'eau, c'est souvent dix fois plus cher que de rester à terre.

L'optimisme béat n'est vraiment plus de rigueur. Écoutons les peuples de la mer, ils la connaissent et la comprennent : ils ont su en partager intelligemment les fruits, de génération en génération. La France a toutes les cartes en main pour être une puissance maritime majeure. Il ne manque qu'un Richelieu ou un Colbert à la barre !

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