Intervention de Jean-Louis Bernard

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 mars 2016 à 9h30
Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques — Audition du pr jean-louis bernard ancien président du comité de protection des personnes de sud-méditerranée ii et du dr patrick peton président du comité de protection des personnes de nancy est iii

Jean-Louis Bernard, ancien président du comité de protection des personnes de Sud-Méditerranée II :

Je souscris à cette analyse. Un mot, en complément, sur les essais de phase 1. Ces essais, qui constituent, après des études de laboratoire sur certains animaux, la première expérimentation d'un produit sur l'homme, sont à très haut risque. On ne peut jamais inférer de façon certaine la tolérance par le corps humain d'un produit médicamenteux à partir d'un essai sur le chien ou le rat. D'où une réelle incertitude quant au risque.

Surtout, nous sommes appelés à évaluer l'essai de phase 1 à partir des études de laboratoire, qui sont pour nous une zone grise : le promoteur ne présente dans son dossier que les données qui plaident en faveur d'une première utilisation chez l'homme. On peut comprendre qu'il ne s'étende pas sur tout ce que pourrait entrainer un refus de son projet. Cette zone grise est pour nous un vrai problème.

La pression de l'industrie, au-delà, est importante. Il est assez troublant de constater que cette pression porte essentiellement sur les essais de phase 1, qui sont pourtant très éloignés, dans le temps, du retour sur investissement pour le laboratoire : il y a de nombreuses autres étapes à franchir avant la mise sur le marché du médicament. Autant on peut comprendre qu'une pression s'exerce au moment de la demande d'autorisation de mise sur le marché, autant il est plus difficile de comprendre la pression au stade de ces essais de phase 1. Mais c'est qu'en réalité, ces essais sont la première étape d'un processus de type industriel. Or, c'est aussi le moment le plus dangereux pour l'être humain qui va autoriser la société à faire usage de sa personne sans en attendre aucun bénéfice sanitaire individuel. Alors que cela pose une question éthique aiguë, il est totalement malvenu qu'une pression s'exerce à ce moment-là. Cette pression n'est pas liée au temps, mais à de lourds enjeux industriels, touchant à la vente de brevets. Il s'agit d'enjeux financiers importants au sein de petites start up, qui de surcroît se vendent entre elles des licences - ce qui complique d'autant la traçabilité du processus.

Notre législation, dans la recherche sur l'homme, distingue ce qui relève du promoteur - celui qui conduit la recherche - et ce qui relève de l'investigateur - celui qui est au contact des participants. Dans les phases suivantes des essais cliniques, les investigateurs, qui sont des médecins, sont face à des malades : ils portent à la fois la responsabilité du soignant et celle du chercheur. Mais en phase 1, le médecin n'est pas soignant, il n'est que chercheur. Sa relation avec le sujet se prêtant à la recherche n'est pas la même. C'est aussi pourquoi le risque éthique est fort.

J'ai sous les yeux quelques copies d'écran, datant du 18 janvier, après l'accident, prises sur le site internet de Biotrial. Parmi les rubriques d'emblée proposées, celle qui s'intitule « S'agit-il de tests cliniques indemnisés ? » laisse songeur. On y lit : « Nos études sont indemnisées de 100 à 4 500 euros. Cette indemnité est non imposable » - en gras. Et en bas de page : « Outre cette indemnité, devenir volontaire dans le cadre de nos études pharmaceutiques est une belle occasion de participer aux progrès de la recherche. » La hiérarchie mise en avant est claire. Et cela continue par des témoignages. Celui de « Jean-Marie, infirmier et cobaye humain », dont on apprend que « ce statut de ?cobaye humain ? lui convient bien : il se sent bien accompagné et suivi par le personnel soignant. Et il peut ainsi offrir des vacances à sa famille ». Et à nouveau : « Outre l'aspect financier qui est assez motivant, c'est aussi une période où l'on peut se poser et discuter avec d'autres personnes ». Vient ensuite « Isabelle, étudiante », qui précise : « Avant de me lancer, j'ai posé des questions au personnel médical qui nous a présenté l'étude. » Ecoutez bien : « L'indemnité versée à l'issue de l'étude est-elle plus intéressante qu'un job étudiant bien rémunéré ? La réponse est oui, sans hésiter. D'autant que ça demande beaucoup moins d'heures de travail pour une même rémunération. » Faut-il rappeler que le législateur a veillé à bannir toute « rémunération » pour participation à un essai clinique ? « Quels sont les risques ? J'ai été particulièrement rassurée sur ce dernier point. On m'a dit que je ressortirai de cette étude comme j'y suis entrée. »

Je suis allé voir, ensuite, le site du CPP Ouest VI. Sous la rubrique « Volontariat », on trouve un texte stupéfiant : « Toute personne majeure, volontaire sain, a la possibilité de contacter un centre de recherche spécialisé pour participer aux recherches biomédicales. Dans la région Bretagne, ces études peuvent être réalisées au sein du laboratoire Biotrial, centre agréé par le ministère de la santé. » Suit le téléphone du centre. Il y a là des dérapages en cascade, qu'il faut absolument se donner les moyens d'interdire. Comment un comité de protection des personnes peut-il faire de la publicité pour un centre de recherche !

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