Intervention de Olivier Jardé

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 mars 2016 à 9h30
Cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques — Audition du pr olivier jardé professeur agrégé de chirurgie orthopédie et de droit de la santé et du pr françois lemaire ancien chargé de mission auprès la ministre de la santé pour la recherche biomédicale

Olivier Jardé, professeur agrégé de chirurgie orthopédie et de droit de la santé :

La loi Jardé a mis trois ans à aboutir, mais rétrospectivement, j'estime que les échanges ont beaucoup enrichi ce texte, et lui assurent pérennité.

Pourquoi fallait-il revoir le texte de 1988 ? La loi Huriet avait trouvé un équilibre intéressant entre sécurité du patient et encadrement de la recherche clinique française. Cependant, de nombreux textes votés depuis, sans aborder directement la question des recherches cliniques, ont eu un impact sur ce texte. La directive européenne de 2001, puis la loi Kouchner de 2002, la révision, en 2004, des lois de bioéthique - votée en même temps que la loi de santé, non sans quelques contradictions sur certains points concernant la recherche. Puis est venue la loi sur la recherche de 2006, la loi relative à la Cnil, la deuxième révision des lois de bioéthique.

En deuxième lieu, la recherche clinique a beaucoup évolué. Le texte de Claude Huriet était essentiellement centré sur la recherche lourde sur le médicament. Or, une nouvelle forme de recherche, sur laquelle la France ne doit pas être en reste, connaît un important développement : il s'agit de la recherche observationnelle. Pourquoi certains de ceux qui portent des stent font-ils à nouveau une thrombose ? Faut-il l'attribuer à leur alimentation ? A un excès de sédentarité ? A des causes génétiques ? On ne le sait pas. La recherche observationnelle suit des cohortes sur dix ans pour tenter de le déterminer. A l'hôpital Antoine Béclère, on arrive à faire vivre des prématurés de cinq mois. Leur QI sera-t-il équivalent, à 20 ans, à celui de l'ensemble de la population française ? Voilà encore un sujet de recherche observationnelle pertinent. On veut aujourd'hui manger bio dans toutes nos cantines. Les enfants concernés, parvenus à l'âge adulte, auront-ils moins de risques à supporter ? Encore un autre sujet. Or, la loi française ignorait jusqu'alors tout ce pan de recherche.

Au-delà, la loi était devenue imprécise, voire incohérente. Un prélèvement identifiant exige-t-il un consentement écrit ? Une prise de sang après une intervention chirurgicale est considérée comme soin de suite, mais pour un prélèvement épidémiologique, elle entre dans la catégorie de la recherche et relève d'une procédure beaucoup plus lourde. Autre problème, celui des conflits pouvant survenir entre les avis rendus par le CPP et le Comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche (CCTIRS). Il risquait de devenir plus simple, à force d'incohérences, de mener une recherche à Shanghai plutôt qu'en France, avec les répercussions que l'on imagine sur les équipes de recherche.

La loi que l'on me fait l'honneur d'appeler loi Jardé visait à assurer un bon équilibre entre le patient et la recherche. Elle retient trois niveaux de recherche. La recherche interventionnelle lourde, telle qu'encadrée par la loi Huriet, la recherche interventionnelle avec risque minime, et la recherche observationnelle, enfin. Face à quoi étaient prévus trois niveaux de consentement. Un consentement écrit circonstancié dans le premier cas, un consentement libre et éclairé au sens de la convention d'Oviedo dans le deuxième, une information dans le troisième - il s'agit que le patient sache qu'il va se trouver sur un fichier, qu'il est susceptible d'être à nouveau convoqué dix ans plus tard, etc. Il faut savoir que dans ce type de recherche, les cohortes peuvent être de 500 à 1 000 cas : on ne peut pas monter un si grand nombre de dossiers pour une procédure qui n'est au fond rien de plus qu'un interrogatoire.

Le CPP assurait, dans cette logique, la protection du patient. Il était chargé de classer la recherche en fonction du risque évalué et des listes à constituer pour la classification. A quoi s'ajoutait le problème des collections génétiques : vous savez qu'à l'AP-HP de Paris, il existe des milliers de prélèvements, dans des congélateurs, que l'on ne peut utiliser, bien que les patients soient décédés, parce qu'ils n'ont pas donné leur accord. C'est malheureux, car on peut faire des expérimentations sur des tissus. Mais il faudra attendre que cette loi soit applicable pour que cela soit rendu juridiquement possible.

Après des échanges, notamment au Sénat, que j'ai alors jugé un peu trop nourris - mais je fais ici amende honorable, car j'estime, in fine, qu'ils ont été fructueux - la loi a été votée, en mars 2012. Pourquoi n'est-elle pas appliquée depuis quatre ans ? C'est que l'Europe, face à ce texte novateur voté par la France, n'a pas voulu être en reste. Jugeant que la directive de 2001 était un peu à la traîne, le Parlement européen a chargé Mme Wilmott, présidente de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, d'évaluer la nécessité d'une refonte. Ces travaux, entamés en juillet 2012, ont abouti à une réponse positive en septembre 2013, qui plaidait, au-delà d'une simple révision de la directive, pour l'édiction d'un règlement. Si bien que les décrets d'application de la loi, qui dès l'automne 2012 étaient rédigés, ne pouvaient plus sortir.

Le processus, heureusement, n'a pas traîné en longueur. Le trilogue, sous une présidence lituanienne qui a beaucoup oeuvré pour aboutir, a permis de parvenir à un accord le 20 décembre 2013, qui a débouché sur un vote du Parlement le 4 avril 2014 - avant l'échéance de l'élection parlementaire prévue en mai, qui aurait tout retardé. Il nous a fallu trouver, ensuite, un support législatif : ce fut l'article 53 du projet de loi de modernisation de notre système de santé habilitant le Gouvernement à mettre en concordance, par ordonnance, les dispositions de la loi avec le nouveau règlement. Les décrets pourront ainsi voir le jour une fois le texte de l'ordonnance revenu du Conseil d'Etat.

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