Il est vrai que nous avons connu, naguère, quelques passes d'armes, mais le texte s'est beaucoup enrichi de la navette.
Les décrets étaient en effet rédigés à l'automne 2012. Ce n'est pas le Gouvernement qui a bloqué, mais l'administration : l'ANSM, à la demande du Leem, jugeait qu'imposer aux investigateurs de modifier leurs habitudes pour tout changer à nouveau deux ou trois ans plus tard n'était pas raisonnable. Et je pense qu'elle avait raison. L'Europe n'a pas tardé à édicter ce règlement : il ne lui a fallu que deux ans.
Beaucoup de l'intérêt actuel pour les essais cliniques vient de l'accident de Rennes, que je me garderais de commenter avant la publication du rapport de l'Igas, qui nous fera connaître dans le détail ce qu'il s'est passé. Mais pour ce que l'on en sait, la réglementation était adaptée. L'application des textes aurait permis que tout se passe comme prévu. La loi Jardé n'est pas en cause en cette affaire, puisque qu'elle n'a pas touché à ce qui concerne le médicament, domaine qui relevait de la législation européenne. Elle porte essentiellement sur les recherches observationnelles, les collections biologiques, bref, tout ce que vient de rappeler Olivier Jardé. Elle n'a pas touché au noyau dur du médicament et de la sécurité. On ne peut donc pas dire que si on l'avait appliquée avant, l'accident de Rennes n'aurait pas eu lieu.
M. Peton, que vous venez d'entendre et que je connais bien, vous aura sans doute mis au fait du lamento des CPP - qui correspond à une réalité, notamment en ce qui concerne leurs problèmes financiers, qui auraient dû être résolus il y a bien longtemps.
Le traumatisme du tirage au sort ? Je rappelle que c'est le Sénat qui est à l'origine de cette mesure. Nous étions alors en pleine affaire du Médiator. La facilité de contact entre investigateur et président de CPP était ici vue comme connivence, d'où votre choix, qui représentera un bouleversement considérable. Nous serons le seul pays au monde doté d'une mesure de ce type puisque la proximité entre les investigateurs et leur comité de contrôle est la règle dans le monde entier.
Troisième traumatisme, l'évaluation de la méthodologie. Depuis la loi Huriet, c'est à dire depuis vingt-cinq ans, ce sont les CPP qui en sont chargés. Tout le détail de l'essai est analysé non pas par l'Agence du médicament mais par eux. Et il en va de même dans le monde entier. Cela procède de l'idée que l'on ne peut pas juger de l'éthique d'un projet si l'on ne connaît pas son contenu scientifique. Le Pr Jean Bernard disait que tout ce qui n'est pas scientifique n'est pas éthique. Et ce principe est inscrit dans la déclaration d'Helsinki, dans laquelle on voit l'origine et de la loi Huriet et de la législation européenne. Or, le règlement européen recommande - ce n'est pas une obligation - que toute l'évaluation méthodologique soit réalisée par l'Agence du médicament. En France, cela représente une révolution copernicienne. D'autant que l'Agence fait observer que non seulement elle ne l'a jamais fait, mais qu'elle n'a pas les moyens de le faire, étant donné que l'on réduit tous les ans son budget.
Le Gouvernement a, sur ce point, rendu un arbitrage, puisque dans le projet d'ordonnance soumis à consultation publique en juillet dernier, il est prévu, comme le recommande le règlement européen, de confier toute l'évaluation méthodologique à l'ANSM. Dans tous les pays européens, c'est une question qui fait débat, et l'on ne peut préjuger de ce que décideront les autres Etats membres.
Le Sénat s'était beaucoup inquiété de la demande d'habilitation de l'article 53 du projet de loi Touraine, et avait voté contre cet article, considérant qu'il s'agissait d'une chose trop sérieuse pour être confiée au Gouvernement. Dans votre exposé des motifs, vous parliez exclusivement des CPP. Et vous avez été entendus, puisque la rapporteure à l'Assemblée nationale n'a donné son accord qu'avec réserve, en spécifiant qu'il ne fallait pas toucher à la loi Jardé. Le projet d'ordonnance propose donc des adaptations à la marge pour transposer le règlement, mais ne touche pas à la loi Jardé. Il est finalisé, a reçu l'accord du cabinet, et sera transmis au Conseil d'Etat dans les jours qui viennent. Le texte devrait donc revenir sous quelques mois devant le Parlement pour ratification. A partir de là, le décret pourra repartir devant le Conseil d'Etat et l'on peut espérer qu'à l'automne 2016, la loi Jardé s'appliquera. Sauf pour ce qui concerne le médicament, puisque le règlement européen ne sera pas mis en application avant début 2018.