Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain du Salon international de l’agriculture, force est de constater que les indicateurs sont au rouge, que les prochains mois seront autant sinon plus difficiles que les derniers mois pour nos agriculteurs, et que notre responsabilité de parlementaire se pose avec acuité.
Oui, il nous faut prendre des décisions fortes pour redonner de la compétitivité à nos exploitations et à nos agriculteurs, pour offrir des perspectives aux hommes et aux femmes qui se trouvent sur nos territoires et pour assurer des débouchés à nos producteurs. Cela passera notamment par la remise en cause d’un certain nombre de normes et l’adoption de mesures structurelles déterminantes. C’est le sens des travaux que nous menons actuellement dans le cadre de l’étude de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire.
En ce sens, je partage l’objectif d’un ancrage territorial de l’alimentation et l’esprit de la présente proposition de loi que nous examinons. Toutefois, mes chers collègues, n’oublions pas que ce texte ne constitue qu’une réponse partielle, sinon symbolique. Je voudrais d’ailleurs discuter de la pertinence de plusieurs de ses dispositions.
Première interrogation : j’ai été profondément choqué de voir figurer le mot « durable » dans chaque article de la proposition de loi. Quel message entendons-nous adresser à nos agriculteurs en conservant une telle rédaction ?
L’agriculture française, reflet de nos terroirs dans toute sa diversité, est d’une très grande qualité et évolue en fonction d’un savoir qui progresse avec la recherche. C’est pourquoi la définition de la notion d’« alimentation durable » qui figure dans le texte soulève de sérieux problèmes : elle ne repose sur aucune assise juridique et exclut arbitrairement une grande partie de notre agriculture. Ce n’est pas acceptable ! À cette notion, je propose donc de substituer une nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de l’article 1er qui – je l’espère – pourra faire l’objet d’un examen attentif.
La rédaction actuelle de cet alinéa me paraît beaucoup trop réductrice et contribue à opposer les modes d’agriculture les uns aux autres. Aujourd’hui, nous ne cessons de développer à tort cette opposition, alors que les différentes filières de la production doivent être appréhendées dans leur complémentarité.
En outre, il me paraît primordial de mettre en avant les appellations d’origine contrôlée, les AOC, les appellations d'origine protégée, les AOP, les indications géographiques protégées, les IGP, ou encore l’appellation « produits fermiers » dans le cadre de ces dispositions. Quoi de mieux que ces appellations pour obtenir un ancrage territorial de notre alimentation ? Rappelons-le : toutes ces qualifications visent à distinguer des produits et des modes de production qui relèvent d’un savoir-faire particulier et propre aux territoires, et qui répondent donc parfaitement à l’objectif d’ancrage territorial de l’alimentation. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé sur l’article 1er.
Deuxième interrogation : si notre responsabilité de parlementaire nous impose de prendre des décisions fortes, elle nous commande également de veiller à l’utilité de chaque nouvelle mesure. Les collectivités locales ont conduit des expérimentations avant même que nous n’examinions cette proposition de loi. C’est ce que nous avons appris en écoutant différents témoignages lors de nos auditions. Où est donc l’urgence à légiférer ?
De surcroît, ce texte pourrait avoir des conséquences inattendues : après les hôpitaux et les établissements scolaires, c’est au tour des exploitations biologiques de se massifier pour répondre à la demande tout en limitant les coûts ! Autrement dit, comment fournir 20 000 à 50 000 cuisses de poulet simultanément sans revenir au point de départ ?
À l’inverse, on demande aux agriculteurs des efforts d’investissement toujours plus importants pour respecter les normes sanitaires et proposer des produits de qualité, ce qui nécessite bien sûr que leurs exploitations atteignent une certaine taille critique.
J’en viens ainsi à ma troisième interrogation : compte tenu de la place occupée actuellement en France par les produits sous appellation et l’agriculture biologique, imposer un pourcentage de ces produits me paraît extrêmement périlleux. Dans un bon nombre de territoires, il sera difficile de respecter ces objectifs, faute d’une production locale suffisante.
Si je prends l’exemple de ma région, la production laitière biologique ne représente que 7 % de la production totale. Par ailleurs, la quasi-totalité de cette production est transformée en Mayenne, parce qu’il n’existe aucun outil de transformation localement.
Faute de pouvoir s’appuyer sur une manne locale suffisante, les collectivités locales seront alors contraintes d’importer. Le risque est grand en la matière, et nos agriculteurs seraient, une fois de plus, les grands perdants !
Quatrième interrogation : comment la notion de proximité est-elle définie ? Je regrette que le texte initial n’ait pas inclus les produits transformés localement, ainsi que ceux qui sont issus d’un approvisionnement de proximité dans le champ des produits visés. Le code des marchés publics et Bruxelles nous contraignent dans ce domaine. Il me paraît néanmoins important d’engager une réflexion sur le sujet.
Il est nécessaire de pouvoir valoriser les produits transformés localement ainsi que les entreprises y contribuant. C’est le cas notamment des coopératives qui répondent au principe de territorialité. Mes chers collègues, il n’y a pas mieux qu’une coopérative pour s’ancrer dans un territoire !
Dernière critique : je déplore l’absence d’étude d’impact sur ce texte. A-t-on pris le temps d’analyser les capacités locales de l’agriculture biologique et des appellations ? Quelles seront les conséquences financières de ces dispositions pour les collectivités territoriales et pour les ménages ?
Ne nous racontons pas d’histoire : il y a vingt-cinq ou trente ans, plus de 35 % des revenus d’un ménage étaient consacrés à l’alimentation contre moins de 20 % aujourd’hui selon les chiffres de l’INSEE.