Intervention de Jean-Marc Ayrault

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 2 mars 2016 à 17h30
Situation internationale — Audition de M. Jean-Marc Ayrault ministre des affaires étrangères et du développement international

Jean-Marc Ayrault, ministre :

Bien volontiers. Je n'ai pas, Monsieur Cambon, d'approche affective ou sentimentale vis-à-vis de l'Allemagne ; mais le destin de nos deux pays est lié. Aucune alternative au couple franco-allemand n'a fonctionné. Ce n'est pas une relation exclusive ; mais pour sortir de l'impasse, nous devons repartir sur le principe d'une Europe différenciée.

Bouc émissaire des insatisfactions économiques, l'Europe donne l'impression d'être lente à décider, mais quelles sont les autres solutions ? Sans relance, l'Europe perdra de son attrait populaire et citoyen, libérant un espace pour les nationalismes et les retours en arrière. Faire le procès de l'Europe dans la crise agricole, c'est de la démagogie. Où en serait-on sans la PAC ? Il faut passer à l'offensive si l'on veut que l'Europe change.

Si le « non » l'emportait au Royaume-Uni, nous entrerions dans une zone d'instabilité économique, mais aussi psychologique et politique. Néanmoins, il faut envisager toutes les hypothèses. Le reste de l'Europe doit bouger aussi, au-delà du tandem franco-allemand. La récente réunion, dans un cadre informel, des ministres des affaires étrangères des six pays fondateurs avait été diversement perçue, mais elle a donné lieu à des échanges approfondis. Il existe de la part de plusieurs pays européen la volonté d'avancer. Le roi des Pays-Bas nous rendra prochainement visite : il a demandé qu'une réunion se tienne dans le salon de l'Horloge, lieu de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, l'acte fondateur de l'Europe. La relance de l'Europe relève d'une volonté politique.

Faut-il réviser notre ligne sur la Syrie ? Cette ligne est la solution politique par la voie de la négociation. M. Gorce a fait, à juste titre, le lien avec l'arrivée massive des réfugiés. C'est parce que le régime bombarde son peuple que les populations fuient. D'après Stephen O'Brien, 13 millions de Syriens ont besoin d'une aide humanitaire. Tous ne veulent pas quitter leur pays, mais certains n'ont pas d'autre choix. J'ai décrit la complexité du processus conduisant à la paix. Notre volonté, c'est que le cessez-le-feu soit respecté, que l'accès de l'aide humanitaire soit assuré et que la reprise d'un processus politique soit possible. Je l'ai dit au Conseil des droits de l'homme : les crimes commis en Syrie devront être établis, grâce au travail de la commission d'enquête Pinheiro ; les auteurs devront répondre de leurs crimes, y compris devant la Cour pénale internationale. Mais pour le moment, il faut créer les conditions de la reprise des négociations. C'est une position pragmatique. Et, il faut aussi continuer à combattre Daech.

Aux Russes, je demanderai quel est leur degré d'engagement en faveur de la cessation des bombardements en Syrie, quelle est leur sincérité dans la recherche d'une solution en Ukraine.

Sur l'Ukraine, on ne peut pas fermer les yeux sur l'atteinte aux principes de l'intangibilité des frontières et de l'intégrité territoriale, nous ne reconnaîtrons donc jamais l'annexion de la Crimée. Les accords de Minsk doivent être respectés, par les Russes comme par les Ukrainiens, qui traversent une crise politique. Comme les Allemands, nous attendons du format Normandie des résultats concrets, étape après étape.

Sur le conflit israélo-palestinien, Laurent Fabius avait annoncé une initiative politique. Certains d'entre vous l'ont dit, le drame syrien fait qu'on se penche moins sur la situation en Palestine, alors qu'elle est explosive. Il faut donc agir, en évitant de poser des préalables. Et, nous savons que les Américains, qui sont entrés dans une phase pré-électorale, sont peu susceptibles de donner une impulsion à leurs efforts, qui n'avaient d'ailleurs pas été couronnés de succès.

Nous envisageons de procéder en deux temps : réunir d'abord l'ensemble des partenaires prêts à jouer le jeu, puis organiser une conférence avec les parties pour rouvrir une négociation. J'ai déjà pris des contacts en ce sens : j'ai évoqué notre initiative avec Ban Ki Moon qui m'a encouragé. J'ai rencontré, à Genève, le ministre des affaires étrangères palestinien ; j'en ai parlé à Federica Mogherini ; je rencontrerai prochainement au Caire le président et mon homologue égyptiens et les représentants de la Ligue arabe ; je ferai le point avec les ministres européens des affaires étrangères au Conseil « Affaires étrangères » du 14 mars. Pierre Vimont a reçu pour mission d'expliquer notre approche à tous les partenaires concernés.

Sur la question turque, je conviens très volontiers qu'il faut prendre en compte le problème kurde. Si le PKK est rangé parmi les organisations terroristes, la situation est plus complexe avec d'autres groupes qui ont contribué à faire reculer Daech ; c'est un sujet qui préoccupe les Turcs et nous jouons l'apaisement. La Turquie accueille sur son sol plus de 2,5 millions de réfugiés, dans des conditions souvent bien meilleures que dans les camps du HCR, elle fait un effort considérable et nous nous sommes engagés à l'aider, dans le cadre du plan d'action conjoint entre l'UE et la Turquie qui prévoit une assistance de 3 milliards d'euros, ciblés sur l'accueil des réfugiés. Par ailleurs, une coopération est établie avec l'OTAN pour la surveillance de la frontière maritime avec la Grèce qui doit être bien articulée avec les opérations conduites par Frontex. Les Turcs sont indispensables dans la lutte contre les trafics et contre les passeurs.

Oui, le terrorisme a des conséquences économiques. Sur la question des visas américains pour les ressortissants s'étant rendus en Iran et sur l'impact des sanctions américaines sur la reprise de notre commerce avec ce pays, j'en ai déjà parlé à John Kerry et nous y reviendrons. Sur le traité transatlantique, il reste encore beaucoup de questions en suspens et Matthias Fekl s'est mobilisé en faveur de la transparence indispensable de ces négociations. Il faut poursuivre. L'accord entre l'Union européenne et le Canada me paraît une référence de ce que nous pourrions faire avec les Etats-Unis - un accord a été trouvé notamment sur la justice arbitrale, sur la base de la proposition que la France avait promue.

Il faut distinguer les réfugiés et les migrants, c'est une question de responsabilité. Les Européens sont inquiets, mais il faut que les populations fuyant la guerre puissent être accueillies au titre du droit d'asile, c'est un devoir sacré des nations démocratiques - et c'est pour cette raison qu'Angela Merkel a refusé d'instaurer un plafond quantitatif à l'accueil des demandeurs d'asile. Cependant, il y a des migrants qui viennent de pays considérés comme sûrs : il faut dire qu'ils n'ont pas vocation à rester sur notre territoire, sans démagogie. Bernard Cazeneuve l'a dit hier à Calais, là où le Gouvernement, avec les associations, s'engage à ce que les migrants qui vivent aujourd'hui dans des conditions inhumaines, rejoignent un hébergement digne et fassent une demande d'asile lorsque cela est justifié. Les mouvements comme « No borders », qui refusent une telle action, nous rendent la tâche plus difficile. Le risque, aussi, c'est d'arriver à des situations comme on en a vues à Cologne pendant les fêtes du Nouvel an : personne n'y gagnera, bien au contraire.

En Afrique, enfin, la France a pris ses responsabilités et elle a été soutenue par l'ONU, par les Européens, y compris les Allemands. Nous devons accentuer notre effort en faveur du développement de ce continent, où certains pays souffrent cruellement de la chute des cours des matières premières. Nous devons aussi renforcer nos échanges avec les pays où les choses vont bien, je pense à la Côte d'Ivoire, qui a remonté la pente. La réforme de l'Agence française de développement est en cours. Son adossement à la CDC sera un puissant levier pour accroître l'aide au développement de l'Afrique.

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