Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 2 mars 2016 à 17h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • réfugiés
  • syrie

La réunion

Source

La commission auditionne M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la situation internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous sommes heureux d'accueillir le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, désormais ministre des affaires étrangères et du développement international, qui met son expérience au service de notre diplomatie, dans une période complexe et même grave : tensions et interrogations sur le terrain européen, guerres et crises internationales, mutations diplomatiques, incertitudes de la campagne américaine... Notre pays est lui aussi exposé à des difficultés importantes.

Nous attendons vos premières appréciations sur ces sujets, sur les grands défis de notre diplomatie sur le terrain européen, sur la situation de crise au Levant... Les membres de la commission vous interrogeront également sur leurs sujets de préoccupation, des chrétiens d'Orient à nos relations avec les États-Unis, dont la diplomatie semble stérilisée par la campagne électorale : c'est à présent le président chinois qui se comporte, en visite en Arabie saoudite et en Iran, comme le président américain naguère.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement durable

Je m'inscris dans la continuité de mon prédécesseur Laurent Fabius, dont je salue l'action. Notre politique étrangère a traditionnellement vocation à rassembler les forces politiques au-delà des différences de sensibilité, car tous nous sommes soucieux de l'influence et du rôle de la France dans le monde. Il est important que le ministre des affaires étrangères soit entendu par les commissions parlementaires autant que celles-ci le souhaitent et c'est dans cet esprit que je me présente devant vous.

Le ministère dont je prends la tête a élargi son champ de compétences ; je compte en exercer la plénitude des missions, y compris dans la dimension économique, le commerce extérieur et ce que l'on appelle la diplomatie d'influence. J'ai ainsi réuni hier l'ensemble des partenaires du tourisme pour répondre aux défis qui touchent le secteur, durement affecté par les attentats.

Bien entendu, il y a les priorités immédiates, notamment la gestion des crises, à commencer par celles qui touchent la Syrie ou la Libye. Demain, je présiderai une réunion en « format Normandie » sur l'Ukraine, après un voyage à Kiev avec mon homologue allemand Frank-Walter Steinmeier. Vendredi - le lendemain du sommet franco-britannique - je retrouverai Philipp Hammond et Frank-Walter Steinmeier pour une réunion sur le dossier syrien, en format E3, à laquelle j'ai également convié Federica Mogherini.

L'Europe fait aussi partie des priorités. Nous sommes entrés dans une zone d'incertitude accentuée par la crise des réfugiés. Il y a de quoi être inquiet tant la situation est grave. Le Président de la République rencontre la Chancelière Merkel vendredi matin pour préparer le Conseil européen du 7 mars. Si l'Europe n'aborde pas la question de façon solidaire et responsable, nous serons en grand danger. Certaines initiatives, comme celle de l'Autriche, en vue de fermer la route des Balkans, peuvent aboutir à une véritable remise en cause de Schengen, alors que la solution à cette crise ne peut être qu'européenne. Certains prétendent, comme l'a fait un député hier, que Schengen est déjà mort ; une telle issue mettrait le projet européen en péril, il faut en être conscient.

Les sommets de la dernière chance se succèdent. Mais, il faut être conscient que nombre de décisions ont déjà été prises sur la question des réfugiés : le renforcement de la surveillance des frontières extérieures, les hot spots, un programme de relocalisation des demandeurs d'asile. La situation devient dramatique en Grèce, alors que l'ARYM a fermé sa frontière : nous ne pouvons abandonner notre partenaire grec. Les hot spots se mettent en place, la France y contribue en dépêchant des moyens et en contribuant ainsi à mieux contrôler la frontière extérieure : autant de mesures concrètes. Sur la relocalisation, la France doit aussi prendre sa part. Nous avons prévu d'accueillir 30 000 réfugiés sur un total de 160 000, et notre engagement sera tenu. J'ai pu constater que les moyens d'accueil, de logement, existent : c'est donc un problème de mise en oeuvre et nous avons la volonté de respecter nos engagements. Certains préfèrent laisser l'Allemagne se débrouiller seule en première ligne. Ce n'est pas le cas de la France, qui prendra sincèrement sa part. C'est aussi son intérêt sauf à prendre le risque que la situation se dégrade très vite. A cet égard, le conseil européen du 7 mars sera important, notamment pour notre partenaire allemand qui fait face à des difficultés majeures et est confronté, dans son opinion publique, qui reste majoritairement favorable à l'accueil, à la montée du nationalisme et du populisme.

S'agissant du Royaume-Uni, certains ont vu dans la récente réunion de Bruxelles une rupture historique. Nous n'avons pourtant fait que compiler les statuts particuliers dont le Royaume-Uni dispose déjà au sein de l'Union européenne. Il ne fait pas partie de l'euro, ni de Schengen, et bénéficie d'un protocole sur la justice et les affaires intérieures (JAI). Aucun droit de veto ne lui a été accordé sur un éventuel surcroît d'intégration au sein de la zone euro, pas plus qu'un quelconque avantage particulier à la City. Seul un compromis a été trouvé sur la possibilité de suspendre les seules prestations sociales liées à l'emploi, mais dûment encadrée.

En fait, nous n'avons fait qu'acter une réalité : celle de l'existence d'une Europe différenciée qui nous permet d'envisager, avec ceux qui le veulent, de redonner une dynamique au projet européen, autour de l'Europe de la croissance et de l'emploi, de l'Europe de l'énergie ou du numérique, d'une Europe plus proche de ses citoyens. Mais tout cela ne sera possible que si nous traitons l'urgence, à commencer par la question des réfugiés.

En Syrie, outre la priorité à la lutte contre Daech, nous souhaitons une sortie politique du conflit, la seule voie militaire n'offrant pas d'issue à une guerre qui risque d'embraser la région. La France travaille à cette perspective, en liaison avec ses plus proches partenaires. C'est l'objet de la réunion que j'accueillerai, le 4 mars à Paris, avec nos partenaires du E3, en appui aux contacts du Président de la République, en liaison avec la chancelière et le Premier ministre britannique, avec Barack Obama et Vladimir Poutine.

Aujourd'hui, la priorité est de vérifier l'effectivité du cessez-le-feu, qui n'est pas encore totalement une réalité malgré des avancées, et dont sont naturellement exclus Daech et Jabhat al-Nosra. L'imbrication sur le terrain entre Al Nosra et les groupes de l'opposition modérée sert de prétexte aux Russes et au régime pour poursuivre leurs bombardements.

À Genève, j'ai rencontré Staffan de Mistura, l'envoyé spécial de l'ONU, pour demander une réunion rapide de la task force du groupe international de soutien chargée de vérifier le cessez-le-feu. Les convois humanitaires arrivent difficilement à destination, comme me l'a indiqué le secrétaire général adjoint de l'ONU aux affaires humanitaires, Stephen O'Brien, que j'ai rencontré ce matin, en dépit de certains progrès. Le président du CICR m'a confié que certaines villes rappelaient Dresde en 1945 ou Grozny au début des années 2000. Sans aller jusqu'à l'optimisme dont font parfois preuve les Américains, il faut être déterminé et continuer à soutenir l'opposition modérée. Sans un véritable cessez-le-feu, les conditions ne seront en effet pas réunies pour permettre à celle-ci de participer à la négociation politique voulue par Staffan de Mistura. Je m'entretiendrai demain avec Sergueï Lavrov, en marge de la réunion en format Normandie, de l'Ukraine, mais aussi de la Syrie.

Certains doutent qu'une négociation soit possible, mais souvenons-nous des doutes qui existaient sur la possibilité de parvenir à un accord sur le nucléaire iranien. Nous sommes entrés dans une logique de discussion et de négociation, première étape vers une solution politique. Au-delà de la Syrie, toute la région est concernée. La crise des réfugiés déstabilise le Liban, la Jordanie et la Turquie ; mais un pays comme le Liban a également d'autres problèmes, comme la fragilité chronique de son système politique.

L'engagement américain évolue, pas seulement à cause de la campagne électorale, mais parce que le président Obama a décidé d'un recentrage vers l'Asie ; la situation au Moyen-Orient a un impact indirect sur les États-Unis, mais direct sur l'Europe. En tant que membre permanent du CSNU, au même titre que le Royaume-Uni, nous avons par conséquent un rôle important à jouer.

Autre priorité, celle de progresser vers une approche européenne, en matière de politique étrangère et de défense. Je suis particulièrement attentif à la construction d'une relation de confiance et franche avec notre partenaire allemand. Dans la perspective de la réunion en format Normandie à Paris, je me suis, par exemple, rendu avec mon homologue allemand à Kiev, où notre convergence de vues a été un réel atout. Après les attentats du 13 novembre, la solidarité a été mondiale, mais la première à se manifester a été la chancelière Merkel. Conformément à l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne, répondant à notre appel, le Bundestag a décidé d'engager davantage ses forces militaires : c'est une décision politique courageuse dont la portée reste sous-estimée, face à la réticence d'une partie de l'opinion publique et de la classe politique.

La situation libyenne est difficile et dangereuse : c'est un chaos politique où Daech progresse. L'objectif de l'ONU est la constitution d'un gouvernement d'unité nationale investi par le Parlement et installé à Tripoli, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Des frappes aériennes ou une intervention militaire sont hors de question. À la conférence de sécurité de Munich, le 13 février, j'ai rencontré le futur Premier ministre, Fayez el-Sarraj, et l'envoyé spécial de l'ONU, Martin Kobler, pour leur apporter notre soutien. Avec nos partenaires, nous avons aussi exprimé notre détermination à peser sur les forces libyennes qui empêchent le processus politique, notamment le président du Parlement, Aguila Saleh.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes une personnalité respectée, et la mission qui vous incombe mérite un consensus responsable.

En dépit de vos initiatives sur la relation franco-allemande, celle-ci traverse des difficultés notamment causées par les déclarations inopportunes du Premier ministre en Allemagne, qui ont choqué. La politique des réfugiés cristallise les divergences : l'Allemagne a accueilli 150 000 réfugiés pour le seul mois de janvier 2016 alors que la France propose d'en recevoir au total 30 000 - et seulement 600 réfugiés syriens et irakiens sont arrivés à ce jour. Sans harmonisation franco-allemande, toutes les digues seront emportées. Les réfugiés tentent de forcer les frontières, avec des conséquences probablement dramatiques. Quelles initiatives allez-vous prendre pour que la relation avec notre voisin retrouve sa force et sa dynamique ? Votre tropisme, votre pratique de la langue allemande, vont-ils y contribuer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

La question des réfugiés ne nous oblige-t-elle pas à réviser notre approche en Syrie ? L'évolution sur le terrain laisse penser que le régime est en situation, aujourd'hui, de tenir, alors que la position française maintient une exclusive sur ce régime. Est-ce une position encore tenable, si la priorité est Daech ? La poursuite du conflit n'est-elle pas l'un des facteurs de la montée des réfugiés ? Ceux qui veulent entrer en Europe pour des raisons de sécurité continueront à le faire, avec toutes les conséquences possibles. Il faudrait alors expliquer à nos concitoyens que nous avons une responsabilité vis-à-vis du million de réfugiés qui va se présenter.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Le terrorisme frappe partout, de manière aveugle, ce qui crée de l'instabilité y compris économique. C'est pourquoi nous aidons les pays en difficulté, notamment le Mali dont l'activité touristique a pratiquement cessé ; que pouvons-nous espérer dans cette entreprise ?

L'ouverture de l'Iran a ouvert de belles perspectives économiques ; mais la décision des États-Unis de contraindre nos ressortissants ayant récemment séjourné en Iran à demander un visa pour entrer sur leur territoire est extrêmement discriminatoire et en contradiction avec cette ouverture.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Votre engagement européen nous rassure. La crise actuelle ne serait-elle pas une opportunité d'adapter les accords de Schengen aux nouveaux enjeux et défis, et de mettre en oeuvre une stratégie offensive dans le cadre d'une Europe différenciée ? Nous partageons votre conviction que la question du Moyen-Orient est une question européenne ; enfin, que pensez-vous des évolutions inquiétantes qui touchent la Turquie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

La montée du vote anti-européen, les replis nationaux ou nationalistes, la possibilité du Brexit, la crise en Grèce, des initiatives isolées comme celle de l'Autriche, la question des réfugiés, de Schengen : tout cela ne forme-t-il pas un cocktail explosif pour l'Europe ? Celle-ci est devenue un bouc émissaire, or n'est-ce pas dans l'Europe que nous trouverons la force nécessaire pour répondre à ces défis qui s'accumulent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Qu'un ministre des affaires étrangères évoque l'Europe aussi longuement montre que les digues sautent : c'est le signe que l'Europe devient un problème de politique étrangère, non plus de politique intérieure.

Le président bulgare du Conseil de l'Europe nous a indiqué que le trafic des migrants rapportait davantage que le trafic de drogue ; le commandement de l'opération Sophia évalue à 30 ou 35 % la part de ce trafic dans les revenus de la Libye. Or cette activité est aux mains d'organisations mafieuses. On a l'impression que les mafias ont anticipé la crise, alors que les pays démocratiques restent à la traîne ; ainsi l'opération Sophia n'est toujours pas passée au niveau 3. Ne faut-il pas développer notre analyse de la situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Nous sommes d'accord avec votre position vis-à-vis de l'Allemagne, à qui l'on ne reprochera pas un manque de solidarité. C'est aussi le moment de relancer l'Europe de la défense.

Le problème israélo-palestinien est-il occulté par la crise syrienne ? Les Palestiniens attendent une prise de position de la France à l'ONU. En Syrie, qu'allons-nous laisser aux Kurdes, qui ne veulent pas être les laissés-pour-compte de l'histoire ? Les Kurdes de Turquie n'auront pas d'espace autonome, ceux d'Irak se taillent une place ; en Syrie, nous avons une bombe à retardement.

La stratégie de Poutine nous est bien connue. Qu'attendez-vous de la rencontre avec Sergueï Lavrov, que voulez-vous savoir que les Russes n'affichent pas clairement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Goy-Chavent

Voici quelques mois, des camions remplis d'armes ont été stoppés par la police à la frontière turco-syrienne ; leurs conducteurs appartenaient aux services secrets turcs. Les journalistes qui ont dévoilé l'affaire ont été arrêtés, le président Erdogan a demandé contre eux la prison à vie. Or la Turquie fait partie de l'OTAN... Quelle est la position de la France sur la question turque ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

J'ai un intérêt particulier pour les affaires palestiniennes ; j'ai fait adopter une résolution sur le sujet au Sénat, suivi par l'Assemblée nationale. Qu'en est-il de la conférence internationale qui doit être le préalable à toute reconnaissance officielle de l'État palestinien ?

Quel intérêt avons-nous à conserver à tout prix le Royaume-Uni dans l'Union européenne ? Je ne comprends pas qu'aucun responsable britannique ne s'exprime clairement sur la situation à Calais. Pourquoi ne pas transférer les réfugiés à la frontière à Douvres, quitte à assurer que nous participerons financièrement au règlement de leur situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

La relation que vous envisagez avec les États-Unis semble un peu différente de ce qu'elle était avec votre prédécesseur. Quelles sont vos intentions sur ce sujet comme sur les relations avec Israël ?

Plusieurs traités de commerce international, dont celui avec les États-Unis, sont en préparation. Quelles propositions allez-vous porter au niveau européen ?

Vous avez évoqué le populisme au sujet de l'immigration ; malheureusement, ce qui s'est passé au nouvel an à Cologne n'est pas de nature à faciliter l'accueil des réfugiés - je préfère ce terme à celui de migrants, car c'est un terme républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Beaucoup de thèmes abordés ! Nous allons organiser prochainement un débat de politique étrangère en séance plénière, comme nous l'avons fait l'année dernière, en fonction de vos disponibilités.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, ministre

Bien volontiers. Je n'ai pas, Monsieur Cambon, d'approche affective ou sentimentale vis-à-vis de l'Allemagne ; mais le destin de nos deux pays est lié. Aucune alternative au couple franco-allemand n'a fonctionné. Ce n'est pas une relation exclusive ; mais pour sortir de l'impasse, nous devons repartir sur le principe d'une Europe différenciée.

Bouc émissaire des insatisfactions économiques, l'Europe donne l'impression d'être lente à décider, mais quelles sont les autres solutions ? Sans relance, l'Europe perdra de son attrait populaire et citoyen, libérant un espace pour les nationalismes et les retours en arrière. Faire le procès de l'Europe dans la crise agricole, c'est de la démagogie. Où en serait-on sans la PAC ? Il faut passer à l'offensive si l'on veut que l'Europe change.

Si le « non » l'emportait au Royaume-Uni, nous entrerions dans une zone d'instabilité économique, mais aussi psychologique et politique. Néanmoins, il faut envisager toutes les hypothèses. Le reste de l'Europe doit bouger aussi, au-delà du tandem franco-allemand. La récente réunion, dans un cadre informel, des ministres des affaires étrangères des six pays fondateurs avait été diversement perçue, mais elle a donné lieu à des échanges approfondis. Il existe de la part de plusieurs pays européen la volonté d'avancer. Le roi des Pays-Bas nous rendra prochainement visite : il a demandé qu'une réunion se tienne dans le salon de l'Horloge, lieu de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, l'acte fondateur de l'Europe. La relance de l'Europe relève d'une volonté politique.

Faut-il réviser notre ligne sur la Syrie ? Cette ligne est la solution politique par la voie de la négociation. M. Gorce a fait, à juste titre, le lien avec l'arrivée massive des réfugiés. C'est parce que le régime bombarde son peuple que les populations fuient. D'après Stephen O'Brien, 13 millions de Syriens ont besoin d'une aide humanitaire. Tous ne veulent pas quitter leur pays, mais certains n'ont pas d'autre choix. J'ai décrit la complexité du processus conduisant à la paix. Notre volonté, c'est que le cessez-le-feu soit respecté, que l'accès de l'aide humanitaire soit assuré et que la reprise d'un processus politique soit possible. Je l'ai dit au Conseil des droits de l'homme : les crimes commis en Syrie devront être établis, grâce au travail de la commission d'enquête Pinheiro ; les auteurs devront répondre de leurs crimes, y compris devant la Cour pénale internationale. Mais pour le moment, il faut créer les conditions de la reprise des négociations. C'est une position pragmatique. Et, il faut aussi continuer à combattre Daech.

Aux Russes, je demanderai quel est leur degré d'engagement en faveur de la cessation des bombardements en Syrie, quelle est leur sincérité dans la recherche d'une solution en Ukraine.

Sur l'Ukraine, on ne peut pas fermer les yeux sur l'atteinte aux principes de l'intangibilité des frontières et de l'intégrité territoriale, nous ne reconnaîtrons donc jamais l'annexion de la Crimée. Les accords de Minsk doivent être respectés, par les Russes comme par les Ukrainiens, qui traversent une crise politique. Comme les Allemands, nous attendons du format Normandie des résultats concrets, étape après étape.

Sur le conflit israélo-palestinien, Laurent Fabius avait annoncé une initiative politique. Certains d'entre vous l'ont dit, le drame syrien fait qu'on se penche moins sur la situation en Palestine, alors qu'elle est explosive. Il faut donc agir, en évitant de poser des préalables. Et, nous savons que les Américains, qui sont entrés dans une phase pré-électorale, sont peu susceptibles de donner une impulsion à leurs efforts, qui n'avaient d'ailleurs pas été couronnés de succès.

Nous envisageons de procéder en deux temps : réunir d'abord l'ensemble des partenaires prêts à jouer le jeu, puis organiser une conférence avec les parties pour rouvrir une négociation. J'ai déjà pris des contacts en ce sens : j'ai évoqué notre initiative avec Ban Ki Moon qui m'a encouragé. J'ai rencontré, à Genève, le ministre des affaires étrangères palestinien ; j'en ai parlé à Federica Mogherini ; je rencontrerai prochainement au Caire le président et mon homologue égyptiens et les représentants de la Ligue arabe ; je ferai le point avec les ministres européens des affaires étrangères au Conseil « Affaires étrangères » du 14 mars. Pierre Vimont a reçu pour mission d'expliquer notre approche à tous les partenaires concernés.

Sur la question turque, je conviens très volontiers qu'il faut prendre en compte le problème kurde. Si le PKK est rangé parmi les organisations terroristes, la situation est plus complexe avec d'autres groupes qui ont contribué à faire reculer Daech ; c'est un sujet qui préoccupe les Turcs et nous jouons l'apaisement. La Turquie accueille sur son sol plus de 2,5 millions de réfugiés, dans des conditions souvent bien meilleures que dans les camps du HCR, elle fait un effort considérable et nous nous sommes engagés à l'aider, dans le cadre du plan d'action conjoint entre l'UE et la Turquie qui prévoit une assistance de 3 milliards d'euros, ciblés sur l'accueil des réfugiés. Par ailleurs, une coopération est établie avec l'OTAN pour la surveillance de la frontière maritime avec la Grèce qui doit être bien articulée avec les opérations conduites par Frontex. Les Turcs sont indispensables dans la lutte contre les trafics et contre les passeurs.

Oui, le terrorisme a des conséquences économiques. Sur la question des visas américains pour les ressortissants s'étant rendus en Iran et sur l'impact des sanctions américaines sur la reprise de notre commerce avec ce pays, j'en ai déjà parlé à John Kerry et nous y reviendrons. Sur le traité transatlantique, il reste encore beaucoup de questions en suspens et Matthias Fekl s'est mobilisé en faveur de la transparence indispensable de ces négociations. Il faut poursuivre. L'accord entre l'Union européenne et le Canada me paraît une référence de ce que nous pourrions faire avec les Etats-Unis - un accord a été trouvé notamment sur la justice arbitrale, sur la base de la proposition que la France avait promue.

Il faut distinguer les réfugiés et les migrants, c'est une question de responsabilité. Les Européens sont inquiets, mais il faut que les populations fuyant la guerre puissent être accueillies au titre du droit d'asile, c'est un devoir sacré des nations démocratiques - et c'est pour cette raison qu'Angela Merkel a refusé d'instaurer un plafond quantitatif à l'accueil des demandeurs d'asile. Cependant, il y a des migrants qui viennent de pays considérés comme sûrs : il faut dire qu'ils n'ont pas vocation à rester sur notre territoire, sans démagogie. Bernard Cazeneuve l'a dit hier à Calais, là où le Gouvernement, avec les associations, s'engage à ce que les migrants qui vivent aujourd'hui dans des conditions inhumaines, rejoignent un hébergement digne et fassent une demande d'asile lorsque cela est justifié. Les mouvements comme « No borders », qui refusent une telle action, nous rendent la tâche plus difficile. Le risque, aussi, c'est d'arriver à des situations comme on en a vues à Cologne pendant les fêtes du Nouvel an : personne n'y gagnera, bien au contraire.

En Afrique, enfin, la France a pris ses responsabilités et elle a été soutenue par l'ONU, par les Européens, y compris les Allemands. Nous devons accentuer notre effort en faveur du développement de ce continent, où certains pays souffrent cruellement de la chute des cours des matières premières. Nous devons aussi renforcer nos échanges avec les pays où les choses vont bien, je pense à la Côte d'Ivoire, qui a remonté la pente. La réforme de l'Agence française de développement est en cours. Son adossement à la CDC sera un puissant levier pour accroître l'aide au développement de l'Afrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Ce matin, l'ambassadeur de France au Yémen nous a décrit une situation tout à fait chaotique dans ce pays, avec les risques que des califats s'y installent rapidement : qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, ministre

C'est tout à fait exact. L'Arabie Saoudite est intervenue pour stopper la menace djihadiste, mais ce pays très complexe connaît effectivement une situation chaotique dont je suis disposé à venir vous parler plus longuement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Il nous restait à compléter le groupe de travail « Australie » : je propose la candidature d'André Trillard, notre spécialiste notamment pour les questions maritimes et les sous-marins. La commission en est-elle d'accord ? Et M. Robert Laufoaulu sera invité à se joindre s'il le souhaite à la mission dans la mesure où la zone le concerne plus directement.

Il en est ainsi décidé.

Je suis également saisi d'une demande de constituer un groupe de travail sur la garde nationale, sujet que nous avons évoqué plusieurs fois, qui pourrait être co-présidé par Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda. Les sénateurs intéressés - je pense en particulier à Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant, auteurs d'un précédent rapport sur la réserve - pourraient s'ils le souhaitent les rejoindre. Puis-je considérer que tel est le voeu de la commission ?

Il en est ainsi décidé.

Nos rapports ont du succès ! Celui sur la Russie a été traduit en russe et nous recevrons une délégation de sept parlementaires russes pour échanger à ce sujet la semaine prochaine. Je vous signale aussi que j'ai reçu du ministère de la défense des éléments concernant le rapport du gouvernement sur l'emploi des forces militaires sur le territoire national, qui devrait être transmis sous peu à chacun des commissaires ; celles-ci ne devant pas devenir les supplétives des forces de l'intérieur, il importe de définir une doctrine d'emploi et des conditions matérielles d'intervention. Nous en reparlerons lors du débat du 15 mars prochain.

La réunion est levée à 18 h 51

La commission auditionne M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la situation internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous sommes heureux d'accueillir le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, désormais ministre des affaires étrangères et du développement international, qui met son expérience au service de notre diplomatie, dans une période complexe et même grave : tensions et interrogations sur le terrain européen, guerres et crises internationales, mutations diplomatiques, incertitudes de la campagne américaine... Notre pays est lui aussi exposé à des difficultés importantes.

Nous attendons vos premières appréciations sur ces sujets, sur les grands défis de notre diplomatie sur le terrain européen, sur la situation de crise au Levant... Les membres de la commission vous interrogeront également sur leurs sujets de préoccupation, des chrétiens d'Orient à nos relations avec les États-Unis, dont la diplomatie semble stérilisée par la campagne électorale : c'est à présent le président chinois qui se comporte, en visite en Arabie saoudite et en Iran, comme le président américain naguère.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement durable

Je m'inscris dans la continuité de mon prédécesseur Laurent Fabius, dont je salue l'action. Notre politique étrangère a traditionnellement vocation à rassembler les forces politiques au-delà des différences de sensibilité, car tous nous sommes soucieux de l'influence et du rôle de la France dans le monde. Il est important que le ministre des affaires étrangères soit entendu par les commissions parlementaires autant que celles-ci le souhaitent et c'est dans cet esprit que je me présente devant vous.

Le ministère dont je prends la tête a élargi son champ de compétences ; je compte en exercer la plénitude des missions, y compris dans la dimension économique, le commerce extérieur et ce que l'on appelle la diplomatie d'influence. J'ai ainsi réuni hier l'ensemble des partenaires du tourisme pour répondre aux défis qui touchent le secteur, durement affecté par les attentats.

Bien entendu, il y a les priorités immédiates, notamment la gestion des crises, à commencer par celles qui touchent la Syrie ou la Libye. Demain, je présiderai une réunion en « format Normandie » sur l'Ukraine, après un voyage à Kiev avec mon homologue allemand Frank-Walter Steinmeier. Vendredi - le lendemain du sommet franco-britannique - je retrouverai Philipp Hammond et Frank-Walter Steinmeier pour une réunion sur le dossier syrien, en format E3, à laquelle j'ai également convié Federica Mogherini.

L'Europe fait aussi partie des priorités. Nous sommes entrés dans une zone d'incertitude accentuée par la crise des réfugiés. Il y a de quoi être inquiet tant la situation est grave. Le Président de la République rencontre la Chancelière Merkel vendredi matin pour préparer le Conseil européen du 7 mars. Si l'Europe n'aborde pas la question de façon solidaire et responsable, nous serons en grand danger. Certaines initiatives, comme celle de l'Autriche, en vue de fermer la route des Balkans, peuvent aboutir à une véritable remise en cause de Schengen, alors que la solution à cette crise ne peut être qu'européenne. Certains prétendent, comme l'a fait un député hier, que Schengen est déjà mort ; une telle issue mettrait le projet européen en péril, il faut en être conscient.

Les sommets de la dernière chance se succèdent. Mais, il faut être conscient que nombre de décisions ont déjà été prises sur la question des réfugiés : le renforcement de la surveillance des frontières extérieures, les hot spots, un programme de relocalisation des demandeurs d'asile. La situation devient dramatique en Grèce, alors que l'ARYM a fermé sa frontière : nous ne pouvons abandonner notre partenaire grec. Les hot spots se mettent en place, la France y contribue en dépêchant des moyens et en contribuant ainsi à mieux contrôler la frontière extérieure : autant de mesures concrètes. Sur la relocalisation, la France doit aussi prendre sa part. Nous avons prévu d'accueillir 30 000 réfugiés sur un total de 160 000, et notre engagement sera tenu. J'ai pu constater que les moyens d'accueil, de logement, existent : c'est donc un problème de mise en oeuvre et nous avons la volonté de respecter nos engagements. Certains préfèrent laisser l'Allemagne se débrouiller seule en première ligne. Ce n'est pas le cas de la France, qui prendra sincèrement sa part. C'est aussi son intérêt sauf à prendre le risque que la situation se dégrade très vite. A cet égard, le conseil européen du 7 mars sera important, notamment pour notre partenaire allemand qui fait face à des difficultés majeures et est confronté, dans son opinion publique, qui reste majoritairement favorable à l'accueil, à la montée du nationalisme et du populisme.

S'agissant du Royaume-Uni, certains ont vu dans la récente réunion de Bruxelles une rupture historique. Nous n'avons pourtant fait que compiler les statuts particuliers dont le Royaume-Uni dispose déjà au sein de l'Union européenne. Il ne fait pas partie de l'euro, ni de Schengen, et bénéficie d'un protocole sur la justice et les affaires intérieures (JAI). Aucun droit de veto ne lui a été accordé sur un éventuel surcroît d'intégration au sein de la zone euro, pas plus qu'un quelconque avantage particulier à la City. Seul un compromis a été trouvé sur la possibilité de suspendre les seules prestations sociales liées à l'emploi, mais dûment encadrée.

En fait, nous n'avons fait qu'acter une réalité : celle de l'existence d'une Europe différenciée qui nous permet d'envisager, avec ceux qui le veulent, de redonner une dynamique au projet européen, autour de l'Europe de la croissance et de l'emploi, de l'Europe de l'énergie ou du numérique, d'une Europe plus proche de ses citoyens. Mais tout cela ne sera possible que si nous traitons l'urgence, à commencer par la question des réfugiés.

En Syrie, outre la priorité à la lutte contre Daech, nous souhaitons une sortie politique du conflit, la seule voie militaire n'offrant pas d'issue à une guerre qui risque d'embraser la région. La France travaille à cette perspective, en liaison avec ses plus proches partenaires. C'est l'objet de la réunion que j'accueillerai, le 4 mars à Paris, avec nos partenaires du E3, en appui aux contacts du Président de la République, en liaison avec la chancelière et le Premier ministre britannique, avec Barack Obama et Vladimir Poutine.

Aujourd'hui, la priorité est de vérifier l'effectivité du cessez-le-feu, qui n'est pas encore totalement une réalité malgré des avancées, et dont sont naturellement exclus Daech et Jabhat al-Nosra. L'imbrication sur le terrain entre Al Nosra et les groupes de l'opposition modérée sert de prétexte aux Russes et au régime pour poursuivre leurs bombardements.

À Genève, j'ai rencontré Staffan de Mistura, l'envoyé spécial de l'ONU, pour demander une réunion rapide de la task force du groupe international de soutien chargée de vérifier le cessez-le-feu. Les convois humanitaires arrivent difficilement à destination, comme me l'a indiqué le secrétaire général adjoint de l'ONU aux affaires humanitaires, Stephen O'Brien, que j'ai rencontré ce matin, en dépit de certains progrès. Le président du CICR m'a confié que certaines villes rappelaient Dresde en 1945 ou Grozny au début des années 2000. Sans aller jusqu'à l'optimisme dont font parfois preuve les Américains, il faut être déterminé et continuer à soutenir l'opposition modérée. Sans un véritable cessez-le-feu, les conditions ne seront en effet pas réunies pour permettre à celle-ci de participer à la négociation politique voulue par Staffan de Mistura. Je m'entretiendrai demain avec Sergueï Lavrov, en marge de la réunion en format Normandie, de l'Ukraine, mais aussi de la Syrie.

Certains doutent qu'une négociation soit possible, mais souvenons-nous des doutes qui existaient sur la possibilité de parvenir à un accord sur le nucléaire iranien. Nous sommes entrés dans une logique de discussion et de négociation, première étape vers une solution politique. Au-delà de la Syrie, toute la région est concernée. La crise des réfugiés déstabilise le Liban, la Jordanie et la Turquie ; mais un pays comme le Liban a également d'autres problèmes, comme la fragilité chronique de son système politique.

L'engagement américain évolue, pas seulement à cause de la campagne électorale, mais parce que le président Obama a décidé d'un recentrage vers l'Asie ; la situation au Moyen-Orient a un impact indirect sur les États-Unis, mais direct sur l'Europe. En tant que membre permanent du CSNU, au même titre que le Royaume-Uni, nous avons par conséquent un rôle important à jouer.

Autre priorité, celle de progresser vers une approche européenne, en matière de politique étrangère et de défense. Je suis particulièrement attentif à la construction d'une relation de confiance et franche avec notre partenaire allemand. Dans la perspective de la réunion en format Normandie à Paris, je me suis, par exemple, rendu avec mon homologue allemand à Kiev, où notre convergence de vues a été un réel atout. Après les attentats du 13 novembre, la solidarité a été mondiale, mais la première à se manifester a été la chancelière Merkel. Conformément à l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne, répondant à notre appel, le Bundestag a décidé d'engager davantage ses forces militaires : c'est une décision politique courageuse dont la portée reste sous-estimée, face à la réticence d'une partie de l'opinion publique et de la classe politique.

La situation libyenne est difficile et dangereuse : c'est un chaos politique où Daech progresse. L'objectif de l'ONU est la constitution d'un gouvernement d'unité nationale investi par le Parlement et installé à Tripoli, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Des frappes aériennes ou une intervention militaire sont hors de question. À la conférence de sécurité de Munich, le 13 février, j'ai rencontré le futur Premier ministre, Fayez el-Sarraj, et l'envoyé spécial de l'ONU, Martin Kobler, pour leur apporter notre soutien. Avec nos partenaires, nous avons aussi exprimé notre détermination à peser sur les forces libyennes qui empêchent le processus politique, notamment le président du Parlement, Aguila Saleh.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je vous souhaite la bienvenue. Vous êtes une personnalité respectée, et la mission qui vous incombe mérite un consensus responsable.

En dépit de vos initiatives sur la relation franco-allemande, celle-ci traverse des difficultés notamment causées par les déclarations inopportunes du Premier ministre en Allemagne, qui ont choqué. La politique des réfugiés cristallise les divergences : l'Allemagne a accueilli 150 000 réfugiés pour le seul mois de janvier 2016 alors que la France propose d'en recevoir au total 30 000 - et seulement 600 réfugiés syriens et irakiens sont arrivés à ce jour. Sans harmonisation franco-allemande, toutes les digues seront emportées. Les réfugiés tentent de forcer les frontières, avec des conséquences probablement dramatiques. Quelles initiatives allez-vous prendre pour que la relation avec notre voisin retrouve sa force et sa dynamique ? Votre tropisme, votre pratique de la langue allemande, vont-ils y contribuer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

La question des réfugiés ne nous oblige-t-elle pas à réviser notre approche en Syrie ? L'évolution sur le terrain laisse penser que le régime est en situation, aujourd'hui, de tenir, alors que la position française maintient une exclusive sur ce régime. Est-ce une position encore tenable, si la priorité est Daech ? La poursuite du conflit n'est-elle pas l'un des facteurs de la montée des réfugiés ? Ceux qui veulent entrer en Europe pour des raisons de sécurité continueront à le faire, avec toutes les conséquences possibles. Il faudrait alors expliquer à nos concitoyens que nous avons une responsabilité vis-à-vis du million de réfugiés qui va se présenter.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Le terrorisme frappe partout, de manière aveugle, ce qui crée de l'instabilité y compris économique. C'est pourquoi nous aidons les pays en difficulté, notamment le Mali dont l'activité touristique a pratiquement cessé ; que pouvons-nous espérer dans cette entreprise ?

L'ouverture de l'Iran a ouvert de belles perspectives économiques ; mais la décision des États-Unis de contraindre nos ressortissants ayant récemment séjourné en Iran à demander un visa pour entrer sur leur territoire est extrêmement discriminatoire et en contradiction avec cette ouverture.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Votre engagement européen nous rassure. La crise actuelle ne serait-elle pas une opportunité d'adapter les accords de Schengen aux nouveaux enjeux et défis, et de mettre en oeuvre une stratégie offensive dans le cadre d'une Europe différenciée ? Nous partageons votre conviction que la question du Moyen-Orient est une question européenne ; enfin, que pensez-vous des évolutions inquiétantes qui touchent la Turquie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

La montée du vote anti-européen, les replis nationaux ou nationalistes, la possibilité du Brexit, la crise en Grèce, des initiatives isolées comme celle de l'Autriche, la question des réfugiés, de Schengen : tout cela ne forme-t-il pas un cocktail explosif pour l'Europe ? Celle-ci est devenue un bouc émissaire, or n'est-ce pas dans l'Europe que nous trouverons la force nécessaire pour répondre à ces défis qui s'accumulent ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Qu'un ministre des affaires étrangères évoque l'Europe aussi longuement montre que les digues sautent : c'est le signe que l'Europe devient un problème de politique étrangère, non plus de politique intérieure.

Le président bulgare du Conseil de l'Europe nous a indiqué que le trafic des migrants rapportait davantage que le trafic de drogue ; le commandement de l'opération Sophia évalue à 30 ou 35 % la part de ce trafic dans les revenus de la Libye. Or cette activité est aux mains d'organisations mafieuses. On a l'impression que les mafias ont anticipé la crise, alors que les pays démocratiques restent à la traîne ; ainsi l'opération Sophia n'est toujours pas passée au niveau 3. Ne faut-il pas développer notre analyse de la situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Josette Durrieu

Nous sommes d'accord avec votre position vis-à-vis de l'Allemagne, à qui l'on ne reprochera pas un manque de solidarité. C'est aussi le moment de relancer l'Europe de la défense.

Le problème israélo-palestinien est-il occulté par la crise syrienne ? Les Palestiniens attendent une prise de position de la France à l'ONU. En Syrie, qu'allons-nous laisser aux Kurdes, qui ne veulent pas être les laissés-pour-compte de l'histoire ? Les Kurdes de Turquie n'auront pas d'espace autonome, ceux d'Irak se taillent une place ; en Syrie, nous avons une bombe à retardement.

La stratégie de Poutine nous est bien connue. Qu'attendez-vous de la rencontre avec Sergueï Lavrov, que voulez-vous savoir que les Russes n'affichent pas clairement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Goy-Chavent

Voici quelques mois, des camions remplis d'armes ont été stoppés par la police à la frontière turco-syrienne ; leurs conducteurs appartenaient aux services secrets turcs. Les journalistes qui ont dévoilé l'affaire ont été arrêtés, le président Erdogan a demandé contre eux la prison à vie. Or la Turquie fait partie de l'OTAN... Quelle est la position de la France sur la question turque ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

J'ai un intérêt particulier pour les affaires palestiniennes ; j'ai fait adopter une résolution sur le sujet au Sénat, suivi par l'Assemblée nationale. Qu'en est-il de la conférence internationale qui doit être le préalable à toute reconnaissance officielle de l'État palestinien ?

Quel intérêt avons-nous à conserver à tout prix le Royaume-Uni dans l'Union européenne ? Je ne comprends pas qu'aucun responsable britannique ne s'exprime clairement sur la situation à Calais. Pourquoi ne pas transférer les réfugiés à la frontière à Douvres, quitte à assurer que nous participerons financièrement au règlement de leur situation ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

La relation que vous envisagez avec les États-Unis semble un peu différente de ce qu'elle était avec votre prédécesseur. Quelles sont vos intentions sur ce sujet comme sur les relations avec Israël ?

Plusieurs traités de commerce international, dont celui avec les États-Unis, sont en préparation. Quelles propositions allez-vous porter au niveau européen ?

Vous avez évoqué le populisme au sujet de l'immigration ; malheureusement, ce qui s'est passé au nouvel an à Cologne n'est pas de nature à faciliter l'accueil des réfugiés - je préfère ce terme à celui de migrants, car c'est un terme républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Beaucoup de thèmes abordés ! Nous allons organiser prochainement un débat de politique étrangère en séance plénière, comme nous l'avons fait l'année dernière, en fonction de vos disponibilités.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, ministre

Bien volontiers. Je n'ai pas, Monsieur Cambon, d'approche affective ou sentimentale vis-à-vis de l'Allemagne ; mais le destin de nos deux pays est lié. Aucune alternative au couple franco-allemand n'a fonctionné. Ce n'est pas une relation exclusive ; mais pour sortir de l'impasse, nous devons repartir sur le principe d'une Europe différenciée.

Bouc émissaire des insatisfactions économiques, l'Europe donne l'impression d'être lente à décider, mais quelles sont les autres solutions ? Sans relance, l'Europe perdra de son attrait populaire et citoyen, libérant un espace pour les nationalismes et les retours en arrière. Faire le procès de l'Europe dans la crise agricole, c'est de la démagogie. Où en serait-on sans la PAC ? Il faut passer à l'offensive si l'on veut que l'Europe change.

Si le « non » l'emportait au Royaume-Uni, nous entrerions dans une zone d'instabilité économique, mais aussi psychologique et politique. Néanmoins, il faut envisager toutes les hypothèses. Le reste de l'Europe doit bouger aussi, au-delà du tandem franco-allemand. La récente réunion, dans un cadre informel, des ministres des affaires étrangères des six pays fondateurs avait été diversement perçue, mais elle a donné lieu à des échanges approfondis. Il existe de la part de plusieurs pays européen la volonté d'avancer. Le roi des Pays-Bas nous rendra prochainement visite : il a demandé qu'une réunion se tienne dans le salon de l'Horloge, lieu de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, l'acte fondateur de l'Europe. La relance de l'Europe relève d'une volonté politique.

Faut-il réviser notre ligne sur la Syrie ? Cette ligne est la solution politique par la voie de la négociation. M. Gorce a fait, à juste titre, le lien avec l'arrivée massive des réfugiés. C'est parce que le régime bombarde son peuple que les populations fuient. D'après Stephen O'Brien, 13 millions de Syriens ont besoin d'une aide humanitaire. Tous ne veulent pas quitter leur pays, mais certains n'ont pas d'autre choix. J'ai décrit la complexité du processus conduisant à la paix. Notre volonté, c'est que le cessez-le-feu soit respecté, que l'accès de l'aide humanitaire soit assuré et que la reprise d'un processus politique soit possible. Je l'ai dit au Conseil des droits de l'homme : les crimes commis en Syrie devront être établis, grâce au travail de la commission d'enquête Pinheiro ; les auteurs devront répondre de leurs crimes, y compris devant la Cour pénale internationale. Mais pour le moment, il faut créer les conditions de la reprise des négociations. C'est une position pragmatique. Et, il faut aussi continuer à combattre Daech.

Aux Russes, je demanderai quel est leur degré d'engagement en faveur de la cessation des bombardements en Syrie, quelle est leur sincérité dans la recherche d'une solution en Ukraine.

Sur l'Ukraine, on ne peut pas fermer les yeux sur l'atteinte aux principes de l'intangibilité des frontières et de l'intégrité territoriale, nous ne reconnaîtrons donc jamais l'annexion de la Crimée. Les accords de Minsk doivent être respectés, par les Russes comme par les Ukrainiens, qui traversent une crise politique. Comme les Allemands, nous attendons du format Normandie des résultats concrets, étape après étape.

Sur le conflit israélo-palestinien, Laurent Fabius avait annoncé une initiative politique. Certains d'entre vous l'ont dit, le drame syrien fait qu'on se penche moins sur la situation en Palestine, alors qu'elle est explosive. Il faut donc agir, en évitant de poser des préalables. Et, nous savons que les Américains, qui sont entrés dans une phase pré-électorale, sont peu susceptibles de donner une impulsion à leurs efforts, qui n'avaient d'ailleurs pas été couronnés de succès.

Nous envisageons de procéder en deux temps : réunir d'abord l'ensemble des partenaires prêts à jouer le jeu, puis organiser une conférence avec les parties pour rouvrir une négociation. J'ai déjà pris des contacts en ce sens : j'ai évoqué notre initiative avec Ban Ki Moon qui m'a encouragé. J'ai rencontré, à Genève, le ministre des affaires étrangères palestinien ; j'en ai parlé à Federica Mogherini ; je rencontrerai prochainement au Caire le président et mon homologue égyptiens et les représentants de la Ligue arabe ; je ferai le point avec les ministres européens des affaires étrangères au Conseil « Affaires étrangères » du 14 mars. Pierre Vimont a reçu pour mission d'expliquer notre approche à tous les partenaires concernés.

Sur la question turque, je conviens très volontiers qu'il faut prendre en compte le problème kurde. Si le PKK est rangé parmi les organisations terroristes, la situation est plus complexe avec d'autres groupes qui ont contribué à faire reculer Daech ; c'est un sujet qui préoccupe les Turcs et nous jouons l'apaisement. La Turquie accueille sur son sol plus de 2,5 millions de réfugiés, dans des conditions souvent bien meilleures que dans les camps du HCR, elle fait un effort considérable et nous nous sommes engagés à l'aider, dans le cadre du plan d'action conjoint entre l'UE et la Turquie qui prévoit une assistance de 3 milliards d'euros, ciblés sur l'accueil des réfugiés. Par ailleurs, une coopération est établie avec l'OTAN pour la surveillance de la frontière maritime avec la Grèce qui doit être bien articulée avec les opérations conduites par Frontex. Les Turcs sont indispensables dans la lutte contre les trafics et contre les passeurs.

Oui, le terrorisme a des conséquences économiques. Sur la question des visas américains pour les ressortissants s'étant rendus en Iran et sur l'impact des sanctions américaines sur la reprise de notre commerce avec ce pays, j'en ai déjà parlé à John Kerry et nous y reviendrons. Sur le traité transatlantique, il reste encore beaucoup de questions en suspens et Matthias Fekl s'est mobilisé en faveur de la transparence indispensable de ces négociations. Il faut poursuivre. L'accord entre l'Union européenne et le Canada me paraît une référence de ce que nous pourrions faire avec les Etats-Unis - un accord a été trouvé notamment sur la justice arbitrale, sur la base de la proposition que la France avait promue.

Il faut distinguer les réfugiés et les migrants, c'est une question de responsabilité. Les Européens sont inquiets, mais il faut que les populations fuyant la guerre puissent être accueillies au titre du droit d'asile, c'est un devoir sacré des nations démocratiques - et c'est pour cette raison qu'Angela Merkel a refusé d'instaurer un plafond quantitatif à l'accueil des demandeurs d'asile. Cependant, il y a des migrants qui viennent de pays considérés comme sûrs : il faut dire qu'ils n'ont pas vocation à rester sur notre territoire, sans démagogie. Bernard Cazeneuve l'a dit hier à Calais, là où le Gouvernement, avec les associations, s'engage à ce que les migrants qui vivent aujourd'hui dans des conditions inhumaines, rejoignent un hébergement digne et fassent une demande d'asile lorsque cela est justifié. Les mouvements comme « No borders », qui refusent une telle action, nous rendent la tâche plus difficile. Le risque, aussi, c'est d'arriver à des situations comme on en a vues à Cologne pendant les fêtes du Nouvel an : personne n'y gagnera, bien au contraire.

En Afrique, enfin, la France a pris ses responsabilités et elle a été soutenue par l'ONU, par les Européens, y compris les Allemands. Nous devons accentuer notre effort en faveur du développement de ce continent, où certains pays souffrent cruellement de la chute des cours des matières premières. Nous devons aussi renforcer nos échanges avec les pays où les choses vont bien, je pense à la Côte d'Ivoire, qui a remonté la pente. La réforme de l'Agence française de développement est en cours. Son adossement à la CDC sera un puissant levier pour accroître l'aide au développement de l'Afrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Ce matin, l'ambassadeur de France au Yémen nous a décrit une situation tout à fait chaotique dans ce pays, avec les risques que des califats s'y installent rapidement : qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Ayrault, ministre

C'est tout à fait exact. L'Arabie Saoudite est intervenue pour stopper la menace djihadiste, mais ce pays très complexe connaît effectivement une situation chaotique dont je suis disposé à venir vous parler plus longuement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Il nous restait à compléter le groupe de travail « Australie » : je propose la candidature d'André Trillard, notre spécialiste notamment pour les questions maritimes et les sous-marins. La commission en est-elle d'accord ? Et M. Robert Laufoaulu sera invité à se joindre s'il le souhaite à la mission dans la mesure où la zone le concerne plus directement.

Il en est ainsi décidé.

Je suis également saisi d'une demande de constituer un groupe de travail sur la garde nationale, sujet que nous avons évoqué plusieurs fois, qui pourrait être co-présidé par Jean-Marie Bockel et Gisèle Jourda. Les sénateurs intéressés - je pense en particulier à Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant, auteurs d'un précédent rapport sur la réserve - pourraient s'ils le souhaitent les rejoindre. Puis-je considérer que tel est le voeu de la commission ?

Il en est ainsi décidé.

Nos rapports ont du succès ! Celui sur la Russie a été traduit en russe et nous recevrons une délégation de sept parlementaires russes pour échanger à ce sujet la semaine prochaine. Je vous signale aussi que j'ai reçu du ministère de la défense des éléments concernant le rapport du gouvernement sur l'emploi des forces militaires sur le territoire national, qui devrait être transmis sous peu à chacun des commissaires ; celles-ci ne devant pas devenir les supplétives des forces de l'intérieur, il importe de définir une doctrine d'emploi et des conditions matérielles d'intervention. Nous en reparlerons lors du débat du 15 mars prochain.

La réunion est levée à 18 h 51