Notre pays fait face à une menace terroriste d'une ampleur sans précédent, plus forte encore qu'en janvier et novembre derniers. Il n'est pas le seul - la Tunisie, ce pays si proche de nous, vient encore d'être frappée. En attaquant la Tunisie, les terroristes s'en prennent à la transition démocratique unique dans le monde arabe ; ils s'attaquent aux valeurs de liberté et d'ouverture que porte ce peuple ami. Nous avons un devoir : ne jamais laisser tomber la Tunisie et combattre, ensemble, le terrorisme.
Face à cela, au djihadisme, à l'islamisme radical, à cette contestation totale de ce qui fait notre humanité, la France ne doit à aucun moment baisser la garde. Faiblir serait faillir. Notre responsabilité à tous est donc immense. Nous sommes entrés dans une nouvelle époque. Nous avons changé de monde. Face à nous se dresse une armée, avec ses bastions au Levant et au Sahel. Elle contrôle des territoires, se structure comme un État. Elle a sa stratégie d'embrigadement, d'expansion, d'asservissement des peuples, et ses sources de financement.
Face à nous, il y a aussi des individus isolés, qui basculent dans la radicalisation, agissant de manière plus ou moins autonome, avec la volonté de frapper au coeur même de nos sociétés, de retourner les armes contre leur propre pays. Daech, comme les succursales les plus actives d'Al Qaida, dispose de cellules de planification d'attentats chargées de sélectionner et de préparer les terroristes. L'implantation de plus en plus forte de l'État islamique au Maghreb et en Libye, la dégradation sérieuse de la situation dans ce pays et l'enracinement djihadiste à Syrte constituent une source de très grande préoccupation.
Face à ce totalitarisme nouveau, nous devons renforcer nos moyens d'action et veiller à l'unité de notre Nation. N'ayons pas la mémoire courte ! Nous avons une propension à oublier les événements et les propos qu'ils nous ont fait tenir. Renforcer notre efficacité, garantir notre unité : c'est le but de cette réforme constitutionnelle, annoncée le 16 novembre dernier par le Président de la République devant le Congrès. Une réforme qui arrive devant le Sénat après son adoption, à plus des trois cinquièmes, par l'Assemblée nationale.
Alors que vos travaux en commission débutent, je veux insister sur l'exigence qui s'impose à nous. Dans un monde où l'événement a trop tendance à chasser l'événement, nos compatriotes n'ont rien oublié de l'horreur, des 149 vies qui ont été volées, ni des centaines de blessés, qui le seront à jamais. Nos compatriotes attendent de nous que nous soyons, collectivement, à la hauteur, que nous n'hésitions pas dans les réponses que nous apportons.
L'article 1er de ce projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation vise à inscrire l'état d'urgence dans notre Constitution. Il s'agit d'une mesure à l'effet juridique utile, selon l'avis du Conseil d'État du 11 décembre dernier, et j'ajouterais même nécessaire. Le comité de réflexion constitutionnelle présidé en 2007 par Édouard Balladur l'avait déjà proposée, car les deux régimes particuliers destinés à faire face aux situations les plus graves - l'article 16 et l'article 36 sur l'état de siège - ne correspondent pas au type de crises que la France a traversées - et peut traverser à nouveau.
Oui, le régime de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment utilisé sous la Vème République doit figurer dans notre Constitution. Inscrire l'état d'urgence dans la norme suprême permettra également d'encadrer davantage son application, de la subordonner au droit et à la proportionnalité. En gravant dans le marbre le caractère exceptionnel de l'état d'urgence - c'est la définition même de l'État de droit - nous garantissons que ses conditions de déclenchement et de contrôle ne pourront être allégées, demain, sans l'accord d'une majorité qualifiée au Parlement.
Le débat parlementaire a permis d'enrichir ce projet de révision constitutionnelle sur plusieurs points. Plusieurs garanties fondamentales ont ainsi été introduites à l'Assemblée nationale, avec l'avis favorable du Gouvernement : la limitation à quatre mois maximum de toute autorisation législative de prorogation, l'obligation pour le Gouvernement d'informer le Parlement sans délai des mesures prises, la constitutionnalisation des pouvoirs de contrôle du Parlement et la possibilité pour le Parlement de siéger de plein droit pendant toute la durée de l'état d'urgence. Chaque prolongation devra se traduire par un projet de loi, examiné au préalable par le Conseil d'État et pouvant faire l'objet d'un recours devant le Conseil constitutionnel. Ce projet de révision met donc en place des mécanismes de contrôle très stricts, sur le plan politique comme sur le plan juridictionnel.
La loi de 1955 sur l'état d'urgence pourra elle aussi être précisée. Nous l'avons déjà améliorée ensemble, en l'adaptant à la menace terroriste tout en préservant la liberté de la presse et du débat public. Vous avez, le 20 novembre dernier, adopté ce texte de modernisation à l'unanimité et les décisions récentes, intervenues par le biais de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), ont enrichi encore la jurisprudence. Mais il était difficile de fonder un régime de saisie administrative sans mention préalable de l'état d'urgence dans la Constitution. La décision de censure partielle prise par le Conseil constitutionnelle le 19 février, suite à une QPC, étaye notre position.
Le Gouvernement a donc préparé un avant-projet de loi pour compléter notre texte sur l'état d'urgence, qu'il a rendu public par souci de transparence. Il comportera une disposition supplémentaire pour répondre au cas précis de la copie de données informatiques. Le Conseil constitutionnel a en effet décidé d'étendre à ces copies le régime protecteur applicable aux saisies - et le Gouvernement se conformera pleinement à cette décision -, alors même qu'il n'est pas toujours matériellement possible d'exploiter certains documents dans le temps très réduit d'une perquisition, surtout lorsqu'ils sont écrits dans une langue étrangère. Le projet vous sera transmis officiellement à l'issue de la procédure de révision constitutionnelle.
Un tel sujet doit nous réunir. C'est dans cet esprit de rassemblement que le Gouvernement a accueilli la proposition de loi tendant à renforcer l'efficacité de la lutte antiterroriste, déposée par le président Bas et les sénateurs Retailleau, Mercier et Zocchetto. Nous continuerons le dialogue dans le cadre du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, qui devrait être adopté par l'Assemblée nationale cet après-midi.
Le 10 février dernier, l'Assemblée nationale a également voté l'article 2 du projet de loi de révision constitutionnelle, tel qu'amendé par le Gouvernement. L'article 34 de la Constitution ainsi modifié permettra à la loi d'organiser les conditions dans lesquelles une personne française peut être déchue de sa nationalité ou des droits qui y sont attachés, lorsqu'elle a été condamnée pour crime ou délit portant gravement atteinte à la vie de la Nation.
Le Gouvernement vous invite, dans le respect de la parole donnée par le Président de la République, à adopter l'article 2 de cette révision constitutionnelle dans les mêmes termes. L'enjeu est d'inscrire au coeur de notre Constitution une garantie nécessaire. Face à la barbarie des 7, 8 et 9 janvier et du 13 novembre, face à la menace, omniprésente, durable, face au risque que la France soit à nouveau frappée, nous devons faire preuve de la plus grande fermeté et de la plus grande détermination. Alors que des Français frappent d'autres Français et déchirent le pacte républicain, l'État doit rappeler ce que signifie être une Nation, être français : non pas une origine mais une exigence, celle de défendre l'égalité, la liberté, la fraternité, la laïcité. Être citoyen français, c'est partager les mêmes valeurs, les mêmes droits et les mêmes devoirs. Partager une même envie de construire l'avenir ensemble, un même destin, un même amour de la patrie. L'État, en ces temps difficiles, doit réaffirmer ce qui nous rassemble.
C'est pour cela que ceux qui résident sur le sol français et se comportent comme des Français doivent pouvoir devenir français - et j'ai oeuvré, comme ministre de l'intérieur, à ce que l'accès à la naturalisation soit garanti à tous ceux qui, durablement installés sur notre sol, remplissent les conditions. Ces décisions ont bénéficié à des milliers de personnes, devenues nos compatriotes, pour beaucoup binationales. Mais c'est aussi pour réaffirmer ce qui fait notre communauté nationale que des terroristes condamnés, tentant de briser notre destin commun, doivent être déchus de leur nationalité. Nous savons qui nous visons.
Le débat sur cet article a été riche, et le Gouvernement - qui avait respecté l'avis du Conseil d'État - a fait évoluer son projet pour en tenir compte, avec l'accord du Président de la République. Parce que la Constitution a une force solennelle, le Gouvernement s'est rallié à une écriture qui ne distingue aucune catégorie de Français par rapport à une autre. Pour que la déchéance de nationalité rassemble la communauté nationale contre les terroristes, il fallait qu'elle s'applique à tous les Français. Pour qu'il y ait responsabilité égale de chacun, il doit y avoir égalité devant la sanction. L'exigence républicaine ne peut être à géométrie variable. Or notre droit ne répond pas pleinement à cette exigence républicaine d'égale responsabilité. L'article 25 du code civil fait ainsi une distinction entre les Français selon qu'ils sont nés français ou ont acquis la nationalité française : seuls ceux qui ont été naturalisés peuvent être déchus de leur nationalité.
Pour pouvoir en déchoir, aussi, une personne née française, le Conseil d'État a indiqué clairement, dans son avis du 11 décembre 2015, qu'il fallait une loi constitutionnelle. Il est légitime qu'une mesure d'une telle gravité relève de notre premier texte juridique. J'entends qu'il s'agirait d'une remise en cause du droit du sol... Balivernes ! C'est une erreur. Remettre en cause le droit d'un Français de naissance à conserver sa nationalité s'il prend les armes contre son propre pays n'est pas une remise en cause du droit du sol. C'est une remise en cause du droit du sang, et cela, je l'assume. Car notre Nation n'est fondée ni sur le droit du sol, ni sur celui du sang : elle est fondée sur un pacte citoyen de valeurs républicaines.
L'article 25 du code civil fait aussi une distinction entre ceux qui disposent d'une autre nationalité et ceux qui n'en disposent pas, seuls les premiers pouvant être déchus. Pallier ces manques de notre droit, c'est le sens de la rédaction de l'article 2 que le Gouvernement vous propose d'adopter. Je sais qu'elle suscite des interrogations, en raison du risque d'apatridie qui sera, en conséquence, encouru. Mais face à une menace en constante évolution, il faut constamment faire évoluer nos réponses - avec sang-froid, dans le respect de nos valeurs et de l'État de droit. La formulation adoptée par l'Assemblée nationale, avec l'accord du Gouvernement, est, en tous points, compatible avec la position historique de votre assemblée. Les débats tenus aussi bien dans votre commission en décembre 1997 que dans l'hémicycle en janvier 1998 en témoignent. Ce doit être un gage de sérénité de nos débats collectifs, et, je l'espère, de convergence presque complète.
Priver un individu de sa nationalité, élément constitutif de la personne, consacrant son appartenance à la communauté nationale, est par essence une décision grave. C'est pour cela que cette rédaction exige une condamnation pénale préalable : pas de déchéance de nationalité sans l'intervention préalable du juge pénal et un procès équitable. C'est aussi pour cela que l'article 2 limite la déchéance aux seuls crimes et délits constitutifs d'une atteinte à la vie de la Nation - atteinte qualifiée, de surcroît, de grave. C'est pour cela, enfin, que nous proposons la possibilité de déchoir non seulement de la nationalité, mais aussi des droits qui y sont attachés. Nous agissons, ce faisant, dans le strict respect de nos engagements internationaux comme des libertés fondamentales garanties par la convention européenne des droits de l'homme.
L'avant-projet de loi ordinaire définit, d'abord, ce qui constitue une atteinte à la vie de la Nation, c'est-à-dire les crimes et délits constitutifs d'actes terroristes ou attentatoires aux intérêts fondamentaux de la Nation, prévus au livre 4 du code pénal. Seuls ont été retenus les délits les plus graves, qui encourent une peine de dix ans d'emprisonnement. C'est cohérent avec les six déchéances prononcées depuis 2014, pour des délits d'association de malfaiteurs à visée terroriste - déchéances qui n'ont pas suscité de protestations, d'ailleurs. Elles ne concernaient que des binationaux ayant acquis la nationalité française. Pourquoi cette inégalité ? Ces binationaux sont aussi français que les autres. Certains peuvent même devenir Premier ministre !
Le texte d'application modifie, ensuite, le régime de la déchéance. Nous proposons ainsi que la compétence de prononcer cette sanction, qui revient aujourd'hui à l'autorité administrative après avis conforme du Conseil d'État, revienne à l'autorité judiciaire. Plusieurs raisons à ce choix, qui renoue avec notre tradition républicaine. D'abord, un souci d'efficacité : cette peine sera prononcée immédiatement, au moment de la condamnation. Deuxième raison, le respect de l'exigence d'individualisation de la peine : la déchéance de nationalité est une peine lourde de conséquences, qui nécessite un examen rigoureux et approfondi, au cas par cas. Il n'y aura, comme dans le droit actuel, aucune automaticité. La dernière raison, c'est la volonté de construire une sanction globale, prononcée en même temps que la peine principale, par des juges disposant de tous les éléments de fait et de droit.
Lorsque la déchéance de la nationalité ne sera pas souhaitable, le juge pénal pourra déchoir la personne condamnée des droits attachés à la nationalité. Si ces privations de droits existent déjà dans le code pénal, mais souvent avec des durées limitées, nous proposons de leur conférer un caractère définitif - avec une possibilité de relèvement au terme d'un délai de dix ans. Contrairement à la déchéance de nationalité, cette sanction ne privera pas les personnes concernées du droit d'entrer et de séjourner en France.
Cette révision constitutionnelle nous permet, en un mot, de réaffirmer des principes simples mais essentiels à la définition de ce que nous sommes. Être français est une exigence républicaine : défendre les valeurs de notre devise nationale. C'est l'inscription assumée dans un destin commun. Et être français est une exigence, un devoir auquel rien, pas même le droit du sang, pas même la naissance, ne doit permettre de se soustraire.
Voilà, au terme de débats qui ont été très riches à l'Assemblée nationale, l'état de la réflexion du Gouvernement. Je ne doute pas que les débats ne soient aussi particulièrement riches au Sénat, dont je connais l'attachement aux libertés, et qu'ils aboutiront à un accord. C'est l'exigence des Français.