Intervention de Michel Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 8 mars 2016 à 9h05
Protection de la nation — Audition de M. Manuel Valls premier ministre et de M. Jean-Jacques Urvoas garde des sceaux ministre de la justice

Photo de Michel MercierMichel Mercier :

Merci, Monsieur le Premier ministre, de nous avoir expliqué votre choix de la voie constitutionnelle, après les attentats que notre pays a subis. Le Sénat a toujours veillé à aider l'exécutif à s'armer contre le péril terroriste. Faut-il aller jusqu'à une révision constitutionnelle ? Le droit constitutionnel est aussi un droit politique. Il y a deux façons d'organiser notre vie en commun : en donnant des signes et en prévoyant des dispositions juridiques.

Le Conseil constitutionnel vient de répondre aux questions sur la constitutionnalité des mesures liées à la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Inscrire l'état d'urgence dans la Constitution n'ajoute donc pas grand-chose, mais je reconnais que l'état de siège n'est plus que symbolique et que l'article 16 est peu pratique pour lutter contre la guérilla terroriste. Il ne serait par conséquent pas anormal d'inscrire l'état d'urgence dans la Constitution.

Nous avons eu l'occasion d'entendre à plusieurs reprises le premier président de la Cour de cassation rappeler son interprétation de l'article 66 de la Constitution. Je sais que le juge administratif est le juge des libertés publiques, depuis longtemps, mais il n'en reste pas moins nécessaire de réaffirmer le rôle de l'autorité judiciaire comme gardienne de la liberté individuelle. C'est ainsi que l'on retrouvera l'unité de la Nation.

La déchéance de nationalité existe depuis longtemps dans notre droit. Depuis la première guerre mondiale, il y a toujours eu des textes relatifs à la déchéance ou à la perte de la nationalité ; pour le Conseil d'État, l'une comme l'autre est une sanction. Il est normal de priver de la protection de l'État un Français qui lui manquerait de loyauté. L'article 25 du code civil vise uniquement la catégorie des binationaux qui ont acquis la nationalité française. Je partage votre souci de ne pas distinguer entre binationaux, car nos principes juridiques impliquent que nous traitions tous les citoyens de la même manière. Le texte issu de l'Assemblée nationale n'est pas d'une clarté extrême sur ce point. Il ne mentionne pas la possibilité de déchoir de leur nationalité ceux qui n'ont que la nationalité française. Vous avez habilement renvoyé ce point à la ratification d'un texte international. En effet, en matière d'apatridie, la France n'a pas d'obligation juridique internationale ; il n'existe qu'une mesure de droit interne.

Selon l'article 34 de la Constitution, le Parlement fixe les règles en matière de nationalité. Si la réforme est votée, le Parlement verra son rôle limité, puisque l'article 34 précisera les circonstances dans lesquelles la déchéance de nationalité pourra s'appliquer. Si vous ne prévoyez pas explicitement la possibilité de l'apatridie, vous imposerez au Parlement un contrôle de conventionalité qui s'ajoutera au contrôle de constitutionnalité. Cela fait beaucoup.

La nationalité est une manifestation de l'État, qui décide des conditions de son attribution ou de son retrait. C'est pourquoi l'idée de faire de la déchéance une peine complémentaire ne me convainc pas. Une fois prononcée la condamnation définitive, il appartient au pouvoir exécutif de prononcer la déchéance de nationalité, après avis conforme du Conseil d'État, car cela relève des attributions de l'État. Il n'est pas souhaitable d'inscrire dans la Constitution une peine complémentaire qui s'apparente à une diminutio capitis et qui met en cause la puissance et l'imperium de l'État.

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