En effet, monsieur le président Bas, le Sénat a toujours pris ses responsabilités : qu'il s'agisse des deux lois antiterroristes, de la mise en oeuvre de l'état d'urgence ou de vos propositions - que l'on retrouve dans le texte défendu à l'Assemblée nationale par M. Urvoas -, le Sénat s'est toujours montré un défenseur intransigeant des droits et des libertés fondamentales. Les textes que j'ai défendus en matière de sécurité ou d'immigration en ont également donné la preuve. Une révision constitutionnelle implique que toute modification votée par le Sénat, aussi légitime soit-elle, puisse être approuvée par l'Assemblée nationale. Traçons ce chemin ensemble.
Madame Assassi, je sais que vous n'exprimez pas une posture mais une conviction. Dire que la déchéance de nationalité n'est pas une mesure de gauche est inexact au regard de l'histoire. Il suffit de rappeler 1848 et toute la première partie du XXème siècle, l'ordonnance de 1945 qui instaure un régime républicain de déchéance de nationalité, les lois de 1973 et de 1993 qui définissent le régime actuel, celles de 1996, de 2003 et de 2006 qui le modifient. Toutes sont des lois de la République et la République transcende le clivage entre gauche et droite. Vous avez fait allusion à la proposition de M. Sarkozy de déchoir de leur nationalité les auteurs de crimes contre des policiers et gendarmes. La déchéance de nationalité est une arme à utiliser avec précaution. Si elle est employée contre ceux qui rompent avec la Nation, elle ne peut plus sanctionner d'autres crimes, aussi atroces soient-ils. Lorsqu'elle s'applique contre les terroristes, la mesure n'est ni de gauche, ni de droite. La gauche se confond aussi avec l'histoire de la République !
La déchéance de nationalité n'est pas une « mort écrite » : c'est une mise à l'écart de la République, à titre de peine complémentaire, qui peut être levée au bout de dix ans. Malgré tout le respect que j'ai pour M. Badinter, elle n'a rien à voir avec la peine de mort. L'avis du Conseil d'État du 11 décembre 2015 est clair : pour pouvoir prononcer la déchéance de nationalité contre des personnes nées françaises, il faut l'inscrire dans la Constitution.
La notion de « péril imminent » vous paraît floue. Les juristes du Conseil d'État ont rappelé qu'il était préférable de conserver des notions stabilisées, dotées d'une valeur sémantique et juridique forte. Je fais confiance au Conseil constitutionnel pour enrichir et préciser sa jurisprudence.
Monsieur Leconte, la déchéance de nationalité a un objectif de principe, celui du droit de la Nation à sanctionner celui qui se retourne contre elle. Elle n'est pas pour autant dépourvue d'efficacité en matière de lutte contre le terrorisme international. La coopération internationale, les lois que nous votons, les moyens donnés aux armées, à la justice, à nos services de renseignement, à la pénitentiaire restent essentiels. Il n'en reste pas moins que la Nation a symboliquement le droit de se défendre. Une nationalité est un droit inconditionnel à voyager, à entrer ou à sortir de France. La privation de nationalité ne fait pas obstacle à l'intégralité du parcours pénal et pénitentiaire. Nous combinons le régime de la déchéance avec les exigences de la Cour européenne des droits de l'homme.
Nous assumons parfaitement nos criminels. La coopération judiciaire et policière internationale nous aide à les combattre. La déchéance de nationalité est une sanction qui intervient au terme d'un processus de coopération qu'elle ne compromet pas.
Quant à la notion de peine complémentaire, il faudra en débattre. L'article 2 ne la mentionne pas, mais elle apparaît dans l'avant-projet de loi. Je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'on précise les choses, dans le cadre d'un débat transparent.
Le Conseil d'État nous a proposé de retirer les délits, qui figuraient dans le texte initial, inspiré du code civil, créant ainsi des régimes différents entre crimes et délits. À l'Assemblée nationale, le Gouvernement a accepté un amendement qui les réintroduit pour satisfaire une demande de l'opposition. Je comprends vos interrogations, et nous pourrons avancer ensemble sur cette question. Depuis 2012, la déchéance de nationalité a été prononcée sur la base de délits terroristes.
MM. Mercier et Richard ont mentionné la convention du 30 août 1961, dont l'article 8 ter autorise un État à se réserver le droit de créer des apatrides, notamment en cas d'atteinte à ses intérêts essentiels ou d'allégeance à un autre État. L'apatridie a été au coeur du débat ; nous avons évolué collectivement pour sortir d'une contradiction : soit nous visions expressément les binationaux, soit nous interdisions toute possibilité d'apatridie, avec le même résultat implicite. Si l'on souhaite que la déchéance de nationalité puisse s'appliquer à tout terroriste, qu'il soit plurinational ou non, cela implique que nous acceptions de créer des apatrides, dans la limite des traités internationaux. Toute la question consiste à savoir si l'État réitérera ou pas les réserves permises par l'article 8 ter, en ratifiant la convention de 1961. C'est la question que vous m'avez posée, Monsieur Bas, dans le courrier que vous m'avez adressé - et à laquelle je n'ai toujours pas répondu.