Ce manque de considération pour le travail du Sénat est d’autant plus patent que, à l’Assemblée nationale, le nombre d’articles de cette proposition de loi a plus que triplé, passant de vingt-trois à soixante-dix-sept articles.
Il n’est un secret pour personne que ce texte a été tellement été remanié par l’administration qu’il en est presque devenu, une fois de plus, un projet de loi. L’immense majorité des articles a été écrite par les administrations des ministères de l’environnement, des finances ou de l’intérieur. Pour autant, ces dispositions ne font l’objet d’aucune étude d’impact, puisqu’elles ne figurent pas dans un projet de loi clairement assumé par le Gouvernement. Certaines mesures n’ont de surcroît qu’un lien très indirect avec l’économie maritime.
J’ajoute que, depuis 2012, c’est la troisième fois, sur trois textes à dimension maritime, que le Gouvernement procède de la sorte. Le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer avait été examiné en moins de trois semaines, et le projet de loi déguisé en proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes avait connu un sort comparable, comme peut l’attester notre collègue Michel Vaspart, rapporteur de ce texte.
À chaque fois, bien sûr, l’urgence à agir est invoquée. Certes ! Mais ce texte contient des mesures qui sont demandées par le monde maritime depuis parfois près d’une décennie. De là à en déduire l’absence de volonté du Gouvernement de mettre en œuvre une véritable politique maritime, il n’y a qu’un pas.
Il ne suffit pas de profiter du dernier remaniement et d’ajouter en urgence le substantif « mer » à l’intitulé du grand ministère de Ségolène Royal pour bâtir une politique maritime. Le subterfuge ne trompe plus personne ! Nous sommes bien loin des déclarations grandiloquentes du candidat Hollande dans le rapport sur le défi maritime français, jonché d’engagements et de promesses non tenues.
En fin de compte, par le nombre de sujets traités et l’absence de mesures de grande envergure, cette proposition de loi s’apparente davantage à un catalogue de mesures administratives qu’à un grand texte capable de refonder la politique maritime de notre pays.
Notre commission est néanmoins consciente de la nécessité de renforcer la compétitivité des activités maritimes de toutes les manières possibles. Pour cette raison, nous avons conservé intactes les principales mesures de ce texte, comme l’exonération de charges patronales pour les armateurs de navires de commerce battant pavillon français, le net wage, ou l’autoliquidation de la TVA à l’importation dans les ports, même si, nous le constaterons tout à l’heure, le Gouvernement entend y revenir.
Nous soutiendrons les députés sur ce point, et ne laisserons pas le Gouvernement essayer de freiner le développement économique de notre pays. Je vous rappelle qu’aujourd’hui 50 % des biens à destination de la France sont débarqués dans un port étranger.
Nous avons prolongé cette quête de compétitivité en allégeant la procédure d’autorisation des jeux de hasard mécanisés à bord des navires. Nous essayons de répondre aux besoins des ferries, particulièrement exposés à la concurrence internationale, notamment pour le trafic transmanche, dont la clientèle britannique apprécie fortement les machines à sous.
Pour le reste, nous nous sommes surtout attachés à améliorer les dispositifs proposés. Nous avons ainsi précisé la définition de la contribution de sécurité de la propriété maritime versée au moment de l’inscription d’une hypothèque maritime, afin de combler un vide juridique créé par les députés, et supprimé le renouvellement annuel du permis d’armement.
Afin de poursuivre l’effort de modernisation du droit du travail maritime, nous avons adopté plusieurs articles additionnels permettant d’apporter des précisions sur le constat du délit d’abandon des gens de mer, la consultation des partenaires sociaux, la protection du délégué de bord et la tentative de conciliation préalable en cas de différend sur un contrat de travail entre un marin et son employeur.
Dans la même perspective de simplification, je vous proposerai tout à l’heure deux amendements visant à faciliter l’accès aux fonctions de capitaine et de suppléant à bord des navires, en supprimant les prérogatives de puissance publique associées pour les cultures marines et en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir les mentions du casier judiciaire compatibles avec ces fonctions pour les autres navires. Cela répond à une préoccupation importante des gens de mer.
Pour compléter les moyens de lutte contre le terrorisme et traiter en particulier la question de la menace provenant d’un passager ou d’un objet embarqué à bord, nous avons étendu la possibilité de recourir à des entreprises privées de protection des navires en supprimant la référence à une menace « extérieure » ainsi que le zonage dans lequel ces activités sont aujourd’hui autorisées. Nous proposons également d’interdire l’accès à bord à toute personne qui refuserait de se soumettre à des contrôles de sécurité – fouilles des bagages ou palpations de sécurité.
Enfin, nous avons souhaité prévoir la date butoir du 1er janvier 2025 pour l’objectif de généralisation des systèmes de distribution de gaz naturel liquéfié et d’alimentation électrique à quai dans les ports. C’est un sujet important, quand on connaît le niveau de pollution de l’air dans les ports.
Au final, que faut-il penser de ce texte ? Je salue l’impulsion donnée par Arnaud Leroy pour faire avancer des mesures attendues par un monde maritime constamment négligé ou peu entendu par le Gouvernement. Toutefois, ces mesures permettront au mieux de réduire le fossé de compétitivité qui nous sépare de nos concurrents.
Il fallait certes commencer par là. Mais j’anticipe d’ores et déjà l’essoufflement de cette dynamique, qui ne suffira pas à redorer le blason de la France maritime, vingt-huitième pavillon pour le commerce, en l’absence d’une véritable vision politique en faveur de la croissance bleue. On se contente trop souvent de poser la première pierre en remettant au lendemain les choix difficiles : le présent texte n’échappe pas à cette règle.
À l’heure où les grandes puissances font réellement le pari de la mer, construisent de vraies infrastructures, explorent les fonds marins, affirment leurs revendications territoriales, développent les biotechnologies bleues et la recherche marine, que faisons-nous ? De la simplification administrative ! C’est peut-être déjà beaucoup, mais la réponse n’est pas à la hauteur des enjeux.
Faute de courage politique, on évite soigneusement les vrais sujets qui nous permettraient de rattraper notre retard. On ne parle pas de l’organisation du temps de travail et des congés, alors qu’il faut en France trois équipages pour faire tourner un navire contre deux au Danemark. Quand nos concurrents pensent automanutention des navires et automatisation des ports, nous nous contentons de demander un rapport sur l’Établissement national des invalides de la marine, l’ENIM, et de préserver l’héritage statutaire des dockers. Et je ne parle même pas de l’effort financier que nous consacrons au monde maritime, moins d’un dixième de point de PIB. À ce niveau-là, ayons au moins la décence de ne pas parler de politique maritime !
Nous ne pouvons pas, en toute honnêteté, employer les termes d’« économie bleue » ou de « croissance bleue », qui sont fortement connotés dans l’esprit de nos concitoyens. Il ne faudrait pas donner l’impression qu’avec ce simple réajustement le travail a été fait !
Ce texte est utile, et je vous invite à l’adopter, mes chers collègues, mais nous devons chercher une tout autre ambition pour l’économie bleue. Malheureusement, le Gouvernement n’est pas prêt à le faire, les signaux sont clairs.
J’en veux pour preuve la mission que le Premier ministre vient de confier à huit parlementaires sur les axes portuaires de Dunkerque, du Havre et de Marseille. Ne pouvait-il le faire avant l’examen de ce texte, ce qui aurait permis d’en traduire rapidement les conclusions ? Au contraire, il a préféré séparer les deux calendriers, en faisant le choix de la procédure accélérée, afin d’être sûr de ne pas avoir à en assumer les choix budgétaires.
Pour conclure, je dirai que l’optimisme béat n’est vraiment plus de rigueur. Écoutons les peuples de la mer, ils la connaissent et la comprennent : ils ont su en partager intelligemment les fruits de génération en génération.
La France a toutes les cartes en main pour être une puissance maritime majeure. Il ne manque qu’un homme politique courageux et visionnaire à la barre.