Intervention de Agnès Canayer

Réunion du 10 mars 2016 à 14h30
Économie bleue — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si, d’un point de vue géographique, la vocation maritime de la France semble une évidence, force est de constater que ce potentiel n’a jamais été véritablement pris en compte.

La proposition de loi pour l’économie bleue qui nous rassemble aujourd’hui aurait pu nous donner l’occasion de traiter l’un des prochains défis de notre pays : l’inscription durable des ports français dans les échanges maritimes mondiaux. Aujourd’hui, 72 % des importations et exportations de la France s’effectuent par voie maritime. Or le port le plus actif ne se situe pas en France ; il se trouve en Asie, à Singapour.

La mondialisation des échanges, la masse des volumes échangés, l’augmentation de la taille des navires, la fusion des grands transporteurs maritimes, le rôle capital des ports dans les chaînes logistiques et l’émergence de grands opérateurs de terminaux ont fortement fait évoluer la cartographie portuaire. La concurrence se situe donc désormais, non plus à l’échelle régionale, mais à l’échelle européenne et mondiale. Nous devons aujourd’hui changer de paradigme et prendre la mesure de ces enjeux.

Le défi majeur que nos ports et nos territoires ont à relever nous invite à réfléchir sur trois points particuliers.

Premier point : la nécessité d’élaborer et de porter une véritable stratégie maritime et portuaire pour la France.

Au mois de janvier dernier, les opérateurs, mais aussi la direction et le conseil de surveillance du port du Havre lançaient un appel au Président de la République en faveur d’un plan Marshall pour les ports. Cet appel, très significatif de par son intitulé, en dit long sur leur demande : des investissements à long terme, adaptés à la demande des clients consommateurs ; une dynamique créée par une stratégie ambitieuse, visant à inscrire les grands ports français dans le classement des ports internationaux.

La nécessité d’une stratégie maritime et portuaire à l’échelle nationale est évidente. Il s’agit de transcender les problématiques locales pour inscrire chaque territoire et chaque port dans un schéma global leur offrant la capacité de saisir de nouvelles opportunités et de s’intégrer à la compétition mondiale. L’État devrait non seulement remplir cette mission d’impulsion et de coordination entre les différents acteurs, mais aussi faire office de négociateur à l’échelle européenne et internationale dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de captation des flux de marchandises au bénéfice de nos ports français.

Deuxième point : la qualité de la connexion des ports aux réseaux de transport.

Comme cela a déjà été évoqué, à juste titre, l’économie maritime ne peut être envisagée sans l’économie terrestre : le développement d’un port dépend avant tout de son hinterland. Aussi une vision stratégique nationale et européenne est-elle essentielle pour concevoir des investissements cohérents au regard des territoires, de l’attractivité des zones portuaires, du lien avec l’hinterland et des grands axes d’échanges à l’échelle de l’Europe et de la planète. Le développement des réseaux routiers, fluviaux et ferroviaires est crucial pour la compétitivité des ports. Par exemple, la modernisation de la ligne ferroviaire entre Serqueux et Gisors est, en Normandie, un point prégnant pour relier les ports de l’axe Seine, notamment celui du Havre, à l’hinterland européen et leur donner l’envergure aujourd'hui nécessaire.

Troisième point : l’adaptation de la gouvernance, élément à part entière de la compétitivité de nos ports.

La question est particulièrement complexe, car elle mêle à la fois des intérêts divergents – publics ou privés – et des problématiques d’occupation du domaine public et de réserves foncières. Elle traduit aussi, comme mon collègue Charles Revet l’a justement souligné, le passage d’un modèle du « port outil », dans lequel l’autorité portuaire assurait elle-même les activités d’exploitation et de manutention, au modèle du « port propriétaire », caractérisé par une distinction nette entre l’autorité portuaire publique, gérant les infrastructures, l’aménagement et la politique tarifaire, et le secteur privé, chargé des services portuaires.

La gouvernance a été refondée en 2008. Il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin, en associant les acteurs privés à la définition du projet stratégique et des projets d’investissements. La nouvelle commission des investissements, telle que prévue par l’article 3 de la proposition de loi, réunira opérateurs privés et acteurs publics autour de cette définition de projets. C’est une évolution qui me paraît aller dans le bon sens, dans la mesure où elle contribue à l’élaboration d’une politique de long terme. La question essentielle reste, bien entendu, celle de l’équilibre entre les acteurs : d’une part, entre les acteurs publics et privés – grâce à la parité au sein des grandes instances – et, d’autre part, entre les acteurs publics nationaux et locaux.

L’évolution des enjeux portuaires impose une gouvernance fondée sur le dialogue permanent et la construction des projets locaux des ports, ces projets devant s’inscrire dans une politique maritime et portuaire ambitieuse, portée au niveau national. C’est en travaillant en synergie que nous relèverons le défi de la mondialisation portuaire.

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