La relation russo-chinoise se caractérise par un déséquilibre économique et démographique. Dans l'Extrême-Orient russe, 7 millions de Russes font face à 100 millions de Chinois le long de la frontière. Évoquant les ventes de technologie, un de mes collègues russes a comparé la situation de la Russie face à la Chine à celle d'un homme condamné à la pendaison, qui se trouve être aussi le vendeur de corde : il vend, mais pas assez pour qu'on puisse faire le noeud !
Une grande partie de la rhétorique internationale de la Russie est en réalité adressée à la Chine. La Russie insiste par exemple sur le maintien des armements nucléaires, surtout tactiques, pour compenser son infériorité en matière d'armement conventionnel sur le front asiatique. Il y a beaucoup de non-dits.
La fuite en avant de Poutine se matérialise par le risque militaire que présente un régime sur la défensive à l'intérieur de ses frontières. C'est une différence fondamentale avec la Chine, qui a le temps pour elle. La Russie, elle, se pense comme déclinante et veut conserver son influence ; d'où une prise de risque excessive, surtout dans le domaine nucléaire où le pays a parfois recours à une rhétorique inacceptable. L'ambassadeur russe au Danemark a tout simplement menacé Copenhague d'une attaque militaire s'il rejoignait le bouclier de défense antimissile de l'Otan ! À l'époque soviétique, de telles déclarations auraient valu à leur auteur une relégation dans un endroit perdu en Sibérie. Là, rien. Ce sont des comportements déraisonnables venant d'une puissance nucléaire.
Rival stratégique, la Russie l'est par sa puissance militaire et sa capacité d'action jusqu'au Levant. C'est l'un des quatre ou cinq pays qui comptent sur la scène mondiale. En revanche, elle ne le sera sans doute pas à long terme à cause de sa démographie et de son économie. C'est une situation difficile à gérer pour nous.
Faut-il revoir les frontières européennes ? La fin de l'URSS, la dissolution de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie avaient déjà donné lieu à des ajustements ; mais la Crimée, c'est une annexion par la force. Un Helsinki II est envisageable si nous nous y présentons les yeux ouverts et si nous reprenons le principe des « corbeilles » : droits de l'homme et droits politiques, sécurité et stabilité en Europe et coopération économique. Il ne l'est pas dans les termes proposés par Medvedev et Poutine : un nouvel ordre - entendu comme celui de Poutine, ou pas d'ordre du tout ! Au sein de l'OSCE, nous avons rédigé un rapport sur le thème avec des collègues allemands, polonais et russes ; ces derniers poussaient fortement en ce sens.
La politique russe - et celle de Bachar el-Assad - vis-à-vis de Daech porte l'empreinte d'un profond cynisme. Le dictateur syrien a donné des passeports à des membres de l'organisation pour qu'ils rejoignent l'Europe en tant que réfugiés. Il existe des réseaux souterrains entre ces entités.
La durabilité et la soutenabilité du projet poutinien est la question centrale. On estime que la Russie a des réserves de change pour environ un an. Là encore, la Russie est dans un calendrier serré.
L'effet économique des sanctions est mesurable ; Simon de Galbert, du Center for Strategic and International Studies (CSIS) de Washington, l'estime à un point de PIB, ce qui n'est pas négligeable. Mais la crise russe est principalement attribuable à la chute du prix des hydrocarbures.
Quant au poker et aux échecs, Garry Kasparov, devenu un opposant de Poutine, a dit un jour que dans les échecs, il y a des règles et on ne connaît pas le vainqueur ; avec Poutine, c'est le contraire !
La politique d'influence russe, qui a pour objectif l'échec du projet européen, passe par un appui aux partis populistes et souverainistes. La Russie nous considère en effet comme un adversaire dégénéré, avec ses Conchita Wurst et sa bureaucratie bruxelloise... Et quand nous disons que l'accord avec l'Ukraine est indispensable au retour de la transparence de la démocratie, les Russes pensent que ce discours cache une menace. Ils ont une vision complotiste de nos relations avec eux.
Les membres de la commission applaudissent les intervenants.