Merci de l'accueil réservé à ces idées. Nous sommes face au défi historique, considérable, du déséquilibre entre la dette de la France et celle de l'Allemagne. Le prochain président de la République française et Mme Merkel ou son successeur, si elle devait être appelée à de plus hautes fonctions, à l'ONU par exemple, auront à le régler. Vous pouvez, chacun avec votre sensibilité politique, vous en emparer.
Avec Jean-Pierre Raffarin, nous sommes, politiquement, des enfants de René Monory. Il nous a légué un enseignement fondamental : en politique, on fait des choses quand on paye. Quand vous dites aujourd'hui, Monsieur Reiner, à ceux qui paient, les généraux par exemple, de mutualiser, ils ne voudront pas et nous en resteront effectivement à 10 %. En revanche si vous leur dites : « soyons imaginatifs, gardons la moitié pour la souveraineté, n'y touchons pas, mais voyez comment repeindre, sans doute, au début, aux couleurs de l'Europe certains projets existants, puis développer ensuite des projets communs », cela marchera. Je fais confiance aux hommes. Ils sauront faire preuve d'imagination pour aller chercher des ressources pour notre pays. Telle est la méthode. Sinon, vous avez raison, les 10 % risquent d'être un maximum.
La défense, bonne ou mauvaise dette ? Dès que j'ai été nommé ministre, j'ai tenu à faire la pédagogie de la dette. Souvenez-vous, j'ai chargé Michel Pébereau d'expliquer ce qu'était cette dette, je suis venu, avec lui, vous présenter ce travail. Le problème, c'est que l'on a arrêté cette pédagogie. Il n'y a pas que de la mauvaise dette. Il y a aussi de la bonne dette. Pour moi, la dette de défense est de la bonne dette. Faut-il y mettre les retraites, telle ou telle autre composante de nos dépenses ? Discutons-en ! Mais, dans la période historique où nous sommes, il faut aller vite. Toutes vos questions sont parfaitement légitimes, dans l'ancien modèle, mais nous pouvons, à plusieurs, faire bouger les lignes et les curseurs, dans le nouveau modèle.
Y a-t-il un « plan B » ? Je ne prise guère cette expression. Parlons plutôt de solutions. Oui, j'ai fait des calculs intermédiaires, que je pourrai vous laisser, monsieur le Président. J'ai ainsi envisagé que l'on puisse ne reprendre que la moitié de la dette, ou que l'on place différemment tel curseur. Bien sûr, il faut garder de la souplesse pour négocier. Mais mes interlocuteurs dans d'autres pays comprennent que s'ils décident de s'engager, il vaut mieux le faire complètement. Chaque pays pourra refinancer jusqu'à la moitié de ses dépenses. La décision appartiendra à chacun d'entre eux. C'est pourquoi il importe de préserver la part souveraine de chacun. Les parlements fixeront le curseur où ils le souhaitent.
Je comprends vos réticences. « N'est-ce pas un moyen pour ces Français malins de restructurer leur dette ? » C'est la première question du journaliste de la Frankfurter Allgemeine Zeitung qui m'a interviewé la semaine dernière ! Bien sûr ! « Pas du tout, ai-je répondu. Surtout pas ! Tout le monde paiera. Tout le monde sera concerné par les deux points de TVA. Mais pardon de vous le dire, ai-je ajouté aussitôt, la France a dépensé 760 milliards pour sa défense, c'est un fait, mais aussi pour la défense de l'Europe entière, qui aurait été attaquée si nous n'avions pas été capables de tenir un front au Mali, par exemple. On ne demande pas l'aumône, seulement un rééquilibrage. D'ailleurs, chers amis allemands, si vous faites le même boulot que nous, vous gagnerez 2,7 milliards ». C'est la vertu du système que je propose. Bien sûr, il faut tenir compte de leurs préoccupations actuelles, à propos des centres de rétention, par exemple.
Nous avons des arguments pour répondre à cette première question, pour montrer que l'ensemble de l'Europe bénéficiera de cette solution, qui n'est pas destinée à payer l'incurie des Français.
Le président Juncker, que j'ai vu la semaine dernière, est très favorable à cette idée, il souhaite une armée européenne, qui n'est pas là. Je vais rencontrer M. Schäuble, pour bien lui expliquer qu'il ne s'agit pas de ne pas faire face à nos obligations. J'en ai beaucoup parlé aux institutions financières françaises, y compris la BNP, qui soutient à fond ce projet, parce qu'elle doit détenir 9 % à 10 % d'obligations en triple A qu'elle ne trouve pas sur le marché.
Bien sûr, monsieur Emorine, l'union des marchés de capitaux est une formidable opportunité. J'ai calculé qu'il faut deux ans et demi pour mettre en place le fonds et le porter à 2 300 milliards, soit l'équivalent de l'endettement d'un pays comme la France ou l'Allemagne. On peut donc travailler avec les marchés de capitaux et les investisseurs, y compris non nationaux, chinois par exemple, avec lesquels j'ai eu quelques contacts...