Intervention de Dominique de Legge

Réunion du 15 mars 2016 à 14h30
Rapport au parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, le débat qui nous occupe cette après-midi résulte de dispositions que le Parlement avait souhaité introduire lors de la révision de la loi de programmation militaire en juillet 2015, c’est-à-dire avant les tragiques événements de novembre dernier.

Dès lors, il prend une dimension toute particulière, car il s’agit non plus seulement de satisfaire à une obligation légale, mais bien d’évoquer une question d’actualité tristement pérenne, à savoir l’adaptation permanente de nos moyens et de nos pratiques à une menace qui ne faiblit pas et qui s’inscrit dans la durée.

Expression d’un intérêt pour la question du cadre juridique de l’engagement de nos armées, le document que vous nous soumettez traite de façon complète ce sujet, crucial dans un État de droit et pour la protection de nos militaires. Vous y précisez ainsi, monsieur le ministre, que « la participation des armées à la préservation de l’ordre public s’opère dans le cadre de réquisitions […] et que l’emploi des forces est fondé sur la légitime défense ». À ce titre, les forces armées sont placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur. La situation est ainsi clarifiée.

Cette question fait écho au débat que nous aurons demain sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Une chose est d’en appeler à celui-ci de façon exceptionnelle, une autre est de l’inscrire dans la durée, en en faisant un outil pérenne de maintien de l’ordre.

Pour autant, sur le plan pratique et opérationnel, les choses sont plus complexes. Nos militaires agissent bien sous le régime de la protection civile et du maintien de l’ordre, mais dans un contexte très particulier. Le Président de la République, comme le Premier ministre, ne parle-t-il pas de situation de guerre ?

Votre document fait état de menace militaire, d’actes de guerre, ou encore de commandos militaires et, à l’instant, vous nous parliez de militarisation de la menace. Quant à nos adversaires, ils disent très clairement qu’ils sont en guerre avec nous et se considèrent bien comme des combattants d’une armée au service d’un État.

S’agissant de l’engagement de nos armées, je veux rendre hommage au savoir-faire et à la disponibilité de ces dernières. Certaines des missions qui leur sont confiées dans le cadre de l’opération Sentinelle sont des plus-values incontestables, comme le renseignement, la surveillance aérienne et maritime, la cyberdéfense et la santé.

Pour autant, on peut s’interroger sur d’autres missions, comme celles que vous mentionnez vous-même dans votre rapport – présence dissuasive, contrôle, surveillance, protection, voire fonction de communication, pour rassurer nos concitoyens –, car elles ne constituent pas le cœur de métier de nos soldats. Le maintien de l’ordre public ne participe pas des mêmes logiques que la fonction militaire. Par exemple, les termes « neutraliser un adversaire » n’ont pas la même signification pour un policier et pour un militaire.

À juste titre, vous n’avez pas souhaité créer une force dédiée à ces missions placées sous l’autorité du ministre de l’intérieur. J’ai bien noté que l’ensemble de nos personnels était invité à les assurer, en plus de leurs missions traditionnelles. Je vous rejoins pour considérer qu’il ne peut pas y avoir deux armées, l’une de l’intérieur et l’autre de l’extérieur. La question qui nous est alors posée est la suivante : comment et combien de temps une armée professionnelle peut-elle venir en renfort des forces de l’ordre pour des missions de sécurité intérieure ?

Les militaires n’ont pas vocation à renforcer les forces de l’ordre et à se substituer à elles, pas plus qu’à être placés durablement sous l’autorité du ministre de l’intérieur. Les cadres d’emploi et conditions d’engagement ne peuvent répondre aux mêmes impératifs et logiques, au risque d’une dérive de l’État de droit. Cela nous renvoie aux moyens globaux dégagés pour lutter contre les menaces sur notre territoire national, notamment sur le plan de la police administrative et judiciaire, pour lesquelles nos armées sont incompétentes et doivent le rester.

J’en viens maintenant à des aspects plus budgétaires. Le document que vous nous soumettez est peu disert et se contente de renvoyer au décret d’avance du 27 novembre 2015, en affichant un surcoût de l’opération Sentinelle de 170 millions d’euros en 2015.

Pas un mot sur le budget 2016, alors que le Président de la République a annoncé devant le Congrès une révision du format de nos armées : 70 000 personnels, permettant de mobiliser 10 000 militaires sur le territoire national ! Pas un mot sur les conséquences de l’opération Sentinelle sur l’organisation même de nos armées et sur le reste de nos engagements !

Quand nos militaires font de la garde statique, ils ne se forment pas, ils ne remplissent pas de missions plus traditionnelles, ils ne sont pas en OPEX. Quelles en sont les conséquences sur le maintien en condition opérationnelle de nos hommes et de nos matériels ?

La moindre déflation des effectifs pour les besoins de l’opération Sentinelle ne constitue pas une réponse aux besoins de nos armées, au regard de leurs engagements sur des théâtres extérieurs. On ne peut affirmer que nous inscrivons notre mobilisation dans la durée sans faire de même pour les financements et continuer à recourir à des provisions insuffisantes et à de la cavalerie budgétaire !

Dans un contexte en perpétuelle évolution, où les maîtres mots doivent être adéquation et réactivité, je ne sais pas s’il faut réviser la loi de programmation militaire. En effet, à peine votée, elle risque déjà de devenir obsolète.

Pour autant, je souhaite que le Gouvernement nous soumette rapidement un collectif budgétaire, afin que nous disposions d’une vision d’ensemble des actions entreprises tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, en faveur de la sécurité de nos concitoyens.

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