Intervention de Manuel Valls

Réunion du 16 mars 2016 à 14h30
Protection de la nation — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Manuel Valls, Premier ministre :

La première raison, c’est le souci d’efficacité. La peine de déchéance sera prononcée immédiatement, au moment même de la condamnation, par des juges spécialisés dans la lutte antiterroriste, notamment par la Cour d’assises spéciale.

La deuxième raison, c’est le respect de l’exigence d’individualisation de la peine. Je l’ai dit, la déchéance de nationalité est une peine lourde de conséquences, qui nécessite un examen au cas par cas. C’est l’essence même de la justice pénale d’individualiser la sanction. Bien évidemment, la déchéance, comme dans le droit actuel, sera donc dépourvue d’automaticité.

Enfin, la troisième raison, c’est la volonté de construire, au sein d’un régime unifié, une sanction globale, prononcée en même temps que la peine principale par les mêmes juges – et non plus tard, par une autorité administrative différente – disposant de tous les éléments de fait et de droit.

Ainsi, lorsque le juge écartera la déchéance de la nationalité, parce qu’il considérera cette sanction comme disproportionnée, il disposera encore de la déchéance des droits attachés à la nationalité pour compléter la peine principale d’emprisonnement avec toute la fermeté nécessaire.

Certes, ces privations de droits existent déjà dans le code pénal, mais pour certaines avec des durées limitées. Nous proposons ainsi d’ajouter aux peines complémentaires une nouvelle peine – la déchéance de nationalité – et de leur conférer à toutes un caractère définitif. Le Conseil constitutionnel l’autorise, compte tenu de la gravité des infractions visées, sous réserve bien entendu d’ouvrir une possibilité de relèvement, ce que nous proposons au terme d’un délai de dix ans à compter de la condamnation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la solution proposée par le Gouvernement est respectueuse de l’État de droit, puisqu’elle place au centre du dispositif l’autorité judiciaire, qui seule pourra prononcer la sanction de déchéance, au terme d’un procès équitable, respectueux des droits de la défense et garant de l’individualisation de la sanction.

Cette solution est également respectueuse de la tradition républicaine, qui a fait de la déchéance une peine prononcée par le juge pénal, notamment en 1927, sous le gouvernement d’union nationale de Raymond Poincaré.

Cette solution est respectueuse, enfin, des droits fondamentaux de la personne. L’apatridie, ce n’est pas, comme je l’ai entendu, une mort civile, une éternelle errance. Il faut ici rappeler que la France, en ratifiant le 8 mars 1960 la convention de New York du 28 septembre 1954, a reconnu un statut protecteur aux apatrides.

C’est au nom d’une certaine idée de la Nation que le Gouvernement a abouti à la rédaction de l’article 2. Je ne peux donc imaginer que la majorité sénatoriale ne soit pas au rendez-vous.

Ne nous trompons pas de combat ! Prenons garde de construire des oppositions inutiles, voire factices. En particulier, il ne faut pas construire d’opposition inutile sur la question du rôle de l’autorité judiciaire. Je sais que, sur toutes les travées, s’exprime le souci de préserver l’État de droit et de ne pas céder sur le terrain de la protection des libertés et des droits fondamentaux – c’est d’ailleurs la tradition du Sénat. Mais, alors, comment expliquer le choix d’une déchéance de nationalité prononcée seulement contre certains terroristes, par l’autorité administrative – le ministre de l’intérieur –, et seulement pour des crimes, et non plus pour les délits terroristes graves ? Comment expliquer que nous préférons cela à une déchéance de nationalité, prononcée par un juge pénal, avec possibilité de relèvement, avec toutes les garanties du droit, en toute transparence, y compris pour les délits d’association de malfaiteurs à visée terroriste qui abritent les organisateurs des actes terroristes ?

Aujourd’hui, devant vous, je réitère la proposition faite mardi dernier à votre commission des lois : inscrire dans la Constitution la compétence de l’autorité judiciaire pour prononcer la déchéance de nationalité. Réfléchissons bien ensemble : fermer cette porte, c’est, au fond, renoncer au seul compromis possible entre l’exigence d’égalité et le refus de l’apatridie, l’exigence de sécurité et de liberté, l’exigence d’efficacité et de respect des droits.

Le Gouvernement est prêt à cette réaffirmation du rôle de l’autorité judiciaire, parce c’est ainsi que doit répondre une Nation sûre de ses valeurs à ceux qui sont déterminés jusqu’à la mort à répandre la terreur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette révision constitutionnelle, c’est une des réponses que notre nation a voulu apporter aux attaques qui lui ont été portées. Je comprends, bien sûr, qu’il puisse y avoir des débats. Sur un sujet aussi important, qui touche à notre texte suprême, ils sont légitimes, ils honorent même notre démocratie. Mais, dans un tel moment, face à la menace qui pèse sur notre pays, face aux ferments de la division que certains veulent instiller, il ne faut pas perdre l’essentiel de vue : l’unité des Français.

Les Français attendent de nous que nous sachions rester rassemblés, que nous parvenions, ensemble, à trouver un chemin commun. Ce dont les Français ne veulent plus, ce sont les postures, qui ne font que diviser.

Après l’Assemblée nationale, c’est à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, d’envoyer ce message qui dit quelles sont nos valeurs, quel est notre État de droit, quelle est notre conception de la Nation. Le Gouvernement est toujours disponible pour trouver le consensus nécessaire, loyalement et franchement, sans jouer et sans nous perdre. À vous, donc, à votre tour, de rappeler ce qui fait notre force.

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