Oui, sortons au plus vite de ces dangereux chemins de traverse qui vous conduisent à vous disputer sur cette lugubre alternative : la déchéance pour tous, qui ouvre la voie à l’apatridie, ou la déchéance raciste pour les seuls binationaux.
L’année 2015 a été terrible pour la France. Nous avons subi des attaques terroristes meurtrières. Nous avons tous perdu un ami, un proche, une connaissance. Nous sommes tous concernés.
Ces attaques frappent beaucoup d’autres pays, et nous pensons à toutes les victimes à travers le monde. Mais nous pensons plus que jamais que le projet de révision constitutionnelle ne constitue en rien, bien au contraire, la réponse adaptée.
Avec l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution, en plus de l’article 16 et des dispositions de l’article 36 sur l’état de siège, la France serait l’un des seuls pays à étendre à ce point les pouvoirs exceptionnels du Président de la République, l’un des seuls dont la Constitution inclurait trois régimes d’exception dérogatoires aux libertés fondamentales.
Ce qui est visé, quoi que vous en disiez, c’est bien le recours possible à un état d’urgence permanent. Le vote de la loi relative au renseignement, la révision avancée du code de procédure pénale, la révision de notre doctrine d’emploi des forces armées sur le territoire national, confirmée ici même hier par le ministre de la défense, complètent la mise en place d’une nouvelle doctrine sécuritaire qui dessine un Patriot Act à la française, à l’opposé des assurances que vous donniez à la représentation nationale au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. Vous vous êtes ralliés à ce que vous assuriez refuser.
La constitutionnalisation envisagée n’est pas la sécurisation juridique que vous prétendez. Elle consacre le recul des protections judiciaires de nos libertés, comme l’ont noté de nombreux magistrats et spécialistes de notre droit.
De ce point de vue, l’évolution des dispositions prévues sur la déchéance de nationalité nous inquiète au plus haut point. Outre leur caractère évidemment totalement inefficace en matière de lutte contre le terrorisme, elles entachent gravement notre loi fondamentale.
Alors que les dispositions légales relatives à la nationalité ne figurent pas dans la Constitution et relèvent toutes des articles 17 à 33 du code civil, qui précisent les différentes façons d’accéder à la nationalité française, de la perdre ou d’en être déchu, la nationalité entrerait donc dans la Constitution par la porte de sortie honteuse de la déchéance. Quel triste symbole pour tous ceux qui aiment la France !