Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 16 mars 2016 à 14h30
Protection de la nation — Discussion générale

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, les attaques que notre pays et notre peuple ont subies aux mois de janvier et de novembre 2015 ont été d’une rare violence. Cette violence barbare et les images d’un Paris meurtri et atteint en son cœur resteront à jamais gravées dans nos mémoires. Nos pensées vont aujourd’hui encore vers les familles endeuillées et vers celles et ceux qui pansent toujours leurs plaies.

Chaque jour, chaque semaine, cette violence affecte d’autres pays : la Côte d’Ivoire, de nouveau la Turquie et hier la Belgique. Cette violence, souvent vécue en direct par nos compatriotes, est profondément anxiogène.

Elle est pourtant réelle et elle a un nom : Daech, avec des groupes fanatisés qui ont fait de la mort leur outil de propagande le plus efficace ; Daech, qui porte la responsabilité de la vague de violence à laquelle est confrontée une partie croissante du monde.

Cet islamisme radical n’est pas apparu sans raison historique. Il ne se développe pas sans soutien. Agiter la peur sans expliquer la source du mal ni proposer une feuille de route pour mettre fin à cette crise du Proche et du Moyen-Orient qui déteint aujourd’hui sur le continent africain est inefficace et, à terme, dangereux pour la démocratie.

La présente révision constitutionnelle n’apporte aucune réponse à la crise internationale qui risque d’embraser cette région ; elle est à mille lieues d’une réponse à l’écho que trouve le fanatisme religieux auprès d’individus souvent exclus, sans repères culturels et en quête d’une reconnaissance que personne jusqu’à présent ne leur a offerte.

Monsieur le Premier ministre, il faut bien le reconnaître, le débat que vous avez relayé avec ardeur évolue aujourd’hui en pleine confusion.

Dans un premier temps, sous le choc des événements, les habitants de notre pays ont soutenu des dispositions dont ils ne maîtrisaient pas forcément les tenants et les aboutissants, tant leur complexité est indéniable. À l’heure actuelle, ils se sont détournés de votre projet, lassés par tant de manœuvres politiciennes.

Finalement, monsieur le Premier ministre, qui veut aujourd’hui de votre projet de loi constitutionnelle ?

Mes chers collègues, les deux principaux articles de ce texte peuvent paraître sans point commun. Néanmoins, ils partagent le même ADN. Ils ont en commun la peur que j’évoquais voilà un instant : pour ce qui concerne l’article 1er, la peur du quotidien et de la menace annoncée, sinon martelée ; s’agissant de l’article 2, la peur de l’autre.

Nous débattons aujourd’hui de cette révision constitutionnelle alors même que, depuis 1986, plus de vingt lois censées protéger notre pays contre le terrorisme ont été adoptées. Quelles ont a été leur efficacité, leur utilité à terme ?

L’inefficacité et l’inutilité sont deux reproches qui sont souvent sur les lèvres des nombreux détracteurs de votre projet de loi constitutionnelle, monsieur le Premier ministre. Or ces détracteurs sont présents sur toutes nos travées, y compris sur celles de votre propre parti.

Peut-être, avant de vous précipiter, dans un contexte peu propice à la réflexion, aurait-il fallu écouter, consulter, comprendre et sans doute raisonner « dans le silence des passions », comme le recommandait Jean-Jacques Rousseau.

Le premier article de votre texte, monsieur le Premier ministre, procède à la constitutionnalisation de l’état d’urgence.

La justification que vous en avez donnée, celle de la sécurisation d’un état d’exception, a vite été balayée par la plupart des observateurs et des professeurs de droit constitutionnel. Devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, vous avez même, si je puis me permettre, vendu la mèche, en déclarant : « Conférer une base constitutionnelle à l’état d’urgence, c’est consolider les mesures de police administrative définies par la loi de 1955. »

Le professeur Olivier Beaud, auditionné par la commission des lois, l’a affirmé sans ambages : « La constitutionnalisation n’est pas innocente : loin d’encadrer les conditions de l’état d’urgence, elle permet d’aller plus loin dans la répression et aggrave les atteintes aux libertés. »

En résumé, l’intégration de l’état d’urgence dans la Constitution couperait l’herbe sous le pied à d’éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité ou à d’autres recours en le plaçant au sommet de la hiérarchie des normes. En dehors de ce double objectif – affichage d’un volontarisme sécuritaire et sanctuarisation constitutionnelle –, cette disposition s’avère inutile.

À deux reprises, en 1985 et en 2015, le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 34 de la Constitution permettait la mise en place d’un tel état d’exception. Monsieur Bas, vous qui êtes président de la commission des lois et rapporteur sur ce texte, avez longuement démontré la reconnaissance multiple de la conformité à la Constitution de l’état d’urgence. Néanmoins, vous avez conclu votre démonstration, de manière sibylline, par ces mots : « À l’évidence, cela éclaire d’un jour nouveau le projet de révision constitutionnelle, qui ne peut s’autoriser d’une nécessité impérieuse tirée des exigences de la lutte contre le terrorisme, les moyens légaux à la disposition du Gouvernement dans le cadre de l'état d'urgence ayant été consolidés par le juge constitutionnel. »

Avec vous, monsieur le rapporteur, je m’interroge sur la volonté du Gouvernement de faire valider par anticipation, du point de vue constitutionnel, une extension du champ de l’état d’urgence, extension comprise dans l’avant-projet d’application des dispositions constitutionnelles relatives à l’état d’urgence.

En revanche, je ne vous suis plus du tout quand, après avoir démontré avec un brio certain l’inutilité, voire le danger, de l’article 1er du présent projet de loi constitutionnelle, vous justifiez en fin de compte son adoption au nom du respect de l’unité nationale. Votre affection bien connue pour les libertés publiques et leur respect semble stoppée par une exigence démagogique et, surtout, par le point de vue que vous partagez avec le Gouvernement quant à la nécessité d’affirmer l’ordre libéral dans notre pays.

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