Le symbole est important. Nous aurions bien tort d’abandonner le monopole de sa puissance à nos ennemis, à Daech.
Étymologiquement, le symbole est ce qui relie, ce qui produit du lien social, au moment même où notre société en manque tant et au moment, précisément, où les terroristes tentent de disloquer la communauté nationale par leurs attaques. N’ayons pas une conception uniquement matérialiste de notre appartenance à cette communauté nationale. Souvenons-nous des mots de John Gardner : « Le monde est un interminable défilé de symboles. »
Bien sûr, la déchéance de nationalité ne concernera – heureusement ! – que quelques individus, mais elle s’adresse à tous les Français, parce qu’elle nous renvoie à la conception que nous avons de notre être collectif, de notre pacte républicain. Je m’y arrête un instant.
Cette déchéance n’est pas une création juridique récente, monsieur le garde des sceaux, vous le savez mieux que quiconque. Elle est apparue dès la première constitution de septembre 1791 et elle est toujours présente, même incomplète, dans notre code civil. Ses traces anciennes sont donc toujours actuelles. Elles sont signifiantes : elles renvoient à ce que nous sommes.
Mes chers collègues, nous sommes non seulement la Nation dont la conscience d’elle-même est la plus ancienne, mais également celle qui a inventé une conception de cet être collectif. Nous sommes une nation civique. Qu’est-ce que cela signifie ? Que nous n’accordons rien à la naissance, mais tout à l’adhésion, au consentement ; rien à l’hérédité, mais tout, encore, à la volonté.
La nation civique n’est pas la nation ethnique, laquelle est fondée exclusivement sur le droit du sang. Elle est une nation élective, qui s’adresse à tous les hommes, quelles que soient leur race, leur religion, leur condition sociale. Renan avait eu cette phrase : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion ». C’est important en particulier pour notre langue, dont l’histoire est si belle.
Lorsque l’on se réfère à ce que nous sommes, à la République, nous évoquons son métabolisme. Depuis longtemps, et j’espère encore pour longtemps, même s’il fonctionne incomplètement aujourd’hui, ce métabolisme transforme un individu en citoyen. C’est cela, notre pacte national, c’est ainsi que fonctionne notre être collectif.
Je prétends que nos ennemis nous offrent une chance de reprendre fièrement conscience de nous-mêmes. C’est évidemment en revenant aux origines, à ce que nous sommes, que nous pouvons comprendre que la déchéance de nationalité est, en quelque sorte, un prolongement, certes tragique et dramatique, de notre conception de la nation civique.
Elle est moins une sanction que le constat d’une rupture consommée par celui qui commet l’acte.