Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 16 mars 2016 à 14h30
Protection de la nation — Discussion générale

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, le combat pour l’égalité des droits, contre les discriminations et la justice sociale est au cœur de mon parcours politique et de mon mandat.

La France souffre de ses inégalités sociales et de ses fractures de plus en plus criantes. Pour réduire ces inégalités-là, il est impératif de sacraliser l’égalité des droits. Toute faiblesse dans l’égalité formelle augmenterait le ressenti des inégalités qui sont bien réelles.

Le terrorisme, l’idéologie djihadiste s’engouffrent dans ces fractures pour nous tuer, nous affaiblir, nous déstabiliser et nous diviser encore plus.

Je me prononcerai sur ce projet de loi constitutionnelle non avec émotion, alors que je pourrais le faire pour différents motifs, mais avec raison, à l’aune de deux termes utilisés par le Gouvernement : efficacité et unité.

Je suis favorable à l’article 1er relatif à l’état d’urgence. Cet article rassemble une majorité au Parlement. Les amendements de Jean-Yves Leconte et d’Alain Duran visent à apporter des garanties aux libertés publiques, souci partagé par la commission des lois. Leur adoption confortera l’unité, sans rien retirer de leur efficacité.

En revanche, je suis hostile à la déchéance de nationalité, quelle que soit la version retenue. Il s’agit d’une mesure cannibale, néfaste et clivante. Elle nous épuise, elle nous dévore. Elle nous oblige à choisir entre loyauté et conviction, tout en renonçant, quel que soit le choix, et à l’efficacité et à l’unité.

Dans le temps qui m’est imparti, je n’avancerai que trois arguments.

Premier argument, la déchéance existe dans notre droit depuis deux siècles, comme cela a été rappelé. Elle est aujourd’hui prévue par plusieurs articles du code civil, avec un champ d’application limité. Le Conseil d’État a reconnu que l’extension de la déchéance aux terroristes nés français présentait un risque d’inconstitutionnalité.

Quand une mesure n’est pas constitutionnelle, cela n’implique pas pour autant qu’il faille modifier la Constitution au forceps, avec, comme choix impossible, l’apatridie ou la discrimination envers les binationaux. Ce choix n’est pas acceptable pour un constituant, dès lors qu’il est établi par les promoteurs mêmes du texte que la déchéance ne serait que symbolique. Il s’agirait ici de sacrifier l’égalité sur l’autel d’un symbole ni efficace ni unitaire.

Mon deuxième argument vient de l’incertitude totale concernant le périmètre du dispositif et les conséquences relatives à l’apatridie, sans même entrer dans les problèmes d’application pratique et diplomatique.

Enfin, le troisième argument tient à l’ajout des délits. Rien, à ce stade, ne nous prémunit à l’avenir contre une modification des délits éligibles à la déchéance.

Nous sommes bel et bien empêtrés dans un labyrinthe où les impasses sont autant juridiques que politiques : juridiques avec la rupture d’égalité entre les Français, ceux qui sont nés français, et politiques, avec le retrait de la binationalité dans un texte en trompe-l’œil pour calmer un camp et le rajout des délits pour en satisfaire un autre.

Mais, mes chers collègues, ce n’est pas avec cette mesure que nous allons combattre le terrorisme. Bien au contraire ! C’est en nous appuyant sur notre socle de valeurs républicaines qui fonde la primauté de la citoyenneté sur l’identité et sur l’égalité, qui reste le seul combat qui vaille, que nous y parviendrons.

Malgré un examen de ce texte sous toutes ses coutures, il y aura bel et bien une rupture d’égalité entre ceux qui sont nés français.

Enfin, adopter l’article 2 revient à donner une belle victoire à ceux qui attaquent notre art de vivre et nos valeurs. C’est aussi donner des arguments supplémentaires à ceux qui disent à des jeunes qu’ils veulent embrigader : « Voyez, nous vous l’avions bien dit, vous êtes français, mais pas trop ! » Personnellement, je me refuse à leur donner cette victoire.

L’unique sortie raisonnable serait, mes chers collègues, de renoncer à cette disposition, que nous avions dénoncée fortement quand elle avait été proposée par d’autres, certes, pour être honnête jusqu’au bout, dans un autre contexte.

Telles sont les raisons de mon opposition de principe à l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution.

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