Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, il convient de rappeler à cette tribune que la Constitution n’est pas une loi ordinaire, que l’on peut modifier au gré des circonstances. Or c’est malheureusement ce que vous nous proposez, monsieur le Premier ministre, une révision constitutionnelle de circonstance, à la fois dangereuse et inutile.
Vous l’estimez politiquement motivée après les attentats commis en France par des organisations terroristes islamistes internationales, dont nous connaissons la stratégie. C’est une erreur. Leur stratégie consiste à déstabiliser politiquement les nations les plus fortes et à conquérir par les armes les plus faibles.
Cette réforme constitutionnelle permettra immanquablement aux stratèges de l’horreur de véhiculer un message de victoire politique pour avoir contraint la France à ouvrir un débat qui divise le Parlement et affaiblit le Gouvernement.
Trouvez-vous normal, mes chers collègues, que la France, quatrième puissance mondiale, placée aujourd’hui en état d’urgence, se sente contrainte de réviser à la hâte sa Constitution pour lutter contre le terrorisme, ce que ne fait aucune autre nation occidentale agressée ?
Voilà pourquoi j’estime cette réforme dangereuse. Malheureusement, elle est en plus inutile et inefficace, et elle ouvre des débats malsains.
L’état d’urgence, reconnu par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, est encadré par le Parlement, qui en contrôle sa durée et son application. Son inscription dans la Constitution ne présentera pas plus d’intérêt que d’inconvénient, mais ne saurait justifier à elle seule une convocation du Congrès à Versailles.
Monsieur le Premier ministre, je ne puis tout de même passer sous silence l’article 89 de la Constitution, aux termes duquel « aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. »
Le Président de la République et le Gouvernement – vous-même l’avez aussi fait précédemment, dans cet hémicycle, monsieur le Premier ministre – ont parlé de « guerre » et pris acte ainsi d’une atteinte à l’intégrité de notre territoire. Je ne souhaite pas pour autant ouvrir ce débat, mais il faut rappeler cette disposition constitutionnelle.
À l’article 2 du présent projet de loi constitutionnelle, vous inscrivez la déchéance de nationalité pour les auteurs de crimes et délits terroristes. Pensez-vous vraiment, monsieur le Premier ministre, que menacer les terroristes de perdre leur nationalité française soit de nature à les dissuader de commettre des attentats en France ? La réalité, la vraie, la seule, c’est qu’il n’y a pour des terroristes que quatre cas de figure : soit ils se donnent la mort, soit ils sont abattus, soit ils sont en cavale, soit ils sont capturés. Dans ce dernier cas, l’efficacité passe non pas par la déchéance de nationalité, mais par une peine ne leur permettant plus de récidiver. C’est une peine de réclusion criminelle à perpétuité réelle qu’attendent les Françaises et les Français, au premier rang desquels les victimes du terrorisme.
Ce débat, nous l’avons déjà eu dans cet hémicycle lors de l’examen de la proposition de loi présentée par le président de la commission des lois, et nous le poursuivrons dans quelques jours avec celui du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. J’aurai alors l’occasion de rappeler mon attachement à la mise en place d’une peine à perpétuité incompressible réelle.
Dans votre projet de loi constitutionnelle, monsieur le Premier ministre, un autre sujet divise profondément le Parlement et l’opinion publique, quelle que soit, vous l’avez compris, l’évolution sémantique, juridique, technique et politique de la rédaction de l’article 2. Pour ma part, j’estime que le droit du sol est toujours remis en cause.
Le processus de réforme constitutionnelle est engagé devant nos assemblées pour aboutir à Versailles par un vote solennel du Parlement réuni en Congrès. Aujourd'hui, la Haute Assemblée et la commission des lois proposent une amélioration substantielle du texte. Aussi, malgré toutes les réserves que j’ai exprimées, j’accepterai cette étape, qui honore le Sénat de la République.