Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’issue de la discussion générale, il me semble que nous sommes d’accord sur beaucoup de points.
D’abord, nous nous rejoignons pour saluer la fermeté du Gouvernement face à la barbarie. C’est à l’unanimité que nous lui avons rendu ici hommage.
Ensuite, nous nous accordons à admettre qu’il appartient au Gouvernement de rechercher toutes les solutions possibles pour lutter contre le terrorisme, parmi lesquelles une au moins suscite débat, je veux parler de la déchéance de nationalité.
La déchéance de nationalité n’est pas une invention récente, comme cela a été rappelé. Elle a même été souvent soutenue par l’ancienne majorité, qui, en 2010, avait voulu l’étendre, dans le cadre d’un texte relatif à l’immigration, à d’autres personnes que celles qui sont aujourd'hui concernées.
Par ailleurs, nous convenons également tous que le droit actuel permet de régler cette question. L’article 25 du code civil prévoit la déchéance de la nationalité pour les binationaux. On oublie toujours l’article 23-7 du même code, aux termes duquel la déchéance de la nationalité est également prévue sous certaines conditions pour ceux qui sont nés en France. Nous disposons donc de l’arsenal juridique nécessaire, même s’il faudrait sans doute, comme l’a souligné Robert Badinter, actualiser ces dispositions.
En outre, nous sommes même peut-être d’accord – j’en suis moins certain, mais, à vous écouter les uns les autres, il me semble que c’est le cas ! – pour reconnaître que, au fond, la déchéance de nationalité ne fera pas reculer le terrorisme, car peu de terroristes trembleront à l’idée de perdre la nationalité française.
Sur quels sujets avons-nous donc des divergences ? Sur deux points : un point juridique et un autre plus politique.
Le premier point juridique est simple : le code civil suffit-il à permettre la déchéance de nationalité ?
On le sait, le Conseil d’État a notamment indiqué qu’il était nécessaire de constitutionnaliser la déchéance de nationalité.
Pour ma part, j’entends ce que dit le Conseil d’État. Mais j’entends aussi les analyses d’un éminent ancien président du Conseil constitutionnel qui a toute ma confiance et qui, je le crois, a toute la vôtre, mes chers collègues : selon Robert Badinter, il n’est pas nécessaire de constitutionnaliser la déchéance de la nationalité. Je m’en remets à son opinion.
Notre seconde divergence, la plus importante, est politique. Chacun reconnaît l’inutilité juridique et l’inefficacité face au terrorisme de la constitutionnalisation de la déchéance de la nationalité. Mais ce serait, nous dit-on, un « symbole » ; au cours de ce débat, il a été abondamment question de symboles. M. Retailleau en a ainsi vanté les vertus dans une intervention par ailleurs remarquable, expliquant que la communauté n’existerait pas sans eux. Certes. Mais la communauté a plusieurs symboles ! Et c’est bien là que réside la difficulté !
Un symbole peut en chasser un autre. En l’occurrence, le symbole de la déchéance de la nationalité peut très bien chasser celui de l’unité des Français, qui est beaucoup plus important.
Mes chers collègues, je vous invite à refuser une machinerie diabolique qui nous obligera un jour ou l’autre à choisir entre la séparation des Français en deux catégories, ceux qui sont nés en France et ceux qui ont acquis la nationalité française, ou l’acceptation de l’apatridie. Je ne veux pas de cette machinerie diabolique qui nous placera nécessairement face à une telle alternative !
Ne l’oublions pas, en 2010, le Sénat a fait preuve d’une grande sagesse en refusant l’extension de la déchéance de la nationalité, mesure qui avait ensuite été abandonnée. Je crois que nous pourrions, nous aussi, refuser aujourd’hui l’inscription de la déchéance de la nationalité dans la Constitution !