Intervention de Manuel Valls

Réunion du 16 mars 2016 à 14h30
Protection de la nation — Discussion générale

Manuel Valls, Premier ministre :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue la qualité des interventions des différents orateurs – mais ce n’est pas étonnant de la part du Sénat, ni d'ailleurs de l’Assemblée nationale – et le niveau auquel chacun a voulu situer son propos.

Je n’ai aucun doute sur la volonté de l’ensemble des membres de la Haute Assemblée et de toutes les formations politiques de notre pays de faire face au terrorisme ; du reste, il n’y a eu presque aucun propos en sens contraire.

Au cours des dernières décennies, la France a déjà connu des moments particulièrement graves. Pour la plupart d’entre nous, nous ne les avons pas vécus. Le moment, sans doute, de basculement s’est produit à la sortie de la guerre d’Algérie. Plus tard, d’autres tensions ont pu sembler mettre en cause le destin du régime politique, comme en 1968. Nous avons aussi déjà été confrontés au terrorisme, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, sous les présidences de François Mitterrand et Jacques Chirac ; on l’oublie parfois, mais ces périodes furent particulièrement éprouvantes

Mais la situation actuelle est, je le crois, d’une autre nature – en ce sens, elle nous oblige à une réflexion toute particulière –, du fait même du terrorisme auquel nous devons faire face.

Au mois de novembre 2012, lors de la présentation du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, j’avais évoqué ici un ennemi « intérieur et extérieur », non pas pour désigner telle ou telle catégorie de nos concitoyens, mais pour décrire une réalité, avec les mots que l’on utilise dans d’autres pays.

De fait, la menace terroriste vient de l’extérieur, sous une forme organisée et planifiée – nous l’avons malheureusement subie – depuis la Syrie, ce qui a justifié l’intervention de la France au Levant. Mais le terrorisme se nourrit aussi de la radicalisation, qui concerne non pas quelques individus, mais des centaines, voire des milliers.

Madame Assassi, je n’ai jamais refusé d’expliquer les causes ; nous les connaissons. Comme vous, je suis un élu de territoire populaire de la banlieue parisienne. Mais de tels phénomènes ne sont pas dus uniquement à la situation économique et sociale ou au sentiment d’exclusion. Les racines sont beaucoup plus profondes. Elles touchent au cœur même de notre nation, à ce que nous sommes ; M. Retailleau l’a également dit.

Il ne s’agit pas d’un terrorisme venu de l’extérieur avec des motifs éminemment politiques, comme, chez nous, celui d’Action directe et, ailleurs, celui de la bande à Baader ou des Brigades rouges.

Ce terrorisme-là s’est ancré dans une relation, ou dans une non-relation avec ce que nous sommes, au nom d’un islam totalement dévoyé. L’objectif n’est pas de mettre en cause l’État, de changer le régime ou d’exprimer une revendication territoriale, contrairement à ce que nous avons connu en Irlande ou au Pays basque espagnol.

Il s’agit de détruire ce que nous, Français, sommes – la France est un pays, non pas différent des autres, mais dont l’histoire singulière a suscité un sentiment d’appartenance à la Nation qui remonte très loin, au-delà même de la République –, avec une volonté d’attaquer nos valeurs, qui sont universelles.

Ces groupes terroristes s’attaquent donc aussi à des pays qui, avec beaucoup de courage, empruntent ou ont décidé d’emprunter le chemin de la démocratie, de la liberté et de la laïcité. Je pense à la Tunisie et à plusieurs autres pays d’Afrique dont les situations sont parfois très difficiles, comme le Mali, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, qui a réussi un processus de réconciliation, même s’il est fragile.

Voilà le terrorisme auquel nous devons faire face ! C’est celui d’un pseudo-état, un proto-État, installé en Syrie et en Irak : l’État islamique.

Cela nous oblige à nous demander comment répondre à ce terrorisme qui s’attaque à ce que nous sommes. Bien sûr qu’il faut répondre avec les moyens de l’État ! Nous le faisons en permanence. Sans doute même n’avons-nous jamais autant légiféré et donné de moyens à nos forces de sécurité et à nos armées que depuis 2012, en raison de la nature de la menace extérieure et intérieure. Il faut aussi mobiliser la société.

Toutefois, parce que l’on s’attaque au cœur même de ce que nous sommes, il faut une réponse à la hauteur. Aucun d’entre nous n’a prétendu que la déchéance de la nationalité ferait renoncer un terroriste ! D’ailleurs, ni la peine de mort, qui n’existe plus dans notre pays, ni la prison à vie, ni n’importe quel article du code pénal n’empêchent les terroristes d’agir, puisqu’ils veulent mourir en tuant des Français.

Il s’agit bien d’un acte symbolique, mais qui a aussi son efficacité. Parce que nous sommes Français, nous connaissons la force des symboles !

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