À mon sens, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui devrait restreindre les cas de binationalité et mieux encadrer le communautarisme, deux facteurs qui peuvent conduire à la radicalisation et à l’extrémisme.
Or l’éventuelle inscription dans la Constitution de la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de terrorisme a fait l’objet des tergiversations du Président de la République et suscité de multiples polémiques. La gauche, en particulier, a fait semblant de s’indigner en prétendant qu’une telle mesure serait discriminatoire sous prétexte qu’elle créerait une catégorie de Français de seconde zone.
En fait, la binationalité est un choix. Ce n’est pas une fatalité ! Personne n’oblige à avoir deux nationalités. Celui qui se trouve dans cette situation n’y est pas contraint : il peut renoncer à sa seconde nationalité. Si les intéressés ne le font pas, c’est parce qu’ils y trouvent divers avantages, par exemple une protection sociale ou juridique supplémentaire ou, comme par le passé pour les citoyens franco-algériens, un moyen de se soustraire au service militaire. Ainsi, la binationalité permet à une catégorie de Français de profiter du système. Il n’est alors pas choquant qu’il y ait aussi des inconvénients !
Par ailleurs, la nationalité suppose une obligation de loyauté du ressortissant à l’égard de son pays. Lorsque deux États se trouvent dans une situation conflictuelle, il y a à l’évidence des problèmes quant à la fiabilité des binationaux concernés. Par exemple, la position d’un binational franco-allemand en 1939 aurait été très ambiguë. C’est d’ailleurs ce qu’a très bien compris l’Algérie – j’approuve tout à fait son gouvernement à cet égard –, qui vient de réformer sa Constitution pour exclure les binationaux des postes de responsabilité au sein de l’administration algérienne.
Il est donc logique que de nombreux pays interdisent ou limitent les cas de double nationalité. La France elle-même avait d’ailleurs ratifié la convention du Conseil de l’Europe sur la réduction des cas de binationalité en 1977. De même, plusieurs pays de l’Union européenne limitent la double nationalité de leurs citoyens.
Ainsi, lorsque l’Allemagne a élargi les modalités d’acquisition de la nationalité allemande dans le sens du droit du sol en 2000, elle a mis en place une obligation d’option de nationalité pour les enfants nés en Allemagne de parents étrangers. À leur majorité, ceux-ci doivent choisir entre la nationalité allemande et leur autre ou leurs autres nationalités, faute de quoi ils sont réputés renoncer à la nationalité allemande.
En Autriche, sauf cas particulier, une personne qui n’est pas née autrichienne ne peut pas acquérir la nationalité autrichienne sans perdre d’office sa nationalité d’origine.
Pour moi, ceux qui deviennent français doivent faire un choix clair d’adhésion à la collectivité nationale. Plus précisément, il s’agit de mettre fin à la possibilité de binationalité pour ceux qui, nés en France de parents étrangers, acquièrent la nationalité française par naturalisation, par mariage ou à leur majorité. Cela ne vise pas l’interdiction pure et simple de la double nationalité, qui doit rester possible par la naissance.
À mon avis, deux mesures seraient donc pertinentes.
La première concernerait les enfants nés en France de parents étrangers qui deviennent français à leur majorité. Sur le modèle du droit allemand, il faudrait leur demander de choisir entre la nationalité d’un pays tiers et la nationalité française. Une exception pourrait être prévue au profit des ressortissants d’un pays de l’Union européenne.
La deuxième concernerait les personnes acquérant la nationalité française, par naturalisation ou par mariage. Elles devraient alors renoncer à leur autre nationalité. Là encore, on pourrait prévoir une exception au profit des ressortissants d’un pays de l’Union européenne.
Mes chers collègues, s’il y avait eu de telles dispositions dans le code de la nationalité française, on ne serait pas là à couper les cheveux en quatre pour savoir si on doit cibler explicitement les binationaux ou si on doit le faire sans le dire. De toute manière, on cible les binationaux : le texte adopté par l’Assemblée nationale revient à les cibler. À titre personnel, je suis très clairement favorable à ce qu’on les vise explicitement !
Parallèlement à la problématique de la binationalité, il faut aussi réagir face aux communautarismes, en particulier le communautarisme musulman, qui fait peser de graves menaces sur notre société. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que les auteurs des récents attentats terroristes étaient tous des extrémistes musulmans radicalisés dans une logique communautariste.
L’article 1er de la Constitution assure « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il devrait aussi réaffirmer les devoirs de chacun et interdire que, sous couvert d’origine, de race ou de religion, certains prétendent s’exonérer du respect le plus élémentaire des règles de vie dans notre société.
La surenchère de certains élus qui instrumentalisent leur complaisance à l’égard du communautarisme musulman pour en faire un fonds de commerce électoral amplifie encore plus les dérives en la matière. Ainsi, sous prétexte de répondre à des exigences religieuses, on accorde des dérogations en totale contradiction avec le principe de laïcité : piscines à horaires séparés pour les hommes et les femmes ; menus halal dans les cantines scolaires ; refus de la mixité pour les cours de sport à l’école ; port du voile par des agents des services publics…
Il n’est alors pas étonnant qu’un tel laxisme entraîne une escalade des exigences et des comportements : refus de l’autorité hiérarchique sous prétexte qu’elle est exercée par une personne de sexe différent ; refus d’employés de cantine d’être en contact avec certains aliments ; interruption du travail pour faire la prière… Et il existe bien d’autres exemples !
Lors de sa réunion du 3 février 2016, la commission des lois du Sénat a examiné les amendements déposés sur une proposition de loi constitutionnelle relative à la laïcité. À cette occasion, et au terme d’un long débat, la commission des lois s’est opposée à ce que l’on précise que le respect de la règle commune s’impose à tous. Selon les partisans de ce refus, il conviendrait de privilégier une soi-disant « laïcité apaisée » et de ne pas exacerber le repli communautariste des musulmans. Ce refus est une erreur : le laxisme généralisé favorise le développement du communautarisme musulman, qui sert ensuite de terreau au terrorisme islamiste !
Le fait de s’opposer aux empiétements des communautarismes au motif que la règle commune s’applique à tous doit concerner aussi bien la vie publique que la vie privée. Cela prémunirait en particulier tout employeur privé et tout service public contre l’obligation d’adapter ses prestations ou ses règles pour tenir compte des prescriptions religieuses exigées par certains salariés ou certains usagers.
Le texte que nous examinons passe à côté des vrais problèmes. À cet égard, je qualifierais de « symbolique » l’article 2 du projet de loi. Mais encore faut-il qu’il conserve le symbole qu’il représente ! Or, pour moi, le symbole touche précisément au problème des binationaux. Si nous reculons sur ce point, cela veut dire que nous cautionnons le communautarisme et le comportement de personnes modérément solidaires de la collectivité nationale. Ce serait tout à fait désastreux ! Pour ma part, je ne voterai pas en faveur de l’article 2 s’il ne fait pas explicitement référence au problème des binationaux !
Globalement – je partage l’avis de beaucoup de mes collègues sur ce point –, le texte que nous examinons n’apporte rien de plus dans la lutte contre le terrorisme. Si l’on veut vraiment non pas dissuader le terrorisme – on ne le peut pas –, mais empêcher le recrutement de nouveaux terroristes, c’est le communautarisme qu’il faut combattre, parce que le communautarisme conduit à des replis identitaires qui permettent l’enrôlement de terroristes !
C’est par exemple sur les lois d’acquisition de la nationalité, donc par rapport aux binationaux, que l’on devrait agir. Ce serait certainement beaucoup plus utile. Je le répète : le gouvernement algérien a très bien agi en marquant la différence entre un « 100 % national » et un « 50 % algérien et 50 % d’une autre nationalité ». Nous devrions faire de même en France !