Par cet article 1er, le Gouvernement et la commission des lois du Sénat nous proposent d’introduire dans la Constitution un nouveau dispositif restreignant les libertés publiques individuelles et collectives en cas de crise grave.
À aucun moment dans le texte qui nous est soumis, il n’est fait mention d’actes de terrorisme de manière explicite, alors que c’est précisément cette menace qui justifierait l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution. Aussi sommes-nous en droit de comprendre que l’état d’urgence pourrait être déclaré pour un tout autre motif. En fait, cette impression est confirmée par le nouveau texte, qui dispose que c’est « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » qu’un tel ensemble de mesures pourraient être prises. Tout dépend donc des circonstances et de l’interprétation qu’en aura alors le Gouvernement.
Par ailleurs, sans faire de sémantique, chacun sait que « péril imminent » ne signifie ni « désordre assuré » ni « péril avéré ». Cette interprétation est d’ailleurs confirmée dans le deuxième alinéa de ce que serait ce nouvel article constitutionnel. En effet, il y est précisé que l’état d’urgence peut être déclaré pour « prévenir » un péril, et non pas seulement pour « y faire face ». Le flou est donc bien la règle avec cet article, qui, sous couvert d’un argumentaire fondé sur la nécessité de la lutte contre le terrorisme, met en place un dispositif dérogatoire au droit commun qui pourra s’appliquer en des circonstances relativement indéterminées.
Le risque de banalisation de l’état d’urgence est alors bien réel. C’est ce que nous craignons. C’est pourquoi nous contestons sa constitutionnalisation, d’autant plus que cet état d’urgence s’applique actuellement, on le sait, sans rencontrer d’obstacle constitutionnel. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel lui-même a déclaré à plusieurs reprises, notamment au mois de janvier 1985, la compatibilité de l’état d’urgence avec la Constitution.
L’inscription de ce nouvel article dans la Constitution ne présente donc aucune utilité pour lutter efficacement contre le risque terroriste. En revanche, cet article est dangereux pour nos libertés publiques. Il n’apporte aucune garantie supplémentaire s’agissant des dispositions législatives actuelles ou à venir concernant, par exemple, le droit à manifester, les assignations à résidence, les perquisitions, le rôle et la place de la justice.