Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 16 mars 2016 à 14h30
Protection de la nation — Article 1er

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Lors de la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable, j’ai insisté sur le fait que la constitutionnalisation de l’état d’urgence ne rendrait pas plus efficace notre arsenal de lutte contre le terrorisme. J’ajoute maintenant que cette opération n’est pas seulement inutile ; elle constitue une atteinte manifeste aux libertés publiques et privées !

L’état d’urgence signifiant la restriction des libertés publiques et personnelles, constitutionnaliser l’état d’urgence, c’est constitutionnaliser la réduction des libertés publiques et personnelles, au nom d’événements qui pourraient survenir, mais dont on ignore quelle forme ils prendront, à la différence, par exemple, des conditions requises pour la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution.

Sans même poser la question de savoir qui, du juge administratif ou du juge judiciaire, est le plus sensible à la défense des libertés, je ferai remarquer que le premier, qui intervient après coup, n’offre pas les mêmes protections que le second, qui doit autoriser. Certes, une fois la perquisition, la retenue administrative contrainte passées, il est rassurant de voir des condamnations par le tribunal administratif. Mais ce n’est pas vraiment satisfaisant.

Si on avait réellement voulu conforter la protection des libertés, on aurait au moins tenté de limiter l’usage des mesures restrictives de liberté à l’objectif ayant présidé à l’instauration de l’état d’urgence, en l’espèce la menace terroriste. Or ce n’est pas le cas. Il est toujours question de « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » au sens large, ce qui, au nom du manque d’effectifs de police, permet de mettre dans le même panier les présumés terroristes et les éventuels empêcheurs de COP 21.

À ceux qui, vendant la mèche et donnant la vraie raison de la constitutionnalisation de l’état d’urgence, nous expliquent qu’on entend ainsi rassurer les Français – ils ne comprendraient pas que l’on ne donne pas un parfum d’éternité à l’état d’urgence –, je conseille de relire l’excellent rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale, alors présidée par Jean-Jacques Urvoas, que j’ai déjà mis à contribution.

On y trouvait la réflexion suivante : « […] accorder à une législation d’exception une fonction préventive, c’est placer la norme et l’exception comme une alternative. La législation d’exception n’est pas une simple alternative à celle des temps normaux. C’est une véritable dérogation seulement justifiée par l’évidence. Le grand dérangement qu’elle entraîne ne peut donc être que d’une brève durée et sans séquelles. »

Autant dire que cette législation d’exception ne saurait être la norme constitutionnelle !

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