Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 16 mars 2016 à 14h30
Protection de la nation — Article 1er

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux :

Le Gouvernement est évidemment hostile aux amendements de suppression, qui vont à l’encontre de notre volonté de convaincre le Sénat de voter la constitutionnalisation de l’état d’urgence pour renforcer l’État de droit. C’est précisément sur ce point que je voudrais articuler mon propos.

Comme l’a indiqué M. Mercier, la Constitution est une protection. Les éléments qui y figurent garantissent les libertés. C’est la raison pour laquelle le cadre normatif est renforcé. Cela explique que la constitutionnalisation de l’état d’urgence soit réclamée par les deux comités ayant déjà travaillé sur la modernisation de la Ve République. M. le Premier ministre a évoqué tout à l’heure le comité Balladur, mais, je veux le rappeler, le comité Vedel avait déjà formulé la même proposition en 1993.

Ces avis devraient rassurer les sénateurs qui s’inquiètent sur le déséquilibre, à l’intérieur de l’État de droit, entre ordre administratif et ordre judiciaire. Le comité Balladur comptait parmi ses membres une personnalité très importante, voire très influente, le Premier président de la Cour de cassation, qui était à l’époque Pierre Drai. Celui-ci avait pesé pour l’inscription dans la Constitution d’une procédure déjà mise en œuvre, car l’état d’urgence avait déjà été utilisé. À l’époque, la critique consistait à se demander pourquoi la Constitution ne prévoyait pas de dispositions pour protéger les libertés dans de telles circonstances. Il fallait donc assécher les dérives potentielles de l’état d’urgence en intégrant des garanties dans la Constitution.

D’ailleurs, cette argumentation a ensuite été reprise par nombre d’universitaires.

On a souvent évoqué Olivier Beaud, qui a été auditionné par la commission des lois. Ce professeur d’université éminemment respectable participe à la réflexion de la doctrine. Mais quasiment tous les universitaires qui ont pris position se sont prononcés en faveur de la constitutionnalisation. Je mentionnerai par exemple Anne Levade, professeur à Créteil, Denys de Béchillon, professeur à Pau, Pascal Jan, professeur à Bordeaux, Jean-Éric Gicquel, professeur à Rennes, mais aussi Jean-Philippe Derosier, professeur à Rouen, etc. Je pourrais dresser une liste extrêmement longue. Hormis Olivier Beaud, tous les universitaires qui ont publié des tribunes – je ne fais pas parler ceux qui n’ont rien dit – ont justement appelé à la constitutionnalisation au rang de la protection des libertés.

Par ailleurs, au sein du Conseil de l’Europe, il existe une commission, la Commission de Venise, qui a justement vocation à s’assurer de l’articulation entre la démocratie et le droit au sein du Conseil. Cette commission, composée de juristes, d’universitaires et de techniciens, est venue en France voilà quelques semaines observer notre sujet du moment, à savoir l’état d’urgence et le risque que cet état pouvait faire peser sur les libertés. Elle vient de rendre son avis, saluant l’initiative de la France de constitutionnaliser l’état d’urgence.

La Commission de Venise a d’ailleurs eu une position constante à cet égard, considérant que les états d’exception – l’état d’urgence est bien un état d’exception, comme je l’ai d’ailleurs indiqué dans le rapport cité par Pierre-Yves Collombat – doivent faire l’objet d’un encadrement constitutionnel pour accroître les garanties contre d’éventuels abus dans leur utilisation.

C’est aussi ce que pense le Gouvernement, et c’est ce que souligne la commission des lois, ce dont je la remercie.

Par conséquent, le Gouvernement est extrêmement défavorable aux amendements de suppression qui viennent d’être présentés.

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