Les arguments du garde des sceaux et du président de la commission des lois ne me convainquent pas.
Nous l’avons vu, et cela a été confirmé par plusieurs interventions, l’application des mesures d’urgence, leurs conséquences sur les droits humains des personnes ciblées et le nombre infime d’instructions auxquelles elles ont donné lieu soulèvent de graves questions. Étaient-elles réellement nécessaires et proportionnelles pour prévenir de futurs attentats terroristes ? C’est pourtant l’objectif que le Gouvernement a affiché à l’origine en déclarant l’état d’urgence, puis le motif qu’il a invoqué ensuite pour en justifier la prorogation.
Amnesty International s’est entretenue avec plusieurs personnes dont la vie quotidienne et les droits humains ont été gravement affectés par l’état d’urgence. Je vous invite à prendre connaissance de son rapport intitulé Des vies bouleversées. L’impact disproportionné de l’état d’urgence en France. Les témoignages de personnes assignées à résidence, perquisitionnées ou témoins de ces mesures sécuritaires sont édifiants. L’une d’entre elles dit : « Ils ont cassé les portes, ils sont rentrés dans la mosquée avec leurs chaussures et ont jeté le Coran par terre. » Une autre explique : « On vous condamne sans vous juger, sans vous donner la possibilité de vous défendre. » Une troisième livre ce témoignage : « On a tous eu l’impression que c’était une parodie de justice. Les audiences avaient lieu juste pour la forme. »
Qui pourrait aujourd’hui contredire de telles dérives ? Personne ! Et je n’ai donné que trois exemples… Je vous invite vraiment à prendre connaissance du rapport.
Dénoncer les dérives est une chose ; agir pour les stopper en est une autre. Or l’état d’urgence les porte en elles. Ce sont des syndicalistes policiers qui nous ont alertés sur ce problème. À la lumière de ce qu’ils nous ont dit, l’illusion selon laquelle on pourrait encadrer ces dérives disparaît.
Constitutionnaliser l’état d’urgence revient à le placer au même niveau dans la hiérarchie des normes juridiques que les libertés et droits fondamentaux, notamment ceux qui sont consacrés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les pouvoirs d’exception et les libertés fondamentales sont ainsi mis dans un rapport d’égalité normative, comme l’a souligné la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son avis sur le projet de révision constitutionnelle.
À la lecture de l’exposé des motifs du projet de révision constitutionnelle, nous craignons de comprendre ce à quoi ce nouvel article 36-1 de la Constitution est, en réalité, destiné. Et cette inquiétude se concrétise déjà malheureusement largement dans le projet de réforme de la procédure pénale, qui a été adopté et aggravé par l’Assemblée nationale et sera bientôt soumis au Sénat.