Intervention de Christine Lagarde

Réunion du 6 mai 2010 à 21h30
Loi de finances rectificative pour 2010 — Adoption définitive d'un projet de loi

Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de finances rectificative que le Gouvernement vous présente aujourd’hui revêt un caractère unique : il s’agit de répondre à une crise, sans véritable précédent, qui menace d’entraîner certaines économies au bord du précipice.

Les raisons des difficultés de la Grèce sont connues.

Tout d’abord, depuis le début de la crise économique et financière, l’accès au financement s’est rétréci pour certains pays européens, pour la Grèce en particulier.

Au-delà de ses difficultés structurelles, la Grèce a dû faire face à un problème, bien spécifique, de crédibilité. La prévision de déficit public est en effet passée de 3, 7 % en avril 2009 à 6 % en septembre 2009, puis à 12, 5 % en octobre 2009 – un mois plus tard –, à 12, 7 % en janvier 2010 et, enfin, à 13, 6 % en avril 2010. Devant une telle situation, les marchés se sont révélés de plus en plus préoccupés par la situation budgétaire grecque, les observateurs estimant que le risque d’un défaut éventuel de la Grèce s’était accru de façon significative.

Les États membres de la zone euro ne pouvaient bien évidemment pas rester sans rien faire face à cette situation qui, à terme, pouvait porter un grave préjudice à notre monnaie commune.

La stabilité de la zone euro étant menacée, les États membres, la France en tête, se sont fortement mobilisés.

Sur le plan européen, les chefs d’État et de gouvernement se sont réunis dès le 11 février 2010, à titre informel, puis à nouveau lors du Conseil européen des 25 et 26 mars 2010, afin de « préserver la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble ».

Le 11 avril 2010, les ministres des finances de la zone euro, réunis en Eurogroupe, précisaient les modalités techniques du plan de soutien financier à la Grèce, quelques jours seulement avant la demande officielle du pays, le 23 avril, d’activer le plan de soutien prévu en sa faveur.

Dimanche dernier, au matin, le gouvernement grec a annoncé, lors d’un conseil des ministres extraordinaire, qu’il s’engageait à respecter le programme négocié avec la Commission européenne, le Fonds monétaire international, le FMI, et la Banque centrale européenne, la BCE.

L’ensemble de ce dispositif repose bien entendu sur un équilibre entre, d’une part, les financements qui sont consentis par l’ensemble des pays européens et par le Fonds monétaire international et, d’autre part, les efforts en matière de rigueur budgétaire de la Grèce, en particulier la mise en place d’un véritable plan d’austérité, dont le vote vient d’être acquis au parlement grec.

Le dispositif prévoit un soutien financier massif, l’enveloppe globale atteignant, pour une période triennale, 110 milliards d’euros. Sur ce total, 80 milliards d’euros seront pris en charge par les pays membres de la zone euro, à l’exclusion de la Grèce, bien évidemment, et 30 milliards d’euros seront apportés par le FMI.

Le présent projet de loi de finances rectificative ouvre, pour 2010, un montant total de 16, 8 milliards d’euros en autorisations d’engagement, sur un programme créé à cet effet.

À l’origine, le projet de loi de finances rectificative prévoyait la mise à disposition d’un montant de 30 milliards d’euros pour la première année du plan de soutien, conformément à la négociation initialement conclue, hors FMI, à la fois pour le financement et pour la construction du programme.

Dimanche dernier, dans l’après-midi, lors de la réunion de l’Eurogroupe, à laquelle j’ai bien entendu participé, il a été décidé d’activer le plan de soutien financier à la Grèce de 110 milliards d’euros répartis sur trois ans, qui avait été négocié avec le FMI, la Commission européenne et la BCE au cours des dix jours ayant précédé cette réunion.

L’amendement du Gouvernement, adopté mardi par l’Assemblée nationale, vise à refléter l’engagement de la France non plus sur la seule première année du programme, mais sur les trois années entières. En accord avec la clé de répartition au capital de la BCE de chacun des États membres, Grèce exclue, la France contribuera à hauteur de 20, 97 %. L’engagement total de la France s’élèvera donc à 16, 8 milliards d’euros pour cette période triennale.

Cet engagement repose certes sur un principe de solidarité, mais également sur un principe d’exigence.

En matière de solidarité, la France a toujours été un moteur dans l’histoire de l’Europe. Le présent projet de loi de finances rectificative réaffirme notre engagement à mettre en œuvre la solidarité européenne.

Dans cette affaire, nous ne sommes pas seuls. Les États membres de la zone euro sont soutenus dans leurs efforts par la Corée du Sud, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni. Ces États ont manifesté dès le 3 mai, aux côtés de la France, et de manière très solennelle, leur soutien au plan décidé en faveur de la Grèce.

Au-delà de l’aide financière consentie par les membres de la zone euro, ils se sont engagés à favoriser l’octroi rapide par le FMI d’un soutien financier exceptionnel à la Grèce. C’est un signal fort qui est adressé aux marchés par quatre États membres du G20, dont deux, le Canada et la Corée du Sud, assurent respectivement la présidence du G7 et celle du G20. J’ajoute que le conseil d’administration du FMI se tiendra dimanche, à Washington.

Outre la participation de ces pays, importants de par leur rôle au sein du G20, le secteur financier s’est également associé à l’effort européen. Hier, lors d’une réunion du Haut Comité de place, les banques françaises se sont engagées à maintenir leur exposition sur la Grèce. Leurs homologues allemands s’étaient engagés dans le même sens auprès de M. Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances.

Le soutien des secteurs financiers allemand et français est un gage supplémentaire de la solidarité à l’égard de la Grèce.

Mais la solidarité n’exclut évidemment pas la vigilance que nous devons au contribuable français ! Nous allons donc exercer un principe de fermeté au regard du plan de redressement prévu par le gouvernement de la Grèce et approuvé, aujourd’hui même, par le parlement du pays.

Ce plan rigoureux, ambitieux et nécessaire, selon les propres termes de M. Papandréou, prévoit notamment des hausses d’impôt – majoration de deux points de la TVA, qui passera à 23 %, et augmentation des droits d’accises sur l’alcool, le tabac et les produits pétroliers – et des réductions de dépenses publiques – suppression des treizième et quatorzième mois dans la fonction publique, réforme en profondeur du système de retraite, avec un allongement de la durée des cotisations.

Ce plan prévoit également des mesures plus structurelles pour rétablir la compétitivité de l’économie grecque. Je citerai entre autres la modernisation de l’administration publique, l’amélioration de la concurrence.

Ces mesures, certes difficiles, ambitieuses et rigoureuses, sont néanmoins impératives. La Grèce doit être en mesure de revenir sur les marchés à des conditions raisonnables, afin de rassurer non seulement ces marchés, mais également les institutions financières et ses partenaires.

Je rappelle que, tel qu’il est configuré, le programme négocié avec le FMI et la Commission européenne préserve intégralement la Grèce pendant une période de dix-huit mois, puisqu’il la met à l’écart du besoin de se financer ou de se refinancer sur les marchés pendant toute cette période.

Je soutiens donc naturellement les difficiles mesures qui ont été prises par le gouvernement de la Grèce et je ne doute pas un seul instant de sa détermination à remettre l’économie du pays sur les rails.

La France, comme les autres États membres de la zone euro, sera très attentive à la mise en œuvre des engagements pris par la Grèce. C’est la condition de la crédibilité du plan de soutien et du retour de la confiance.

Cette confiance est nécessaire pour que le calme revienne sur les marchés. Les mouvements irrationnels de ces derniers jours ne reflètent pas les fondamentaux économiques des pays visés. Je l’ai dit et je le répète, les comparaisons entre certains pays et la Grèce sont hors de propos !

Par ailleurs, le versement de chacune des tranches de ce financement exceptionnel sera conditionné par le respect du programme convenu, contrôlé tous les trois mois.

Nous considérons également souhaitable que les conditions qui sont faites à la Grèce soient similaires à celles qui sont en général pratiquées par le FMI et qui visent à encourager le retour le plus rapide possible à des financements de marché.

Cette exigence sera également la vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, puisque je m’engage, ainsi que mon collègue François Baroin, à venir vous présenter tous les trimestres l’état de la mise en œuvre des engagements de la Grèce au programme de soutien. Nous avons pris le même engagement devant l’Assemblée nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous pouvez le constater, nous sommes déterminés à avancer. Mais si l’urgence est aujourd’hui de résoudre la crise grecque, il faut également que nous soyons prêts, à moyen et à long terme, à tirer toutes les conclusions de cet épisode afin d’éviter la survenance de nouvelles crises.

La gouvernance économique européenne a fait l’objet de nombreuses questions lors de nos débats à l’Assemblée nationale, et je suis persuadée que nous en reparlerons.

La coordination de nos politiques économiques, l’amélioration de la fiabilité de nos statistiques et la mise en place de moyens de réponse adaptés en cas de difficultés économiques et financières de la zone euro sont à l’étude à l’échelon de la Commission européenne. Par ailleurs, le Conseil européen a mis en place un groupe de travail, placé sous l’autorité du M. Van Rompuy, auquel le Président de la République m’a demandé de participer.

La question de la gouvernance de la zone euro sera bien sûr à l’ordre du jour du Conseil européen extraordinaire, convoqué demain sous la forme d’un sommet de l’Eurogroupe.

Enfin, en matière de régulation financière, nous devons poursuivre, amplifier et accélérer nos efforts. La crise grecque a aussi démontré que nous devions continuer à lutter contre les dysfonctionnements criants des marchés des dérivés de crédit, les CDS, et que nous devions impérativement mettre en vigueur, dès le 7 juin, le règlement relatif aux agences de notation de crédit. Il faut en outre envisager, dans un cadre national, un durcissement de certaines mesures.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je souhaitais formuler avant de laisser la parole à mon collègue François Baroin, qui va vous présenter le détail de ce projet de loi de finances rectificative.

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