En créant l'IRSN, la France a fait le choix de se doter d'un organisme d'expertise et de recherche qui travaille pour les autorités publiques, afin de les aider à prendre leurs décisions. L'IRSN n'est pas pour autant sous la tutelle de l'ASN. Il faut plutôt envisager le système français comme un système à deux pôles, et ce système a fait ses preuves. L'expert est responsable pour mener l'analyse de risques, il donne son avis et les autorités publiques prennent ensuite leur décision. Aux États-Unis, le système est différent, puisque l'autorité de sûreté intègre les experts. Le système français fonctionne bien et il vient d'être conforté par la loi.
L'Institut prononce 800 avis techniques par an. Nombre d'entre eux sont rendus publics sur le site internet de l'IRSN. La loi impose qu'ils le soient tous. Le processus est en train d'être mis en place. La mission de recherche de l'Institut consiste à développer la connaissance, notamment pour alimenter l'expertise. Il existe des programmes de recherche en sûreté, sur la gestion des accidents graves, en particulier avec l'hydrogène, mais aussi en radioprotection. Deux dispositifs expérimentaux sont actuellement mis en place : Mircom qui étudie l'effet des rayonnements ionisants sur les cellules, et un autre programme qui s'intéresse à l'effet des radioéléments sur les êtres vivants à partir d'une expérimentation in vivo. S'ajoutent à cela des missions de service public. Pour la surveillance de l'environnement, l'IRSN dispose de 400 balises qui mesurent le débit de dose ambiant sur le territoire, c'est-à-dire les rayonnements. L'objectif est de vérifier le travail des exploitants, mais aussi d'identifier des phénomènes inattendus, comme cela est arrivé en Espagne, où les balises de l'IRSN ont repéré une source de cobalt, il y a quelques années. L'Institut dispose également d'une cinquantaine d'aérosols et d'instruments de mesure dans les cours d'eau. Quelques balises ont été installées sur le toit des ambassades de France au Japon et en Ukraine.
L'indépendance par rapport aux tutelles est garantie par le fait qu'une expertise est un fait collectif. Dans ces conditions, on voit mal comment un responsable pourrait changer un résultat scientifique. Une autre garantie vient des dispositions législatives qui s'appliquent à l'IRSN sur les lanceurs d'alerte. L'exigence de transparence joue également, avec l'obligation faite à l'Institut de rendre publics tous ses avis.
L'ASN estime que ses moyens sont insuffisants. Pour ce qui concerne l'IRSN, le travail ne manquera pas dans les années à venir, ce qui nécessitera une hiérarchisation des tâches. Je serai attentif à préserver la recherche, car les économies dans ce domaine se paieront à terme. Les 15 % de prestations que vous avez mentionnées proviennent de l'appui que l'Institut apporte aux autorités de sûreté étrangères, notamment dans les ex-pays de l'Est. Ces ressources sont également générées par des prestations de dosimétrie et par les contrats européens de recherche.
Fukushima, c'était il y a cinq ans : 100 000 personnes ont été évacuées dans un périmètre de 20 kilomètres. Aujourd'hui, ces personnes peuvent revenir sur une partie de ce territoire mais une partie d'entre elles - notamment les jeunes - a refait sa vie ailleurs.
D'un point de vue technique, le coeur des réacteurs 1, 2 et 3 est entré en fusion tandis que le réacteur 4 a explosé, mais sans combustible. Depuis, les Japonais ont évacué les 1 500 combustibles de la piscine et ils ont vidé le réacteur 4 qui a été contaminé par ses voisins. Pour les trois autres réacteurs, la priorité est de retirer les 500 combustibles que compte chaque réacteur : techniquement, cela est possible, mais la radioactivité élevée ralentit les opérations.
La centrale de Fukushima étant au bas d'une colline, l'eau propre qui en descend se contamine : les Japonais érigent un mur gelé de 1 500 mètres autour de la centrale sur 30 mètres de profondeur pour que cette eau n'entre pas dans les réacteurs. On passerait ainsi de 200 m3 contaminés par jour à 10 m3. Les 900 000 m3 d'eau sur site ont été décontaminés du strontium et du césium mais ils restent contaminés au tritium : les Japonais envisagent de les rejeter dans l'océan mais des études d'impact sont nécessaires ainsi qu'un dialogue approfondi avec les habitants.
Les déchets de haute activité sont ceux issus du retraitement. La loi sur les déchets de 2006 prévoit le stockage en couches géologiques profondes. Ce confinement a pour but de permettre le retour progressif de la radioactivité à la géosphère. Sous la responsabilité de l'Andra, le laboratoire de Bure doit démontrer la faisabilité de ce projet de stockage. L'ASN contrôle l'Andra tandis que l'IRSN entretient un dialogue technique avec cette agence : elle présente des dossiers techniques et l'IRSN les analyse avec ses propres experts. L'Institut dispose d'ailleurs d'une installation de recherche à Tournemire dans lequel des essais sur les scellements pour bloquer la radioactivité sont réalisés. L'Andra déposera d'ici 2017 un dossier sur la question de sûreté et l'ASN demandera à l'IRSN son avis technique. Un débat sur la notion de réversibilité sera mené et le Parlement devra se prononcer mais il semble difficile de concilier durablement sûreté et stockage ouvert.
Les déchets de très faible activité (TFA) sont stockés dans le centre Cires. Celui-ci étant presque saturé, il est indispensable de trouver d'autres lieux de stockage. A l'heure actuelle, les centrales nucléaires disposent d'une zone où tous les déchets TFA sont entreposés, même s'ils ne sont pas en tant que tels radioactifs. Ce principe de gestion a été élaboré il y a une vingtaine d'années afin d'éviter la dissémination de matériaux faiblement radioactifs, comme c'était le cas auparavant. Pour faire évoluer ce système, il faudrait, comme en Allemagne, des mesures extrêmement performantes sur de gros volumes, mais leur coût est élevé. En outre, il faut éviter la dilution, c'est-à-dire le mélange de déchets non radioactifs avec des déchets contaminés qui permettent de réduire la valeur globale. Ce sujet fera l'objet d'un débat public.
Moyennant certains travaux, l'ASN estime que Fessenheim peut fonctionner jusqu'à la prochaine visite décennale. S'il s'agit juste d'arrêter la production électrique, il est aisé de le faire à Fessenheim, comme ailleurs, puisqu'EDF arrête régulièrement ses réacteurs pour leur entretien. En revanche, l'arrêt irréversible est plus compliqué car une procédure de démantèlement est nécessaire : EDF doit présenter un dossier qui fera ensuite l'objet d'une procédure administrative aboutissant à un décret de démantèlement. L'IRSN expertiserait les procédures proposées par EDF et l'ASN gérerait le dossier au niveau administratif.
J'en viens à la prolongation de la durée d'exploitation. Une directive européenne sur la sûreté nucléaire prévoit un réexamen périodique de sûreté. Tous les dix ans, les installations nucléaires font l'objet d'une vérification détaillée et il est demandé aux installations d'améliorer leur niveau de sûreté en fonction des exigences les plus récentes, le but étant d'éviter des standards de sûreté différents en fonction de l'âge des centrales. EDF doit prendre comme référence le réacteur EPR. Il lui est ainsi demandé de tenir compte des accidents graves. Les réacteurs EPR disposent d'un récupérateur de corium en cas de fusion du coeur. En revanche, tel n'est pas le cas pour les centrales plus anciennes. L'IRSN demande à EDF de travailler sur ce sujet complexe, qui met en interaction du béton avec une matière très chaude, très corrosive et très radioactive. L'échéance des 40 ans est particulièrement importante puisque les réacteurs avaient initialement été conçus pour cette durée.
L'EPR est un réacteur beaucoup plus sûr. En revanche, à la suite d'essais demandés par l'ASN, les calottes de cuve ont présenté des défauts : la concentration de carbone étant trop importante dans certaines zones, des fissures risquent de se produire. Suite aux analyses de l'IRSN, Areva procède à l'heure actuelle à des essais pour qualifier la tenue de ces calottes. Nous devrions disposer des conclusions de ces études au cours du deuxième semestre.
On ne peut exclure un accident nucléaire majeur en France et les pouvoirs publics s'y préparent. Fukushima a démontré qu'un tel accident pouvait survenir en Europe. Les autorités de sûreté ont donc estimé que la coordination en amont était essentielle et qu'il fallait anticiper des évacuations dans un rayon de 5 kilomètres et distribuer des comprimés d'iode dans un rayon de 20 kilomètres.
Environ 75 % des dysfonctionnements sont dus à des facteurs humains, mais n'oublions pas que les opérateurs parviennent aussi à récupérer des situations qui pourraient dégénérer. L'IRSN analyse ces problèmes, notamment en ce qui concerne la maintenance et la formation chez EDF.
En 2010, EDF a mis en place la démarche AP913, qui suppose une approche de la maintenance par la fiabilité. Cette méthode vient des États-Unis et n'est pas spécifique au nucléaire. L'IRSN et l'ASN approuvent cette démarche. Ce matin, la presse a dit que la maintenance à Penly était insatisfaisante, ce qui ne signifie pas que la performance sûreté du réacteur est en cause. Celle-ci fait en effet l'objet d'essais périodiques et si les résultats ne sont pas satisfaisants, EDF dispose d'un temps limité pour se mettre en conformité. Si tel n'est pas le cas, l'arrêt du réacteur est ordonné.