Notre pays, notre France, a été attaqué avec une violence et une lâcheté inouïes.
Les djihadistes islamistes ont précisément visé notre modèle républicain et ses valeurs universalistes, qui parlent au monde : la liberté, qui autorise des journalistes et des dessinateurs caricaturistes à moquer tous les pouvoirs ; l’égalité, qui permet aux hommes et aux femmes, ensemble et à visage découvert, d’écouter de la musique, de danser, de se rencontrer et de peupler les terrasses de café, ou aux Juifs de pouvoir vivre sans être discriminés, chassés ou tués ; la laïcité, qui n’oblige à aucune religion tout en les respectant toutes. C’est donc d’abord sur ces valeurs que nous ne devons rien lâcher ; c’est même avec ces valeurs que nous devons combattre ces terroristes.
Telle est la raison fondamentale de mon opposition à l’article 2 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, même s’il ne comporte plus ce que, ici, la droite veut réintroduire en consacrant dans la Constitution une rupture inacceptable d’égalité entre citoyens nés français ; nous y reviendrons.
Nous sommes tous d’accord pour dire que cette déchéance sous toutes ses formes n’a aucun rôle dissuasif et aucune efficacité concrète contre les terroristes. Or l’unité nationale, on l’a vu, n’arrive à s’imposer – c’est salutaire – que quand on prend des mesures législatives concrètes et efficaces et des moyens pour combattre le terrorisme.
Alors, reste l’argument du symbole. Je conteste que la Constitution puisse consacrer d’autres symboles que ceux qui sont dans sa fonction première, à savoir organiser l’État et garantir les droits et libertés des citoyens, sans jamais édicter elle-même des mesures punitives ou des sanctions qui l’altèrent. Par ailleurs, dans ce grand moment de confusion idéologique, justement sur l’identité, tout symbole qui accroît cette confusion est contre-productif et n’a de valeur symbolique que dans la manière dont il est investi par ceux qui doivent se rassembler autour.
Force est de le constater, pour les cinq millions de binationaux, comme pour tous ceux qui savent que la question a été mise au cœur du débat par la droite et l’extrême droite depuis plusieurs années pour les stigmatiser, la déchéance s’est imposée comme le symbole d’une conception de l’identité qui s’oppose à l’égalité, ce qui n’a rien à voir avec les intentions symboliques républicaines voulues par le Président de la République et le Gouvernement. Il faut acter que ce symbole n’est pas le même pour les uns et les autres, et donc ne rassemble pas ; au contraire, il divise même le camp républicain, qui pourtant a déjà fort à faire avec le camp antirépublicain, nationaliste et populiste qui monte…
J’ajoute pour finir §qu’on nous a expliqué qu’il fallait inscrire la déchéance dans la Constitution, parce que le Conseil d’État nous dit en quelque sorte qu’elle pourrait être déclarée non républicaine par le Conseil constitutionnel. Mais voyons, mes chers collègues, c’est justement parce qu’elle serait non républicaine qu’il ne faut pas l’inscrire dans notre Constitution républicaine !
Ma conviction profonde, en conscience, dans la continuité de mes engagements constants depuis plus de trente ans, est qu’il faut supprimer l’article 2, quelle qu’en soit la version proposée.